Pitch

Fragments de voyages en Bolivie par un apprenti linguiste étudiant la langue des Siriono.

mercredi 31 août 2011

Dérive partie 1 : Cimetière de Trinidad

Je ne peux faire qu'un seul article pour la journée de dimanche et je vais donc vous en proposer deux, comme pour ma semaine à Ngirai, sauf que cette fois il n'est pas question de travail mais de tourisme et de ressentis. Mais je vais un peu vite et ne peut commencer ce récit le dimanche, je reviendrais donc à mon arrivée à Trini vendredi soir avant de vous expliquer le titre de cet article.
Aaaah, les colonnades vous manquaient, hein ?
Je quittais donc le village où j'avais eu tant de mal à entrer et ou j'avais enchaîné les changements de plans. Durant l'après midi avant mon départ je recevais un coup de fil, qui coupa au milieu faute de signal. Une fois dans la voiture je rappelle Swintha, lui annonçant que j'arrive bientôt. Elle me dit qu'elle va m'attendre pour sortir manger. Swintha est une linguiste allemande qui étudie une langue de Bolivie qui s'appelle bauré et qui est parlé au nord de ma zone, sans qu'il y ait jamais eu de contact entre les deux groupes, a priori. Elle a fini sa thèse en 2008 et elle a plus ou moins la quarantaine. Elle n'a pas du tout un look universitaire, arborant d'immenses dreadlock qui lui descendent jusqu'à la ceinture ainsi que plusieurs percings. Elle parle un peu français, mais on a plutôt échangé en espagnol. Elle venait en Bolivie quelques semaines pour chercher si il restait des locuteurs d'une langue dite disparue, le jora. Elle accompagnait également une amie à elle, étudiante en art. Les deux avaient monté un projet de livre illustré pour les enfants du village et allaient donc leur donner. Cette dernière ne parlait pas espagnol et je me suis remis à l'anglais avec difficulté.

Je passe sur la soirée de vendredi, la journée de samedi et la matinée de dimanche, qui furent très chouette, avec découverte d'un restaurant brésilien type Flunch mais en bien, avec assiette au poids, et travail studieux. Patricia, l'artiste, tente de m'expliquer son approche, que je ne comprends pas trop mais qui me semble proche de celle des situationnistes, et particulièrement de ce qu'ils nomment la dérive.

Une autre couleur de la ville
Une dérive diffère d'une promenade par son but. Il s'agit de marcher sans avoir un lieu pour objectif mais une recherche des sentiments que nous évoquent chaque lieux et des voies de circulation dans la ville. On peut arriver ainsi à dresser une sorte de carte psychogéographique du lieu visité, organisée par des unités d'ambiances et des plaques tournantes où se croisent les flux. Et lorsque Patricia m'a fait part de son envie de visiter le cimetière, je me suis dit que ce serait un excellent endroit où dériver.

Le gardien du lieu n'a pas l'air de cet avis
Nous nous y rendons vers 15h, en moto-taxi. Je reconnais un trajet que j'ai déjà fait et je situe un peu où nous sommes. L'entrée du cimetière est une immense porte en bois, entourée de colonnes sculptées en spirale. Nous entrons, entourés de gamin qui nous propose une visite. Près du porche se trouve une petite chapelle avec des gerbes de fleur. Comme vous le savez, je photographie les fleurs depuis que je suis en Bolivie, et cela me permet un premier constat : ce ne sont pas des imitations de fleurs locales. Encore plus que dans les cimetières français, se sont des symboles floraux, des illustrations de ce que sont les fleurs, mais ce ne sont pas des fleurs.

