Pitch

Fragments de voyages en Bolivie par un apprenti linguiste étudiant la langue des Siriono.

mardi 5 août 2014

Réalisations

Je rédige cet article depuis plusieurs jours afin de vous proposer une belle conclusion pour le temps passé en Bolivie en 2014. En effet, j'ai quitté le village d'Ibiato hier et je quitte la Bolivie dans quelques heures, pour n'y revenir que l'année prochaine. Au long de ces trois mois, vous avez pu lire pas mal de mots négatifs, de critiques et de questionnements sur ce projet, mais malgré ça, j'ai bien avancé et j'ai réalisé pas mal de choses, c'est ce dont je vais vous parler aujourd'hui, avec des photos d'une incohérence de teinte encore jamais vue.
Je quitte le village, après un jour de pêche où j'ai levé trois yeyu.
J'ai bien avancé dans l'étude de la grammaire de la langue, ce qui est la raison principale de ma présence en Bolivie. Pour cela, j'ai révisé mes analyses de l'an dernier et en ai fais de nouvelles, presque uniquement avec Hugo. Je n'ai que tardivement trouvé d'autres personnes motivées pour m'aider et maintenant que j'ai habitué quelqu'un à ma façon de fonctionner, il est difficile de changer. D'autant que mon collègue et ami Hugo a arrêté d'aller se saouler à chaque fin de semaine (malgré quelques tristes rechutes). Il s'implique bien plus dans l'étude et s'est convaincu progressivement de l'utilité de tout ça et du fait qu'il se forme grâce à moi, qu'il apprend énormément. Il s'est même remis à composer des chansons dans la langue. En calculant pour lui rédiger une note, j'ai compté 550 heures de travail depuis deux ans. 
De droite à gauche : Fernando, Hugo, Ezequiel et son fils Hudson Daniel, Bella, Feliz et vôtre serviteur.
Je n'ai pas enregistré énormément de nouvelles vidéos. D'abord parce que je répondais aux invitations et que je n'en ai presque pas reçu, et également parce que j'ai atteins le quota pour ma bourse. Les enregistrements sont des moments de socialisation de mon projet, mais ils sont néanmoins assez pénible, car j'ai à lire un accord de participation de deux pages puis à écouter leur enregistrement en double, leur montrant le résultat après l'enregistrement. Et bien sûr, je termine par les discussions financières. Bref, du coup, j'ai laissé ça de côté en essayant de ne vexer personnes, mais comme ils ne me sollicitaient pas, ça a bien fonctionné. Au final, j'ai un peu moins de 24 heures de vidéo, ce qui est néanmoins pas mal du tout.
Les écoliers sirionos dansent pour la fête du village.
J'ai vécu dans ma maison construite l'année dernière et pour laquelle je n'ai pas eut à faire beaucoup de travaux. J'ai construit un nouveau banc pour laisser dehors, afin d'accueillir les passants. Des deux cocotiers plantés l'année dernière, l'un a pourri et l'autre n'en finit plus de sécher. J'ai donc abandonné les plantations, sachant que mes hôtes ne s'en occuperaient pas. J'ai découvert quelques nouvelles spécialités culinaires locales et appris à faire des cuñapés, à mon plus grand bonheur parce que j'adore ça ! J'ai pour ma part tenté quelques expériences avec les denrées disponibles. J'ai ainsi cuisiné des aubergines frites qui n'ont guère convaincu mes hôtes, des navets caramélisés qui ont emballé la famille du pasteur et leur ont rappelé la racine de palmier locale qu'ils ne m'ont jamais fait goûter. Je ne suis pas peu fier d'avoir préparé la première pizza d'Ibiato, une belle galette au feu de bois qui a convaincu toute la famille ! Et pour mon départ, j'ai dégotté des noix pour mettre en miette dans le gâteau, ce qui a bien plu à tout le monde.
Les cuñapés qui cuisent dans le four en terre.
Mon grand projet de l'année, qui m'aura pris des mois mais que j'aurai terminé bien mieux que prévu c'était la construction d'une table de ping-pong ! Là encore, la première du village, alors que très peu connaissaient ce sport qui a bercé ma jeunesse. C'est d'ailleurs en pensant à cette période, et au garage de mon voisin clastrois que j'ai assemblé un pot pourri de musique française. J'ai parlé dans un précédent message de la quête pour obtenir les planches, qui a tardé terriblement mais qui a fini par aboutir, avec 10 planches d'ocho'o (iratei en siriono, hura crepitans). J'en ai alors fait couper cinq à 2,75m puis et fait fendre deux autres planches pour faire le support et y placer les pieds. Ceux-ci ont été débité dans un tronc de palo maria (kosoi, calophyllum brasilensis), plus solide, de hauteur réglementaire. J'ai ensuite cloué les demi-planches avec les pieds pour faire la structure et ai retourné l'ensemble pour y clouer les cinq planches. 
Comme dirait Desproges : Alors ça ici et ça là. Ah oui. Et ça, et bien ça là. Oui, voilà.
L'ensemble avait déjà une fière allure mais les planches allaient sécher et la table se déformer, j'avais donc un problème à résoudre. Sans ponceuse électrique à portée de main, j'ai opté pour l'achat d'une plaque de contreplaqué en ville, pour laquelle j'ai dû payer un trajet en taxi express. L'immense plaque a été recoupée au bon format et clouée sur les planches afin de former une étendue plus ou moins horizontale. Rapidement le contreplaqué s'est mis à gonfler de toute part et j'ai dû ajouter des clous jusqu'à former des constellations de clous. Le rebond de la balle n'est pas excellent, mais largement correct et la table a pas mal de gueule. 
La voilà alors que les voisins la découvrent, et au premier plan, des enfants qui jouent aux billes.
J'ai facilement motivé les enfants de la maison, moins les adultes. Un jeune de mon âge s'est pris au jeu et est passé plusieurs fois jouer depuis. J'ai formellement interdit à mon hôte de faire payer les gens pour jouer, même si je suis presque sûr que le fera après mon départ. J'ai réussis à enseigner les règles du jeu et on se marre bien autour de la table, même si le niveau n'est pas encore très bon. C'est une nouvelle activité collective pour le village et elle est bien acceptée. Les gens trouvent ça d'abord étrange puis très rigolos quand ils assistent à une partie, même si peu se lancent. Et en dehors des temps de jeu, la table trouve d'autres usages.
Une réunion du village, autour de la grande table.
Mais revenons à mon travail, car je n'ai abordé que deux aspects sur les quatre ! La troisième avancée est bien sûr le dictionnaire de la langue, augmentant progressivement le nombre d'entrée, jusqu'à atteindre 1400 entrées, dont 250 pour lesquelles j'ai indiqué le domaine sémantique et une centaine pour lesquels le nom scientifique vient accompagner les traductions espagnoles, françaises et anglaises. J'ai de nombreux verbes mais c'est surtout avec les animaux que j'ai progressé. Je me suis servis de photos de bouquins pour être sûr des traductions en espagnol local et ajouter les noms scientifiques. J'ai commencé par les mammifères à partir d'un rapport d'étude fait dans la région, j'ai continué avec les poisons grâce au musée ichtyologique de Trinidad puis j'ai dégotté à la bibliothèque de l'université de Trinidad un excellent livre d'oiseau. Un autre document que j'avais trouvé il y a deux ans m'a aidé pour les fruits locaux et finalement nous sommes allé au musée botanique avec Hugo pour feuilleter des livres de photos. 
Un extrait de ma base de donnée avec quelques animaux exotiques dont plusieurs singes.
J'accumulais ces connaissances sans que personne ne s'en rende compte et j'ai voulu rendre un peu plus visible mon avancée, et plus utile mon travail. Pour cela j'ai commencé à faire des livrets avec des dessins, les noms dans les deux langues et des petites phrases d'illustrations. J'ai ainsi produit, grâce à l'aide d'Hugo et les commentaires de quelques personnes : un livret avec une quarantaine de mammifères, un autre avec une trentaine de poissons, celui des oiseaux est en cours et dépasse déjà les trente volatiles et j'ai de quoi en faire un autre avec les insectes et les rempants mais je n'ai pas encore réussis à trouver la base scientifique. Je pense à un travail similaire sur les arbres, mais je n'ai pas de dessins ou de photos utilisables sous la main. J'ai en revanche produit une planche avec les fruits sauvages et l'époque où on peut les ramasser, me basant sur une étude déjà produite et sur mon collaborateur de travail. J'ai dû apprendre un peu à utiliser InDesign pour arriver au résultat que je voulais.
Une tortue qui n'est pour l'instant dans aucun livret.

