Pitch

Fragments de voyages en Bolivie par un apprenti linguiste étudiant la langue des Siriono.

lundi 15 août 2011

Décrire une langue

Voilà enfin l'article pour présenter ma démarche de travail. J'avais déjà un peu parlé de mon plan de bataille avant de partir mais ce n'est qu'avec les rencontres que j'ai pu voir comment ça se passe en vrai. Et donc, c'est compliqué, et difficile à illustrer donc vous aurez droit à des fleurs !


Le premier aspect est que je demande aux gens de leur temps et qu'ils veulent en retour de l'argent. J'ai beau expliquer que c'est un projet qui va leur servir et qui est bien pour eux, ils cherchent le profit. C'est un point qui rejoint mes articles de description sociale, puisqu'ils sont dans une société où l'argent est important. Il n'y a que très peu d'échanges sans transaction financière, même pour un coup de main pour faire un truc. Tout ce monnaye et les heures qu'ils passent avec moi aussi. Une part du temps d'échange est donc consacré à ce point, plus ou moins longtemps selon les gens.

Un autre aspect compliqué est que l'aide qu'ils peuvent m'apporter dépend de nos possibilités de communications. Et les premiers jours j'étais évidemment complètement perdu, ne sachant que vaguement parler espagnol et ne comprenant pas les subtilités de langage qu'ils me donnaient. Progressivement c'est allé en s'améliorant mais il reste certaines personnes qui ne parlent que peu espagnol, ou qui n'ont plus beaucoup de dents et sont donc très difficiles à comprendre.

Le problème est aussi dans leur maîtrise de la langue, qui ne m'est apparue totale chez quasiment personne, puisqu'ils ne l'utilisent plus au quotidien. Ils sont tous persuadés que les enfants peuvent comprendre la langue même si ils ne la parlent pas mais c'est loin d'être le cas, personne ne leur parlant en siriono ! Des gens qui discutent entre eux dans la langue, avec fluidité et sans ressortir toujours les mêmes cinq phrases, il y en a bien peu. Du coup, quand ils me parlent en siriono, certains mots ressortent en espagnol au milieu, plusieurs chez certains informateurs.

En outre, il est compliqué de fixer des rendez-vous, les gens n'étant pas très regardant sur les horaires et ayant toujours plein de choses à faire. Il est courant qu'ils s'absentent trois jours en ville ou voir de la famille. Pour certains, c'est aussi l'alcool qui rends les choses compliqués, ou les enfants qui vadrouillent autour. Il y a un paquet de choses qui viennent entraver le travail, mais avec tout ça, je ne l'ai pas encore décrit, ce fameux travail !

Et bien, j'y arrive. Le but est d'étudier d'abord le système de sons de la langue, et pour ça, il faut que je connaissent plein de mots. Je collecte donc d'abord des mots, comme si je faisais un herbier acoustique. Je vais voir les gens et leur demande comment s'appellent les éléments de l'environnement, les parties du corps, les membres de la famille, les animaux de la jungle, les arbres et fruits du village. Je dispose comme support d'une liste d'un peu plus de cinq cents entrées, travaillée pour cette partie du monde, plus ou moins. La partie sur les arbres s'est montrée totalement inadaptée par exemple. Pour le reste, il existe souvent un autre mot local pour parler de la même chose, mais dans ce cas je le note et à force d'explications ça avance.

Les gens avec qui je travaille croient que je fais un dictionnaire, ce qui ne sera qu'une conséquence secondaire de mon travail, en réalité. La réalisation d'un dictionnaire n'est pas très intéressante d'un point de vue scientifique, alors que de savoir qu'il est possible qu'une voyelle dispose d'un trait phonologique (distinctif) [+dental] qui entraîne qui modifie les consonnes qui lui sont proches, ça c'est intéressant. Il s'agit d'un i prononcé avec la langue touchant les dents, essayez, vous verrez ce que ça donne. Bon et bien le mot «i» sert à désigner l'eau, le mot «ɨ 'i avec les dents'» est le verbe parler. Les deux sont donc bien différents, comme en français «y» et «eau». Et quand il y a un i dental après un ch, ça fait un peu comme le mot anglais «she». C'est intéressant, même si ça paraît pas grand chose dit comme ça.