Les voilà, avec des colonnes et une vierge toute mimi
Je dérive ensuite seul dans le cimetière. Il est organisé en grandes zones mais au sein de chacune c'est de bric et de broc. Ce qui me fait réaliser à quel point nous vivons, en Europe, dans une société de l'unité et de l'uniformité. Ici, c'est le contraire, diversité des cultures et diversité des goûts sont clairement affichés. Il est impossible de trouver une rue d'une seule couleur, et c'est la même chose dans le cimetière. Il y a une variété impressionnante de tombes, et de monuments funéraires, mais j'arriverais à ceux-là plus tard. Ensemble est confus.
Oserais-je parler de pot-pourris pour décrire ce panachage ?
Le premier ressentis que me frappe est qu'il n'y a pas de volonté de quiétude. Chaque arbre est différent, certains croulants sous les fruits que viennent ramasser quelques personnes venant nettoyer la tombe d'une personne de leur famille. Les enfants jouent ou courent dans les allées sans que personne ne leur dise rien. L'idée de « reposer en paix » n'a pas été intégré par les boliviens, ni recherché par les européens ayant émigrés ici. Car ce n'est pas une coutume locale, entendons-nous bien, et je suis là dans un cimetière chrétiens.
Un cimetière bien végétal, dans certaines zones
Beaucoup de gens meurent seul, j'ai l'impression. Pas vraiment de service d'entretien, laissant voir des dizaines de tombes en friche, avec des herbes folles et ces croix de bois où sont écrits les dates de naissance et de mort. Je repense alors à l'exploration urbaine, au fait que la nature reprenne le dessus sur l'Homme. Ce n'est pas le cas ici, où l'Homme n'a pas cherché à dominer la nature, à la domestiquer.

Voir complètement dominé par la nature
J'arrive plus loin aux murs funéraires, comme il est de coutume dans plusieurs pays. L'impression d'être face à des HLM funèbres s'estompe face aux couleurs, qui forment un damier presque joyeux. Un écrit à même le mur indique que la couleur crème doit être utilisée pour les enfants. Certaines cases sont recouvertes d'une plaque en verre ou d'une grille pour protéger une icône religieuse et une photo de l'enfant, mais le plus souvent c'est très simple.

Choisis ta cage
Dans un coin du cimetière je rencontre un groupe de mausolées construits par des corporations : les pharmaciennes, une compagnie de taxi, les professeurs ruraux,...Il n'y en a pas beaucoup, mais le phénomène m'étonne. Je me dis qu'en Europe il pourrait tout aussi bien y avoir des cimetières pour routiers, pour ces gens qui existent socialement par leur métier plus que par leur famille. C'est aussi le cas des prof et docteur, dont le statut social est indiqué avant le nom.

Une des allées centrales
Il y a bien sûr des dizaines de caveaux construits par une famille, illustrant le fossé économique de la ville. Ils sont tous plus ou moins de la même taille mais tous de formes et de couleurs différentes. Je vais d'ailleurs terminer cette visite par une série de plusieurs édifices étonnants. Là encore, notons que le but n'est pas la tranquillité du défunt, mais de montrer la grandeur de la famille, quand bien même seule deux personnes y sont enterrées.

Oh, les belles colonnes grecques !
C'est d'ailleurs un constat global : ce cimetière est vide. Ou plutôt, il n'est pas plein, comme le sont les cimetières européens. Il y a encore beaucoup de place, tant du côté des pauvres que de celui des riches. Les murs de tombes ne sont donc pas choisis par manque de place mais plus vraisemblablement pour des raisons économiques. Une inscriptions sur l'un d'eux me fait penser aussi qu'il pourrait s'agir d'un service de la ville, pour ceux qui n'ont pas les moyens ou pour les gens qui meurent vraiment seuls, mais je n'en suis pas sûr.

J'ai beaucoup aimé ce modèle réduit
Ma dérive aurait pu s'achever là, sur ce cimetière immense, qui laisse une impression si étrange, mais ce ne fut pas le cas, comme vous le verrez dans le prochain article ! Il ne viendra par contre que vendredi, puisque je vais retourner aujourd'hui dans les villages donner des copies de mon travail et dire au revoir. La suite de la dérive m'a emmené dans un endroit bien différent mais encore plus dépaysant ! 






mardi 30 août 2011

Une semaine sous les griffes de l'Aigle

Cet article fait suite à celui qui raconte mon changement de village et sera consacré à ma semaine de travail à Ngirai, ainsi qu'à la présentation du village ! Je m'excuse pour la qualité des photos, que j'ai pris en fin de journée et qui ne rendent pas du tout comme c'est en réalité. Je vous en proposerais peut-être des meilleurs plus tard.