 Pour tout cela, il manque encore une étape de révision, de relecture et correction, mais c'est bien avancé. Je ne pense pas éditer ces livrets dans le cadre de mon projet, bien que je prévois d'en parler à la fondation qui me finance, pour au moins imprimer une centaine d'exemplaires de chacun. Je pense voir avec les structures boliviennes, notamment le ministère de l'éducation. En attendant, car ça tardera sans doute des années, je prévois de les diffuser via une plateforme sur les langues indigènes qui se prépare, gérée par l'APCOB, une ONG bolivienne. J'ai discuté aujourd'hui avec la responsable qui m'a proposé de me charger la partie Siriono, ce qui m'intéresse bien, puisque le but de tout ça c'est l'apprentissage par les enfants mais surtout la diffusion la plus large possible. Pour l'heure, j'ai pu emprunter le vidéo-projecteur d'Emy pour projeter sur mon mur les animaux durant la fête du village, pour que l'inconscient des ivrognes imprime au moins quelque chose de leur soirée.
J'ai aussi projeté deux documentaires sur mon mur.
Je terminerai en disant quelques mots sur les relations humaines, car c'est aussi quelque chose qui a progressé pendant ce terrain. J'ai enfin réussis à être plus proche des enfants de la famille, ce qui m'était très difficile au début car je ne comprenais pas leur façon de parler. J'ai réussis à plaisanter avec eux à plusieurs reprises, notamment sur le fait que j'allais m'acheter un avion pour aller en ville plus facilement. Finalement, j'ai bel et bien acheté un avion qui vol dans leur chambre, lançant vers le plafond un rayon lumineux de plastique. J'ai aussi continué mes relations amicales avec mes voisins Ariel et Emy, le pasteur Ezequiel et sa femme Bella, Benjamin le footballeur, Angy la vendeuse de Trinidad et j'ai rencontré de nouvelles personnes très intéressantes, surtout à Santa Cruz. Plusieurs discussions intéressantes, des moments sympathiques et une aide pour traverser ces trois mois et demi qui se terminent et m'ont parus finalement plutôt courts.
A gauche la maison dans laquelle j'ai vécu ces trois mois, à droite celle où j'allais manger.
Je vous laisse sur ces derniers mots et vous dis à l'année prochaine ou peut-être avant, si je trouve d'autres choses à vous raconter en rapport avec ce projet en Bolivie.

dimanche 27 juillet 2014

Éducation et écologie

Jusque là, j'ai peu abordé le thème des enfants, car je ne suis pas confronté moi-même aux problématiques de l'éducation et que je ne me sens pas très à l'aise pour critiquer. Je peux néanmoins faire quelques observations sur le fonctionnement dans les familles qui m'environnent dans le village. Et pour une fois, des photos avec des gens dessus !