Pour être sûr que ce soit bien systématique, je collecte un maximum de mots. Ce n'est qu'à partir de sept cents mots que l'on peut considérer que l'on peut faire une étude fiable, et pour l'instant j'en ai un peu moins de cinq cents, ce qui est assez problématique. Mais peut-être pas dramatique puisque d'autres ont fait des études auparavant, notamment sur la voyelle dont je parlais, et que je pourrais peut-être récupérer leurs enregistrements. Et je vais également travailler sur du discours.

Ce qui nous amène à une autre partie du travail qui est d'enregistrer des histoires, quel qu'en soit le sujet, dans la langue. Pour les Sirionos c'est positif car je pourrais en faire des copies pour qu'ils soient écoutables par les enfants à l'école, par exemple, ainsi que lisibles. Et pour moi c'est intéressant car je peux observer certains mots être prononcés un peu différemment, par exemple quand ils suivent une voyelle nasale. On passe ainsi systématiquement de re à nde après une voyelle nasale. J'ai environ une demi-heure de texte enregistré, et j'occupe mes heures libres à tenter de les écrire, à voir quels mots je connais et comment ils sont modifiés. Le problème pour écrire bien et complètement est que j'ai besoin de l'aide d'un Siriono, et pour l'instant je n'en ai pas. Un de mes informateurs est professeur à l'école et donne des cours de découverte de la langue, parlant davantage en espagnol qu'en siriono. Il a pour l'instant refusé de m'aider pour faire ça, mais je garde espoir qu'il change d'avis. Sinon je suis assez embêté à vrai dire.

Les textes sont variés comme je l'ai dis et peuvent être des mythes anciens (d'avant la christianisation qui a tout gommé bien sûr) ou des explications sur l'artisanat et les plantes médicinales. J'ai aussi abordé avec deux personnes les mouvements politiques qui ont amené le territoire à être autonome et la Bolivie à devenir un État plurinational. C'est donc bien intéressant car j'apprends plein de trucs et que mon corpus recouvre plusieurs domaines différents.

Je collecte donc des mots et des phrases pour essayer de voir de quoi sont composés les mots, non dans leur signification mais dans leur construction sonore. C'est un premier travail qui peut mener ensuite à faire une description grammaticale de la langue, de comment sont construites les phrases. La question se posera néanmoins de voir si il sera possible ou non de mener cette étude, ce qui dépend de l'implication des Sirionos et du nombre de bons parleurs qui pourront m'aider. En l'état actuel, avant d'avoir visité le second village, je suis assez pessimiste sur la possibilité d'une description complète de la langue, ce qui m'obligerait à changer de sujet pour la suite de mes recherches et ne serait pas sans contraintes, parce qu'à force, je connais pas mal de choses sur les Sirionos ! Et vous aussi, qui suivez mes aventures ! Mais ce serait aussi l'occasion de visiter un autre coin d'Amérique du Sud, ce qui serait très chouette !

L'avenir me permettra de me faire une idée plus précise de la situation, et de collecter les mots qui me manque, je l'espère ! En attendant, n'hésitez pas si vous avez des questions j'y répondrais !

2 commentaires:

  1. Merci pour cet article, j'arrive un peu mieux à cerner ce que tu fais là bas !!
    J'imagine que c'est loin d'être évident au vu des différents comportements.

    Courage !!

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  2. Ça y est je me met a jour de tes articles ! Je ne pensais pas que les habitant seraient si ... Peu enclin a t'aider ! mais maintenant que j'y pense c'est vrai que ça peut être un sacre problème ! Jsp que dans le second village plus d'aide tu trouveras :)

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