On dirait de la boue par terre mais pas du tout
Ngirai est le nom en siriono d'un village qui s'appelle Pata de Aguila, ou Patte d'Aigle en français. Il s'agissait à l'origine d'un lieu-dit. Lorsque les Sirionos chassaient l'aigle, ils avaient pour coutume d'accrocher les serres sur des piquets, formant une sorte de champ qui devait être assez impressionnant. Il n'en reste rien, et le lieu-dit n'est peut-être pas tout à fait là mais qu'importe, c'est le nom qu'a pris ce village lors de sa fondation, en 1999. C'est un jeune village, fondé par plusieurs familles Sirionos, avec d'autres qui sont venus ensuite agrandir le village. Politiquement c'est une partie de la commune de San Javier, mais je ne sais pas ce que ça change réellement. Je ne crois pas qu'ils payent d'impôts de toute façon.
 
Le terrain de foot central est encadré par une école qui compte sept professeurs et par la route qui part vers le nord, empruntée principalement par des camions transportant des troncs d'arbres énormes. Il y a un petit centre de santé et plusieurs rues qui témoignent d'une volonté d'expansion et d'un urbanisme basé sur le modèle colonial. Je veux dire par là que l'ajout d'une rue signifie pour eux l'agrandissement de la ville, même si il n'y a aucune nouvelle maison et qu'ils ne se déplacent quasiment qu'à pied. Les rues font bien, donc, mais ne structurent pas le ville, qui est plus ou moins structuré selon les familles. De même qu'à Ibiato, pas de centre social, si ce n'est l'école. C'est peut-être un village plus individualiste, les maisons étant assez éloignées les unes des autres. Il n'y a pas l'électricité mais depuis peu il y a de l'eau potable. Un forage et de nombreuses canalisations permettent d'obtenir de l'eau à divers endroits du village. Une sorte de bain public est en construction, pour améliorer l'hygiène dans le village. Si j'ai bien compris, l'idée est de faire plusieurs douches et une grande citerne. Un projet avec un entrepreneur de culture de canne à sucre devrait permettre d'amener l'électricité et de proposer du travail aux gens du village.


Le futur chateau d'eau

Actuellement, ils sont très pauvres et la plupart partent travailler à la journée dans des élevages voisins, pour une cinquantaine de bol (5 euros). Plusieurs travaillent aussi dans une communauté mennonite plus au nord. Les mennonites sont un peu comme les amiches en moins rigolo, et je ne vais pas digresser davantage sur le sujet, vous renvoyant vers la page de Wikipédia, si ça vous intéresse.

Je sortais donc de la réunion du village où j'ai présenté mon projet. Un homme d'une soixantaine d'années, peut-être un peu plus, me propose de l'accompagner jusqu'à sa maison, car il veut me parler. J'y vais et rencontre sa femme, qui ne parle aux enfants qu'en siriono ! Nouveau décalage par rapport à Ibiato : ici la langue se parle dans les familles ! Lui s'appelle Mario et elle Mery. Il me parle en siriono, me racontant diverses histoires passées, principalement sur la vie du missionnaire Juan Anderson, venu fonder Ibiato. Ce soir là, et le lendemain, il s'échinera à me faire une hagiographie complète de ce saint homme qui amena la civilisation aux Sirionos. C'est oublier un peu vite qu'il a fait du village un camp de travail, envoyés les enfants dans une école hors du village où leur langue était interdite et contribué à la déculturation progressive des Sirionos. J'ai l'impression que la croyance religieuse amène à la construction de martyrs, transforme forcément le statut du prêtre en celui de messie, chacune de ses souffrances étant vues comme des sacrifices faits en l'honneur du village.
Une autre vue de l'école du village

Enfin bon, ça reste des textes en siriono et c'est donc intéressant pour moi, d'un point de vue linguistique. Il me propose de retravailler avec moi le lendemain, mais me dit qu'il doit nourrir sa famille et que ça l'arrangerait bien que je lui dédommage sa journée de travail au champ. J'accepte et on se retrouve donc le lendemain matin. Il m'accompagne cette fois pour rencontrer deux petites mamies qui sont les deux dernières locutrices monolingues ! C'est à dire qu'elles ne parlent pas espagnol et que les gens ne communiquent avec elles qu'en siriono ! Je pense qu'elles sont un des moteurs de la conservation de la langue dans le village, et c'est avec joie que je pu les rencontrer ! J'ai pu enregistrer plusieurs paroles d'elles, encadrées par celles de Mario, qui dirigeait les récits sur la vie du saint Juanito, donc.