Passe ! Passe ! Meuuuuh
Les Siriono considèrent les enfants comme appartenant à toute la famille large et un gamin aura souvent plusieurs parents différents, parfois pour de longues périodes quand les parents partent travailler loin du village. Les enfants sont laissés à eux mêmes très jeunes et leurs parents leurs parlent très tôt comme ils parlent entre eux, attendant d'un enfant de trois ans des réponses, même si les sons ne sont pas encore tout à fait en place. C'est plutôt positif, mais il faut que vous imaginiez que les adultes sont peu différents des enfants, leur humour est le même et leur niveau de langage très similaire. Il n'y a pas de gravité, de façade ou de statut adulte dans le dialogue.
Mes parents ne regardent pas, et si je faisais une connerie !
Les Siriono ne sont pas polis. Ils ne demandent pas "s'il te plais", ne s'excusent pas quand ils bousculent quelqu'un, ne remercie que lorsqu'ils sortent de table, de façon très ritualisée. Un gamin viendra réclamer à son père un boliviano pour aller s'acheter une sucrerie en lui demandant "donne moi un boliviano", un ordre direct, sans ambages ni politesse. Je n'ai quasiment jamais vu un adulte refuser, en voyant le mioche chialer de lui donner une pièce. Une fois seulement, mon voisin Ariel a répondu à son gamin "mais si tu veux un bolivano regarde, lui il est boliviano, lui aussi, il y en a plein ici !" mais quelques minutes plus tard, il lui a donné. Ils n'apprennent pas la patience mais seulement la supplication et l'abaissement docile.
— Donne du gâteau ! demande-t-il à mon hôte.
En contrepartie, les enfants, dès 7-8 ans sont des esclaves pour les parents. Que ce soit pour mettre la table quand les parents préparent le repas, ça me semble normal, ils participent, mais une fois à table, le père ne se lèvera jamais, envoyant son gamin lui chercher un verre d'eau ou s'occuper de leur vente. C'est à eux d'aller chercher l'eau avec la brouette, le père ne le fera jamais non plus, alors qu'il ne travaille pas par ailleurs. Le gouvernement bolivien a acté cet état de fait social en promulguant récemment une loi-cadre sur le travail des enfants, ce qui ne va pas améliorer grandement la situation, sinon pour ceux qui travaillent dans les mines et ils sont nombreux. 
— Et si je jouais avec des trucs abandonnés (au premier plan, une poule, Bandito et Muñeco, les deux chiens de la maison)
L'enfance n'est pas vu comme une période d'apprentissage des savoirs, précédant la période d'acquisition des savoirs-faire. Ils mêlent les deux et ne prêtent finalement qu'une attention très maigre aux connaissances. Les parents n'enseignent rien à leurs enfants, et ce n'est qu'exceptionnellement que j'ai vu un gamin assis avec un cahier devant lui. Aucun livres dans les maisons et très peu de sollicitations pour savoir ce qu'ils ont appris à l'école. Quand les parents descendent en ville pour la journée, ils peuvent enlever leur gamin de l'école sans qu'il ne se passe rien. Il perd un jour de classe mais ce n'est pas un problème du tout. Des cents enfants actuellement à l'école, j'estime à une douzaine ceux qui sortiront avec le bac. Et à 1% le nombre d'enfant qui poursuivront leurs études plus d'un an ensuite.
— Qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui ? 
La maîtrise de la langue est très faible. Ils parlent un espagnol très altéré ici et je ne m'attends pas à ce que les enfants utilisent "vosotros", c'est devenu désuet en Amérique du Sud, mais je suis plus peiné quand ils ne comprennent pas car je prononce les s à la fin des verbes, indiquant la deuxième personne alors qu'ils ne le font pas. Je veux dire par là qu'ils n'ont pas acquis l'espagnol standard en plus de leur forme dialectale, alors que c'est un des éléments fondamentaux de l'éducation. Leur orthographe est terrible, leur vocabulaire réduit et ils ne maîtrisent pas les registres de langue, ayant les plus grandes difficultés à s'intégrer dans un autre milieu social que le leur. J'ai eu l'occasion de chatter par écrit avec une ou deux personnes et j'ai eut toutes les peines du monde à les comprendre. L'écriture sms utilisée par la jeunesse occidentale, c'est tout autre autre chose, car les enfants le font consciemment et maîtrisent deux jeux de caractères, deux alphabets. Ici ils n'en connaissent qu'un et très mal.
Une maison qui porte sa croix.
L'école est en train de changer pour devenir productiviste, pour intégrer les savoir-faire traditionnel dans son cursus, ainsi que la cosmovision des peuples boliviens. C'est que pour l'instant, l'enseignement est très colonial, leur parlant de la découverte des Amériques sans esprit critique (alors que le président fait des déclarations publiques fracassantes). En plus des lacunes terribles en histoire et géographie (pas un ne savait que la capital du Brésil, pays voisin, est Brasília), je sais qu'ils n'apprennent presque rien en biologie, physique, chimie, économie, sociologie. Et ça, je ne vois pas comment les enseignants vont pouvoir le changer avec le poids de l'église évangéliste dans le village (j'en ai parlé en mai). Comment parler de mouvement des plaques tectoniques qui formèrent les continents quand le monde a été fondé en sept jours ? Comment expliquer l'évolution alors que tous les animaux ont été modelés par Dieu ? Comment parler de flux économiques quand Dieu préside à toutes les décisions ? 
Sur le chemin de la vie, un sachet d'eau abandonné.
Ce qui me dérange le plus, ce n'est pas tant leur mauvaise éducation que les conséquences écologiques qu'elles vont avoir. En ne se préoccupant pas des conséquences ils se détruisent physiquement et ils ruinent leur environnement, la nature autour d'eux. Quand ils jettent un morceau de plastique qui mettra des siècles à disparaître en détruisant tout autour de lui, le problème est bien plus large. Ces êtres humains qui vivaient en harmonie avec la nature sont en train de la détruire à cause des nouveaux produits auxquels ils ont accès et qu'ils ne savent pas gérer, à cause aussi de l'agriculture intensive qu'ils laissent entrer sur leurs terres à cause de la corruption politique (je parlerai de ce thème une autre fois). Bien sûr, cet aspect là n'est pas la conséquence d'un manque d'éducation à la base mais c'est seulement par l'apprentissage et la prise de conscience que ça ne résolvera, ce qui passe donc par l'éducation.
Les poubelles poussent au milieu des trèfles
Je me sens complétement impuissant face à tout ça, car il y aurait tout à changer et que je ne peux pas prétendre donner l'exemple sans m'occuper de mioches directement, ce que je n'ai absolument pas envie de faire. J'ai tenté d'enseigner quelques notions de géographie aux enfants, mais je n'ai pas su capter leur attention très longtemps, alors que je trouve Google Earth complétement fascinant. J'ai évoqué plusieurs fois le fait qu'ils contaminent leurs sols et se détruisent la santé en jetant les emballages plastiques au vent, mais sans succès. J'ai déjà parlé dans le dernier message de mon sentiment d'impuissance et d'inutilité, et il est très fort concernant l'éducation, même si je me trouve des excuses plus facilement. Finalement, je m'en tire avec une pirouette et un peu d'humour.
Nature morte ?