La matinée se termine bien, même si je suis complètement épuisé. Je retrouve Mario après le repas et il me propose de nous installer au centre de santé, celui-ci étant clôt et donc protégé du vent qui souffle assez fort ce jour là. On y va et je vois en arrivant un panneau solaire, et à l'intérieur une prise. Je me dis que ça pourrait être pas mal d'utiliser mon enregistreur avec ça, pour éviter de gaspiller des centaines de piles. Je demande à la docteur, puis j'essaye sans succès. Arrive alors un homme qui vient chercher un médicament. Il se dit électricien et il tente lui aussi de brancher ma machine. Rien n'y fait, même avec une rallonge. Il me dit que c'est que le voltage est trop faible, mais que ça pourrait marche en branchant les câbles sur les bornes où se placent les piles. Je suis un peu dubitatif mais il me dit qu'il l'a déjà fait et que ça marche sans problème. Il tente, sans succès. J'abandonne l'idée d'utiliser le courant et remets les piles. Et...ça ne s'allume pas. Avec sa manip, le type a grillé la machine. Voilà qui est fort ennuyeux, un peu comme de casser sa pioche sur la première pépite d'or trouvée. Je me retrouve avec un informateur tout disponible pour enregistrer pleins de mots mais sans ma machine.

La docteure fait preuve d'un super-positivisme contagieux qui me fait relativiser le problème. Après tout, suffit d'aller faire un tour à Trini pour en acheter un autre ou voir si c'est pas réparable. Je ne suis pas très chaud pour en acheter un autre, les enregistreurs numériques de cette qualité, ça doit pas se trouver ici. La réparation ici, j'y crois pas trop non plus. Et puis...je n'ai plus qu'une semaine devant moi. Je retourne néanmoins à Trinidad, après à peine 24h dans le village.

La maison où j'ai dormis est de ce côté, allons y pour la visite !
J'écris à ma professeur pour lui raconter mon problème technique et je vérifie que mes données ne se soient pas effacées. Je n'ai rien perdu, heureusement, et la machine fonctionne encore avec le courant. Je me dis alors que c'est sûrement réparable, mais pas ici. En réfléchissant à tout ça, je trouve une solution de dépannage. Je récupère la carte mémoire flash de 4 gigas de l'enregistreur pour la mettre dans l'appareil photo que m'a prêté ma mère pour ce voyage et je passe en mode vidéo. La qualité audio est étonnamment plutôt correcte et je peux filmer presque une heure. Mais du coup, j'ai pris peu de photos, pour économiser la batterie.

Je retourne alors à Ngirai, et on est déjà mercredi 24. Je revois Mario et Mery, celle-ci me parlant d'un coup vingt minutes du passé, dans un récit entrecoupé de traductions en espagnol, mais dans un siriono qui m'apparaît assez correct. Elle maîtrise vraiment la langue, et traduit ses propos pour m'aider, ce qui sera bien pratique pour la suite. Je les revois le lendemain matin et la batterie au lithium de l'appareil photo nous lâche peu avant midi. Aucune envie de tenter de la recharger ici, j'vais pas fusiller une deuxième machine.


La maison, anciennement lieu de stockage de l'aide humanitaire, je crois
Retour à Ibiato donc ! Passage éclair ou j'en profite pour aller voir l'ingénieur informaticien du village. Oui, il y en a un, malgré qu'il n'y ait que 300 habitants. C'est le mari d'une fille du village, il vient de Santa Cruz et il pense pas rester longtemps vu le peu de travail qu'il a ici. Il est cependant très sympa, c'est lui qui m'avait passé de la musique. Il me passe cette fois un logiciel pour récupérer l'audio des vidéos et le fait sur celles que j'ai déjà capturé. Il me propose aussi de graver les disques de sauvegarde et de copie pour le village, ce qui est une bonne nouvelle, ça m'évitera de payer quelqu'un pour le faire à Trinidad. Je mange une tranche de pastèque et hop, retour à Ngirai.


Je retrouve Mario et Mery et commence à travailler ma liste de mots. Au moment d'enregistrer Mery a envie de me raconter une histoire, je la laisse faire. Dans celle-ci elle me parle des chants matinaux traditionnels. Je saute sur l'occasion pour lui demander si je ne pourrais pas en enregistrer quelques uns le lendemain matin, avec les deux petites mamies de l'autre jour. Elle me propose de m'accompagner, et de me montrer aussi la danse traditionnelle. Mario pour sa part me propose de m'accompagner à Trinidad le weekend pour m'aider à traduire, et enregistrer plein de mots.

C'est un arrangement qui me plaît bien. Un peu cher, puisque j'aurais à payer la nuitée et les repas pour deux personnes, ainsi qu'à subir la parole divine pendant deux jours, mais ça pourrait me permettre d'avancer énormément dans mon travail, et d'avoir l'assurance de la faisabilité d'une étude plus approfondie de la langue ! On se donne alors rendez-vous le lendemain matin et je retourne chez mes hôtes. Je les attends quelques minutes et ils reviennent chargés d'un énorme sac de fruits. Il s'agit de tamarindo, un fruit à coque qu'ils cassent puis vendent ensuite en ville. Ce sera leur occupation pour les deux prochains mois. J'ai aidé un peu le lendemain matin, en attendant Mario. C'est assez rigolo. C'est poisseux, ça pègue comme on dit dans le sud, mais l'odeur est agréable, et ça ne laisse absolument aucune trace sur les doigts, contrairement aux noix. Ils s'en servent pour faire des boissons rafraîchissantes ou de la glace pilée. Le goût se rapproche un peu de l'amande.

La salle principale, sans réellement de meubles, avec un feu dans un coin
Mario arrive vers 10h, après une heure de cassage de tamarindo. Il vient m'annoncer qu'il ne pourra pas m'accompagner car la fille de sa fille vient de mourir et qu'il est donc en deuil. Il est vraiment peiné mais me dit qu'il pourra lundi ou mardi. Il repart et je reste un peu désemparé. J'ai déjà demandé au prof du village qui habite en ville de faire le trajet avec lui et du coup, ça clash (Should I Stay Or Should I Go). Je réfléchis tout en continuant à casser des fruits, l'heure de midi arrivant assez vite. C'est fou comme on peut se faire à un travail à la chaîne quand on sait qu'il est utile et qu'on a des choses en tête. J'ai pas repris dans l'après midi cependant.

Lors de la réunion, plusieurs personnes avaient dit qu'elles voulaient me parler et je ne voulais pas quitter le village sans les avoir vu. Qui plus est, mon appareil photo était rechargé à bloc, autant qu'il servent avant mon retour en ville. Je vais voir une première femme qui me dit qu'elle est un peu malade, mais qu'elle a envie de m'aider. Mario m'a prévenu qu'elle n'est pas très bonne locutrice, malgré sa motivation. Je discute avec elle un petit moment et lui dit que je suis très content de savoir que je pourrais compter sur elle l'année prochaine. Elle est très contente de savoir que je vais faire une étude de sa langue.

Je vais ensuite dans la maison du corregidor du village, qui est une sorte de représentant de la police, plus ou moins. Il est absent mais sa femme est très contente de me recevoir. Elle envoie un de ses enfants chercher la mère de son mari et celle-ci est enthousiasmée par mon projet. Elle me raconte plusieurs anecdotes, plus courtes mais assez riches au niveau vocabulaire. Elles me donnent plein de mot, aussi bien la mère que la fille. Et encore mieux, la mère me donne certains noms que seules les femmes utilisent ! Il y a donc bien en siriono une différence selon le sexe de la personne qui parle ! Elle ne se souvient que de deux mots de ce type, mais c'est déjà hyper intéressant pour moi ! Je note pas mal de chose mais n'enregistre pas de liste de mot. Je goûte aussi des œufs de cailles cuits, mélangé avec de la poudre de yuka, je crois. C'est très étrange mais pas très très bon.