samedi 12 juillet 2014

Être utile

Un article anniversaire puisque cela fait trois ans aujourd'hui que j'ai découvert le village des Sirionos, Ibiato !
Mon projet avait commencé bien avant ça mais c'était le 12 juillet 2011 que je découvrais ce qu'allaient être mes conditions de vies pendant les années à venir, pendant tout ce temps que j'ai passé loin de chez moi. Si je ne peux pas compter exactement les jours passés au village, je sais que j'ai passé jusque là 336 jours en Bolivie. Lorsque je partirai, le 5 août, je terminerai presque une année solaire, et ce n'est pas rien. Il n'est pas temps de clore ce blog par un bilan, mais je discuterai plutôt de l'utilité de tout ça.
C'est un peu flou, comme cet oiseau capturé au vol et apparaissant uniquement comme une tâche noire.
Utile, c'est un qualificatif qui entraîne de nombreuses discussions dans tout récit un tant soit peu personnel, comme l'a montré mon père. Déjà les grecs écrivaient pour légitimer leurs actes, et beaucoup ensuite prenaient la plume comme je prends le clavier pour expliquer à ceux qui pourraient les juger les raisons de leurs actes, l'utilité de leur vie pour la société. Et aujourd'hui, alors que la société propose de moins en moins de sens dans les emplois, il y a une crise d'utilité. La jeunesse perdue, désillusionnée, désenchantée, la génération X/morte/post-...tout ça pointe le manque de buts, d'objectifs communs et de place pour les gens dans la société, d'utilité sociale.
Mais prenons un peu de hauteur sur tout ça.
Et si j'écris aujourd'hui sur ce thème, c'est parce que j'ai régulièrement à légitimer mon utilité, que ce soit à mes interlocuteurs ou à moi-même, quand je ne supporte plus mes conditions de vie au village. Je vais tenter d'organiser mes réflexions ci-dessous, en espérant ne pas être trop ennuyeux à lire.
Entrez donc dans la jungle avec moi.
Je ne me suis pas consacré à la linguistique pour étudier une langue d'Amazonie, et quand on m'a proposé ce projet, j'y ai beaucoup réfléchis. Je voulais étudier les langues artificielles et j'ai donc vu cette étape comme un moyen de compléter mon parcours de formation en linguistique. Comprendre une langue dans sa globalité aide à discuter des créations, comme d'étudier le fonctionnement d'un jardin botanique permet ensuite de sélectionner les essences que l'on veut voir dans son propre jardin. J'ai aussi vu la légitimité d'un travail basé sur le terrain et non sur des vieux livres poussiéreux. J'avais un besoin de matérialité dans l'étude de ce qui ne l'est pas, une langue étant en soit un système flottant dans l'espace entre les êtres. J'ai donc d'abord vu l'utilité pour mon parcours professionnel.
Une façon de colorer mon parcours, comme cette plante colore le chemin.
Une fois lancé, j'ai eu à obtenir des financements pour réaliser mon étude et j'ai donc dû légitimer l'utilité scientifique de mon projet. Pourquoi étudier cette langue là alors qu'il en existe plus de 6000 dans le monde ? Les raisons sont nombreuses et je ne les avais pas toutes cernées à l'époque. La plus simple et que chaque langue présente une grille de lecture du monde et forme en soit une richesse propre. Les connaissances du milieu naturel peuvent être une richesse pour l'humanité et idéalement, les connaissances qu'ont les Sirionos des quinze espèces d'abeilles qu'ils connaissent pourraient servir à la productions de nouveaux remèdes. Ça, je n'y crois pas moi même. Si ça se fait un jour, ça sera pas le pillage direct de la part de grandes entreprises et ils referont toutes les études sans consulter les populations. Un autre but scientifique est la connaissance historique des mouvements de population humaine. C'est plus récent pour moi mais c'est un thème qui m'intéresse beaucoup, l'Amérique du Sud étant encore une terre de mystères que des générations encore vont étudier. Un dernier point pour l'utilité scientifique est l'analyse des évolutions de la langue liée à son statut, ce que je vais utiliser comme transition, ben tiens.
Je me rapproche du sujet : des bouquets de piques roses, et je n'ai pas retouché la photo.

Le statut de cette langue, c'est qu'elle est menacée de disparaître à court terme. Au sein d'un groupe humain de moins de milles individus, il ne reste qu'une quarantaine de locuteurs maîtrisant bien la langue et à peine autant qui la parle sans la posséder complètement. Il y a donc une utilité à sauver cette langue de sa disparition, à faire de la conservation comme les biologistes le font pour les espèces animales ou végétales. Je pourrais aussi aider à ce qu'ils revitalisent la langue et la parlent davantage mais je ne crois pas que ce soit utile pour eux. Je considère qu'un être humain a besoin de se sentir proche d'une culture à laquelle ont appartenu ses ancêtres, par un moyen ou un autre, mais les Siriono ont provoqué une telle rupture avec leur société passée, à cause de l'église puis de l'entrée dans la société marchande bolivienne, qu'il est trop tard. Ce qu'ils sauveront, ça ne pourra être que des mythes, comme ce que nous avons gardé des Grecs ou des Gaulois. Je sens l'utilité d'aider à ce que la langue puisse subsister comme élément de patrimoine, qu'ils connaissent quelques mots, des expressions et des phrases figées, ça j'en vois l'utilité, mais pas que ça redevienne un moyen de communication. Cela dit, cela dépend d'eux, de l'utilité qu'ils prêtent à la langue.
De même que cette plante dont ils mangeaient les fruits et qu'ils délaissent à présent.

Depuis trois ans, je leur parle de leur propre langue, les questionne sur leur passé et leur culture. En trois ans, je n'ai pas mangé une seule fois un des fruits traditionnels, bu de la boisson fermentée à base de palmier ni goûté la viande cuite enroulée dans une feuille de patuhu comme ils faisaient avant. Pas une fois je n'ai vu la danse typique, et les seuls chants que j'ai entendu étaient pour la caméra et non pour d'autres du village. Ma présence a très peu changé les choses, car les consciences évoluent lentement, les écologistes le savent bien. J'aime défendre une position que je sais positive alors qu'elle est très minoritaire, sinon je ne parlerai pas d'espéranto ou d'anarchie, mais que puis-je défendre lorsque je ne fais pas partis de la société que je souhaite voir changer, et lorsque je ne pense pas ce changement utile.
Serait-ce comme de lutter contre la chute des feuilles en hiver ?

J'ai tenté pendant longtemps de leur prouver l'utilité de mon étude pour eux, alors qu'ils ne me réclamaient qu'une aide financière. Cette année encore, je tente de leur prouver en produisant du matériel scolaire et en proposant des formations aux instits de l'école, mais je me retrouve presque toujours confronté à un désintérêt poli. Le basculement d'opinion en ma faveur s'est davantage produit lorsque j'ai lu un courriel de l'ancienne missionnaire qui vivait là. Je l'ai lu pendant l'anniversaire de l'église, en montant sur le pupitre et en commençant dans leur langue, avant de passer à l'espagnol. Et ils ont réalisés que je parlais leur langue. Pour autant, aucun n'est venu spontanément me proposer de réviser le dictionnaire que je m'acharne à faire, ni chercher à profiter de l'enseignement que je pourrais lui fournir. A l'issu de mon projet, j'ai la possibilité de laisser mon matériel où je pense que ce sera le plus utile : dans la communauté ou à mon centre de recherche en France. Et je n'ai aucune hésitation, ça ne sera pas utile pour eux.
Faut-il espérer un autre printemps ailleurs ?
Ce n'est pas très utile pour eux, et ça l'est encore moins pour ma communauté de naissance. S'il me venait l'idée de rendre à ceux qui m'ont éduqué en éduquant à mon tour, que vais-je transmettre ? Il n'y a aucune utilité directe pour le village ou j'ai grandis, pour ma famille ou pour mes amis. J'ai parfois tendance à voir seulement les aspects négatifs que ça a provoqué dans ma vie affective et amicale. L'utilité, je peux la trouver si j'augmente la focale. Si je parle de rayonnement scientifique de la France, d'utilité pour la Science, de village global, alors là oui, je suis utile, mais au niveau concret, quand je vois la société autour de moi, je ne suis pas utile. Je ne contribue pas à l'amélioration de la condition humaine, à la réduction des inégalités, à la course vers la liberté. Au mieux j'aide cinq cents individus de Bolivie à améliorer leurs estimations d'eux mêmes comme indigènes, mais cela en vaut-il la peine ? Selon les jours, selon les personnes avec qui je parle une fois rentrée au pays, j'en doute. Je me raccroche alors à l'idée que ça pourra être utile plus tard, que je pourrai enseigner d'une bien meilleure manière grâce à cette expérience.
Ce n'est pas très gai jusque là, pas de quoi se marrer, hein ?