Et mon lit, c'est passionant, n'est-ce pas ? Observez quand même le magnifique alphabet ! 
Aussi bien la mère que la fille étaient déçues que je parte déjà, car c'est vraiment un passage éclair que j'aurais fait dans ce village. J'ai dit que je revenais la semaine suivante, pour donner une copie de tout ce que j'ai enregistré, mais je crois que je vais en profiter pour collecter encore quelques données ! Je suis resté une bonne partie de l'après midi avec elles, et tous les enfants qui tournaient autour, et tout le monde était content. Elles ne m'ont rien demandé, et quand je suis partis, la fille m'a dit de la prévenir de mon retour car elle voulait m'inviter pour un repas avec toute la famille !

Je suis du coup repartis un peu triste de ce village. Les rencontres que j'ai fait en une poignée de jour furent infiniment plus riches que celles d'un mois à Ibiato, et les gens étaient content de me voir, ce qui change tout ! Je vous parlais dans un autre article du fait qu'à Ibiato les gens parlent de moi comme du gringo. Ici, je n'ai quasiment pas entendu ce mot. Mery m'appelle akanindu, ce qui signifie le jeune en siriono, Mario m'appelle Mister et une des filles de mon hôte m'appelle tio, tonton. C'est d'ailleurs rigolo car c'est la première fois qu'on m'appelle comme ça, ma nièce m'appelant par mon prénom. J'espère donc pouvoir revenir dans ce village, et y travailler davantage de temps l'année prochaine !

J'espère ne pas vous avoir perdus avec la longueur de ces deux articles rapprochés (plus de 20 000 caractères quand même), et je vous en proposerais demain un autre plus touristique mais aussi plus grave ! hop jeu de mot et devinette, de quoi vais-je donc parler demain ? tatadam ! A vous de jouer !

lundi 29 août 2011

Réception et retour à l'envoyeur

Voilà une semaine sans article, et vous êtes en manque, n'est-ce pas ? Rassurez-vous, voilà de la lecture, et j'vais tâcher de rendre passionnante une semaine qui le fut, dans l'ensemble. Au menu : découverte d'un nouveau village, déconvenues, joies, déconvenues, nouvelles situations de travail. Comme c'est diablement long, je vous sépare ça en deux articles, celui-ci sur l'arrivée dans le village et l'autre sur mes rencontres et le village en lui-même !

C'est de ce côté, je crois, mais je ne vais pas y aller à pied.

Je vous ai donc relaté dans de précédents articles mon quotidien à Ibiato et comment se passait un peu mon travail. C'est que je prévoyais d'en partir, de ce village, à ce moment-là. Ce ne sera pas sans mal. Je repars de Trinidad le jeudi 18 août, dans un taxi bondé de Sirionos. Je ne crois pas avoir expliqué comment se déroulent les trajets entre la ville et le village alors allons-y rapidement. Il y a une compagnie de taxis spécialisée dans cette direction-là, avec une douzaine de chauffeurs qui desservent les premiers villages à l'Est de la ville. Le trajet coûte en général 15bol (1,5 euros) pour Casarabe, ville d'où part la route vers le territoire Siriono. Pour Ibiato c'est 20bol (2 euros) et Ngirai 25 (2,5 euros). Le trajet dure plus ou moins une heure et quart, en général dans un véhicule plein à ras-bord, parfois avec une personne allongée dans le coffre. Le taxi participe au ravitaillement et fait des détours pour déposer des colis un peu partout.

J'étais donc dans un taxi, dans l'espoir d'aller directement à Ngirai puisque j'avais tous mes sacs avec moi. Raté. A peine arrivé à Ibiato, le conducteur me demande de descendre. Je réplique énervé à mon hôte d'Ibiato que je veux aller à Ngirai et il demande vaguement au chauffeur, celui-ci refusant. Je descends donc et on attend une moto pour faire le trajet. Fernando, mon hôte, me propose de n'y aller que le lendemain, puisqu'il est déjà tard... J'ai passé une partie de l'après midi à attendre à la station de taxi qu'il vienne alors oui, il est tard. Je suis assez crevé et j'accepte son offre, sachant aussi qu'il ne sera pas là le lendemain et qu'il ne pourra pas m'accompagner. C'est qu'il a une façon d'expliquer mon projet peu convaincante en fait, puisqu'il ne l'a pas très bien compris je crois. Du coup, d'y aller sans lui me semble préférable.

Proche du village, construction d'une piscine olympique pour poissons.

On arrive au vendredi 19 août au matin. Je laisse du linge sale, sur proposition de mon hôte et prends une moto-taxi pour Ngirai. Le voyage coûte 15 bol et dure une vingtaine de minutes. J'arrive chez une dame qui ne s'attendait pas du tout à ma venue, ni à ma demande d'hébergement. Elle est désemparée, et pas contente que j'arrive seul. Elle me conduit chez un homme qui m'accueille en me disant « mais, je te connais pas ! ». Il m'explique qu'il m'a vu lors d'une réunion à Ibiato mais que l'on a pas été présenté. Je comprends alors que le président du territoire n'a pas du tout parlé de mon projet !

Il me dit qu'il n'est pas d'accord pour que j'aille de maison en maison parler de mon projet. Il veut que je le présente lors de la prochaine réunion du village. J'approuve, puisque ça peut m'éviter de présenter quinze fois mon projet, et ça me semble une façon de faire plus transparente et plus officielle. On va alors voir le président du village. Ce n'est pas un maire (alcalde) car Ngirai n'est qu'un hameau d'un autre village plus loin. Je réexplique mon projet et donne une copie de la lettre de présentation que m'a donnée ma co-directrice de recherche. Il est aussi professeur du village, et je ne sais pas si c'est pour ça mais en tout cas il comprend très bien de quoi je lui parle. Il m'annonce finalement que la prochaine réunion sera le lundi 22 août, et que je n'aurais qu'à revenir à cette date-là. Il pourra alors m'héberger sans problème.

Vision triste du village, jour de froid.

Je repars donc, à peine deux heures après être arrivé. J'hésite à aller à Ibiato ou à Trinidad, mais je me convainc de retourner au village. En fait, de discuter de la connaissance de mon projet m'a fait réaliser qu'à Ibiato, je n'avais pas présenté mon projet à la communauté et qu'il serait peut-être bon que je le fasse. Les réunions étant le samedi, autant en profiter pour faire ça. Je ne regrette cependant pas la façon dont ça s'est déroulé, puisque j'aurais bien été incapable de faire une présentation le jour de mon arrivée, ne bafouillant qu'à peine en espagnol.

J'en profite aussi pour revoir le professeur de l'école avec qui je travaillais et enregistrer une cinquantaine de mots. Je revois aussi un couple qui m'avait parlé de plusieurs choses et je tente de transcrire deux textes d'eux. Je me trouve limité par le fait qu'ils partent à Cochabamba pour le weekend. En fait, c'est un mal pour un bien car ils vont y présenter un film qui s'appelle Siriono, sur lequel j'aimerais travailler. Il raconte de façon un peu folklorique la vie dans le village dans les années 80 et les problèmes dûs à une éducation refusant la langue des enfants. Il y a des bouts en siriono dedans et j'espère pouvoir en ramener une bonne copie pour bosser dessus, puis pour vous le montrer aussi, parce qu'il y a plein de choses chouettes dedans. Et à Cochabamba il y a le directeur du projet, donc j'aurais peut-être un accord et une bonne copie du film...mais ça je verrais plus tard.

Je crois que je ne vous avais pas encore montré ce pont suspendu.

La réunion a finalement lieu le dimanche soir, suite à des problèmes d'organisation. Le mot d'ordre principal est la marche indigène (voir article précédent). Elle est partie depuis presque une semaine et les Siriono veulent s'y joindre par solidarité. C'était très intéressant comme discussion, et j'ai presque tout compris, puisque tous ne parlaient qu'en espagnol. Après deux heures environ, ils avaient une liste de 35 personnes motivées pour y aller et ils ont glissé vers un autre sujet, le temps d'appeler diverses personnes pour vérifier leur accord pour garder les enfants de ceux qui partaient.

Le président du territoire en a alors profité pour me laisser la parole, présentant avant ça mon projet d'une manière catastrophique. J'en ai eu du mal à reprendre et la fatigue n'aidant pas, je n'ai pas été très clair. J'étais un peu déçu, mais je sentais aussi que ce n'était pas l'ambiance. J'ai donc eu droit à un consentement mou du village pour que je puisse continuer à faire mon truc dans mon coin...ce qui est toujours mieux que rien.