Et j'arrive donc à la dernière utilité, l'utilité personnelle, pour mon amélioration en tant qu'être humain. J'ai commencé mon projet par voir cela et j'y reviens inévitablement après tout ce temps, quand toutes les autres utilités me semblent dérisoires. Je suis encore en train de me former, pour être utile plus tard, et pendant ce processus, j'essaye d'être le plus utile possible, à une échelle modeste. Je ne peux pas changer le monde si je ne suis pas capable de l'appréhender, de comprendre les sociétés et pas seulement celle dans laquelle j'ai grandis. Je ne peux pas critiquer une attitude si je ne comprends pas les autres attitudes possibles. De ce que je vis ici, j'apprends, et ça c'est utile, et ça le sera.
Comme cette plante, un jour je serai une fleur sur un poteau électrique, ce qui serait une belle métaphore cyberpunk.
C'est tristement égoïste comme conclusion, et j'en suis pleinement conscient. On ne peut pas aider le monde si l'on ne s'aide pas d'abord soi même, si l'on ne se forme pas pour le faire. Je sais bien mieux interagir avec des adultes aujourd'hui qu'il y a trois ans, pour des relations de natures très variées, culturelles, commerciales, personnelles. Je suis capable d'une patience infinie face à l'inattendu ou aux gens bourrés. J'ai affiné mes idées et enrichis mon imaginaire. Au final, je crois que tout ça n'aura pas été vain, que ça m'aura été utile.

Vous en dites quoi ? Cette réflexion a-t-elle été utile ? Ces trois ans vous paraissent-ils utilement utilisés ?

vendredi 4 juillet 2014

Vivre chez les pauvres

Cette fois-ci un article au ton un peu plus critique, moins rigolo que les précédents, plus personnel et avec des photos qui n'ont rien à voir. En effet, je vais vous parler de ma vie au village et des problèmes liés au fait d'aider des pauvres et en parallèle, je vous montrerai quelques photos de l'ancienne demeure du gouverneur de Belém, où j'étais le mois dernier. Les légendes suivent le texte, si jamais vous le lisez en diagonal vous risquez de ne pas comprendre. Elles apportent un peu de légèreté à un texte qui en manque peut-être.
Entrez dans la demeure du luxe brésilien façon Belle-époque.
D'abord une précision. Je parle des pauvres car les Siriono le sont, aussi bien financièrement que culturellement. Je n'utilise pas ce mot comme une insulte mais parce qu'il désigne une réalité précise, que je connais bien. Je ne l'utilise pas pour son côté affectif, ce ne sont pas mes pauvres Siriono. Ils sont pauvres et vivent d'une manière qui ne leur permet pas de changer cet état de fait. Je ne suis pas riche, ni en France ni ici, mais j'ai plus d'argent qu'eux. Je peux retirer à la banque plus d'un mois de salaire en une fois et cela provoque évidemment une différence de statut entre nous. Je suis vu comme riche, parce que je n'agis pas comme un pauvre. En France, je ne suis et je n'étais pas pauvre, mais j'ai été éduqué de façon à ne pas l'être, ne dilapidant pas mon argent en soda ou en grignotage à toute heure de la journée, renonçant à un achat plutôt que craquant à toute heure, ne buvant pas tout mon solde, ne possédant pas le dernier cri, ne cherchant pas à investir pour gagner au dépend de mes amis. Bref, je n'agis pas comme les gens ici.
Et c'est pas de pot, puisque c'est un vase chinois.
Je ne leur prête pas à tous les critiques que j'ai faites ici, mais la plupart vivent au jour le jour, dans l'attente d'une manne magique qui leur donnera de quoi survivre. Le problème c'est que ce fut le cas avec tous les gens qui ont cherché à les intégrer à la société bolivienne. Et même le gouvernement qui cherche à les doter de plus d'autonomie se trouve face au problème de la dépendance et de l'attente d'une aide spontanée venant des riches. Ils n'acceptent pas l'idée d'impôt, les riches ont seulement le devoir moral d'offrir aux pauvres. Et les pauvres de leur réclamer. Ils se placent donc dans des positions de dépendance et de misérabilisme en permanence. 
Levons le regard pour regarder d'où vient cette chaude lumière dorée.
Et quand enfin l'argent rentre, ils l'utilisent pour des dépenses non pérennes, ce qui est, je crois, lié à leur environnement immédiat dans lequel les maisons en feuilles de palme ne durent pas plus de huit ans et a à voir avec la courte durée de vie des gens. Ils ne laissent rien à leurs enfants et profitent sans crainte du futur, car il y aura toujours moyen de se débrouiller. Il en résulte de nombreux projets de développement économiques qui se cassent la figure, des travaux urbains qui tardent (car il faut aller pleurer auprès des riches) et un laisser faire général qui ne permet pas à la situation de changer.
Ce qui n'est pas commode.
Mais je ne suis ni sociologue ni psychologue en pathologies collectives, aussi je vais ramener ce thème vers moi et en quoi tout cela m'affecte dans ma vie quotidienne. J'ai déjà parlé du système de parrainage dans lequel ils essayent régulièrement de m'inclure (souvenez-vous, une histoire d'anneaux) et j'avais tenté quelques analyses en 2011 sur leurs consommations qui sont pour la plupart encore d'actualité. Je connais les Siriono depuis maintenant trois ans, j'ai vu beaucoup de choses, je connais leur société, je peux même parfois me permettre de donner mon avis, mais la plupart du temps je subis leurs mauvaises habitudes sans pouvoir m'y faire. 
Parfois quand même, je lève les yeux au ciel.
Je paye à mes hôtes une pension tout à fait correcte,dans le but de ne pas transformer leur économie par ma présence. Je déjeune et dîne de pain et thé, un thé que j'ai acheté moi, et qu'ils n'aiment pas. Pour un boliviano on peut avoir deux pains. En arrondissant large, disons donc 10 bolivianos pour les deux. Une assiette dans la rue coûte entre 10 et 12 bolivianos, davantage s'il y a des choses plus élaborées, ce qui n'est pas souvent le cas au village. Disons donc généreusement 25 bolivianos par jour x 30 jours 750 bolivianos. Je paye 1000, comptant en plus le fait qu'elle lave mon linge. Mais à côté de ça, les toilettes sont constitués d'un socle de bois au dessus d'un trou grouillants de vers, je vais chercher de l'eau avec une brouette un jour sur deux pour me doucher avec une calebasse entre quatre planches, je balaye ma maison un jour sur trois. 
Ce qui me prend à peut près une minute, alors que cette baraque doit être une horreur à entretenir.
 Le confort de ma chambre est minimal. Le sol est de terre battue, les murs de planches disjointes. Ils me prêtent un lit au matelas très fin et aux lattes très dures, une table et deux chaises en plastique. J'ai construis une étagère et un banc, qu'ils m'ont échangés contre un autre plus grand, ce qui me va bien. J'ai acheté un ventilateur en plus, qui restera à mes hôtes ainsi que ma maison et tout ce que j'ai construis.
Mes meubles ne sont pas aussi beaux que celui-ci.
Je m'entends plus ou moins bien avec mes hôtes selon leurs difficultés financières, mais dès qu'ils ont des problèmes, ils se tournent immédiatement vers moi, cherchant à en profiter à chaque fois. J'ai acheté des planches récemment pour fabriquer une table de ping-pong et il a fallu aller les chercher dans la jungle. Au retour, je demande à la femme de mon hôte combien a demandé le bus pour le transport des planches et elle me répond 25 euros. Quand je demande à mon hôte ensuite il me répond 8 euros. Elle a encore cherché à profiter d'un échange financier. Alors le soir, quand ils m'ont réclamés de payer la pension pour mon collègue de boulot qui mange avec nous à tous les repas, je lui ai dis qu'il me semblait que ce que je lui payais suffisait pour payer pour lui aussi. Il s'est énervé et a fais la gueule pendant deux jours.
Je ne me lasse pas des lustres, ils ont tous un petit quelque chose, non ?
J'en ai parlé à mon collègue de boulot qui m'a dis de plutôt l'augmenter lui et qu'il se chargerait de voir avec mon hôte, qui est son frère, d'autant que l'année dernière il lui a réclamé de l'argent après mon départ, alors que j'avais payé pour sa pension. Je lui ai donné 500 bolivianos et il est allé discuter avec son frère, qui lui a réclamé d'emblée 1000 bolivianos. Pour donner une idée de l'ordre de grandeur, un instit va gagner 1400 bolivianos par mois, c'est donc une somme énorme qu'il lui réclame. Ils se sont donc engueulés et mon collègue est partis se bourrer la gueule au village d'à côté, vendant son téléphone portable pour acheter de la bière.
Il n'a d'ailleurs aucun meuble, ayant tout échangé pour de la bière.
C'est une anecdote, mais elle représente assez bien la situation courante. Dès que je sors de chez moi, je suis sensé inviter à boire, payer pour une bouteille de Coca ou davantage. Quand on va en ville, ils s'attendent à ce que je les invite et quand je suggère qu'ils invitent pour la boisson puisque j'ai payé pour le repas, ils rigolent et trouvent ça complétement absurde. Dès que j'en croise un qui me connait un peu, même si je ne connais pas son nom, il va me demander de lui prêter de l'argent qu'il me rendra aux calendes grecques. 
Et passent les lustres comme les années.
Mais la pauvreté n'est pas que financière, elle est également culturelle. J'ai découvert deux nouvelles sociétés en allant en Bolivie, la société bolivienne et la société siriono. La première est un mélange de chrétienté et d'influences américaines avec un très faible niveau d'éducation et peu de flux de populations. La seconde, la culture propre du peuple indigène, et bien elle a beaucoup souffert et elle ne s'exprime plus au présent. Il n'y a que très peu de différences aujourd'hui entre leur village et le village non-indigène d'à côté. Ils sont peut-être encore plus pauvres culturellement, n'ayant pas de musique en propre et se contentant des standards de la région, n'ayant pas de production artistique ni artisanale. 
Avec tout le bois qu'il y autour de chez moi, je n'ai jamais vu un seul parquet, dommage.
Les discussions avec les jeunes du village tournent donc rapidement dans le vide et les vieux me rabâchent des histoires que je commence à bien connaître. Je passe de plus en plus mes soirées dans ma chambre, n'ayant que peu d'échanges stimulants ou enrichissants. Certaines fois, je découvre de nouvelles pratiques traditionnelles ou des tabous anciens qui me rappelle pourquoi je suis là, mais ce que peuvent me raconter mes hôtes se ramène à peu de choses et les histoires que je peux raconter ne les intéressent pas. Ils ne cherchent pas à découvrir ma culture, ni ce que j'ai pu découvrir pendant mes voyages. 
J'ai parfois l'impression d'être dans une salle d'attente entre deux portes.
Si la spartialité de mon habitat et la pauvreté de mon alimentation sont difficiles à supporter, la faiblesse des échanges humains me pèse davantage. Je peux m'arranger, construire un banc supplémentaire ou acheter une lampe de chevet pour ma chambre. Je ramène de la ville des noix du brésil, des fruits et des légumes. Et pour les échanges humains, j'ai internet, mais ce n'est pas la même chose. La vacuité de mon quotidien me pèse lourdement et reste pour moi une difficulté du travail de terrain bien pire que les risques sanitaires et les discussions financières interminables.  
Comme quoi, le contact avec les indigènes sud-américains reste encore aujourd'hui un défi.

mercredi 18 juin 2014

Une balade à Belém do Pará

J'ai laissé Belém derrière moi depuis presque deux semaines, et suis de retour au village. J'ai retrouvé mon collègue de boulot et je bosse donc activement. Je prends néanmoins un peu de mon temps de pause, depuis mon hamac, pour vous parler de Belém. J'aurais dû le faire plus tôt, j'ai l'impression d'avoir vécu plein de choses depuis et d'avoir oublié ce que je voulais vous raconter. Tant mieux pour vous, j'écrirai peu et vous proposerai seulement une grosse quantité de photos.

Je me souviens pourtant clairement de mes premières impressions. Arrivant de Bolivie, ce qui m'a le plus marqué, ce sont les voitures neuves. Le taxi qui m'emmène à l'hôtel est une berline avec la clim et le chauffeur à le réflexe de mettre sa ceinture de sécurité, chose que je n'ai vu dans aucune voiture bolivienne. Ce n'est pas le seul, je vois de nombreuses voitures neuves dans les rues de cette ville. Il y a une énorme pauvreté mais néanmoins une classe moyenne similaire à l'occidentale. De fait, c'est une vraie ville, avec son histoire, ses disparités et ses curiosités.

Art, hôtellerie, club nautique et œuvre postale.
Je n'ai compris que peu de choses à l'histoire de la ville, malgré une chouette visite à la maison du gouverneur, dont vous pouvez voir les photos dans un autre article qui parle de tout autre chose. Je vais néanmoins tenter de vous montrer trois aspects de la ville, sa richesse passée et actuelle, sa pauvreté actuelle et le faste de ses églises intemporelles. La ville de Belém du Pará a d'abord été fondée comme poste avancé colonial, d'où la présence d'un impressionnant fortin à l'entrée du port.

Une batterie de canons qui lézardent au soleil.

Un canon encore d’aplomb. J'ajuste mon tir et rate mon cadrage.

En plein tournage de...Amazonian Karate Kid ?

Belém a ensuite connu ses heures de gloire pendant la Belle-Epoque. L'exploitation du caoutchouc enrichissait cette ville portuaire et permirent à quelques riches d'offrir à la ville des allées de manguiers, une des spécificités de la ville, ainsi que de belles demeures autour du port. Celui-ci fonctionne encore, et les berges sont encore devenues tendance avec la construction d'une promenade et de docks modernes.

Depuis le fortin, à gauche une station de service pour les bateaux, au centre en rouge le marché de poisson.

Le port de Belém, avec ses anciens bâtiments encore glorieux d'un côté...

...de l'autre les pauvres pêcheurs qui se douchent à l'eau de mer, pendant que le touriste les photographie.

Les Docks modernes, grands entrepôts avec une plateforme sur rail sous le plafond où joue un guitariste translaté.

D'autres espaces urbains découpent la ville, notamment deux parcs, un dépendant d'un musée historique, très lié à l'université et aux personnes qui ont organisé le congrès de linguistique dans la ville, et un autre parc plus urbain, moins intéressant mais dans lequel il y a un phare permettant des vues touristiques de la ville depuis les hauteurs.

Citerne du parc transformée en château baroque par le fondateur du parc, on se croirait au palais du facteur Cheval.


J'ai trop de photos de ce parc magnifique, voici quelques aperçus.

L'autre parc bien plus moderne, et presque trop paysagé pour être honnête.

La ville en mode carte postale, depuis le phare (au centre).
Redescendant dans la ville et arpentant ses rues, on peut découvrir des quartiers vraiment très pauvres, la vieille ville a perdu tout ses commerces sauf peut-être quelques ferronniers et le marché aux poissons laisse une impression étrange. Les rues marchantes un dimanche également, semblant abandonnées.
Deux immeubles assez typiques de ce qu'est la ville.

La caserne de pompier, comme une dédicace à mon pote pompier ( à mi-temps !)

La rue du marché, un dimanche. Au centre, une ligne de tramway qui ne fonctionne plus depuis des lustres.
Et pour finir le tour de la ville, quelques photos d'églises, toutes de dorures et d'excès. Je reviendrai peut-être sur cet article plus tard, j'ai l'impression de n'avoir rien raconté. Mais bon, au moins vous pouvez voir les photos de ce court séjour à Belém du Pará !
La plus ancienne église je crois, proche du club nautique du début.

Grandiose et naïf, les représentations religieuses en Amérique du Sud ont toujours quelque chose de surprenant.

Une autre église, tout aussi démesurée.

En face de l'église, un bâtiment avec une dépouille, et des promesses moins pesantes que des cadenas.