Hop, l'espoir revient (et j'ai pas beaucoup de nouvelles photos)

Le lendemain, retour à Ngirai ! Youpi, Ibiato c'est fini...vive le changement ! Je reprends donc une moto et découvre ma nouvelle maison ! Je vais voir le professeur à l'école, qui me présente aux enfants. Il me dit qu'il va parler aux parents et que la réunion se fera dans l'après midi. J'en profite pour me reposer. Je découvre au repas que la maîtresse de maison, dont je n'ai pas retenu le prénom, n'aime pas trop la viande et cuisine donc plein de légumes. Joie joie joie, enfin de la verdure !

Je vais ensuite à la réunion, qui commence vers 15h, le temps que tout le monde arrive. Le président du village commence par lire la lettre de ma co-directrice de recherche, qui est assez magique, hein. Elle dit notamment que j'suis une personne géniale et un très bon étudiant, tout ça. Reprendre après ça est une joie et j'ajoute donc quelques mots. Une première personne prend alors la parole dans la salle pour dire qu'elle trouve ça intéressant, que ça lui fait plaisir qu'une personne s'intéresse à sa langue. Une autre approuve, disant que la langue est une partie de leur culture et qu'ils en sont fiers.

Le président du village ajoute des détails à mon projet, rajoutant que je suis étudiant donc que je ne viens pas apporter des sous mais seulement une aide sur la langue. L'ensemble est très bien accueilli et tout le monde est d'accord, voire enthousiaste. La réunion se poursuit sur la marche et plusieurs personnes s'expriment en siriono ! La situation est donc bien différente dans ce deuxième village ! Je sors de la réunion très satisfait, malgré que je sache qu'une quinzaine de Siriono vont partir le lendemain rejoindre la marche, ce qui fait presque cinquante en tout. Ce sont des personnes avec qui je ne pourrais pas parler cette année, mais en un sens, je suis assez impressionné qu'autant de gens soient motivés pour marcher durant une quarantaine de jours, dans une région pas franchement très accueillante, avec un fort dénivelé.

Une autre vue de Ngirai, avec une lumière vraiment pas top.

Mais nous voilà donc à Ngirai; où je découvre une situation nouvelle dans laquelle les gens ont envie de parler avec moi, veulent que je reste pour les aider et pour me raconter plein d'histoires. Une situation bien différente de celle d'Ibiato, mais que je vais détailler un peu dans un autre article, celui-ci étant déjà bien long ! Je conclurais donc cette entrée dans le village par un soupir de soulagement, ayant fait les choses correctement. Le temps perdu, qui m'empêchera finalement de visiter une autre partie du pays est aussi du temps gagné puisqu'aujourd'hui je suis bien plus tranquille quant à la faisabilité de mon projet, donc je pourrais revenir !

La suite, demain !

mercredi 17 août 2011

Marches indigènes

Depuis le 15 août, des centaines d'indigènes boliviens sont partis de Trinidad pour rejoindre La Paz, capitale du pays. Le trajet est prévu pour durer quarante jours et couvrir 700km. Ce n'est pas la première fois qu'un tel mouvement populaire est initié, et ce n'est pas un pèlerinage, c'est un mouvement populaire de révolte.

La première marche indigène fut en 1990. Une Marche pour le Territoire et la Dignité. La plus glorieuse, où les indigènes des Basses-Terres ont réussis l'exploit de se faire connaître du pays entier en ne faisant que marcher. Bon, faut dire, 700km à plus de 3000m de dénivelé et un climat bien arrosé, c'est pas rien. D'autant que c'étaient pas des habitués mais des gens de tous âges, avec des enfants dans les bras et des vieux sur le dos. Chaque jour du trajet ils tenaient une réunion collective pour discuter de ce qu'ils allaient faire et à chaque étape ils profitaient de l'aide des paysans, indigènes ou non, qui leur apportaient logis et nourriture. L'accueil des indigènes des montagnes ou se situe La Paz, les Aymaras et Quechua furent émouvante, les photos que j'ai pu voir m'ont presque mis les larmes aux yeux.
Les soins étaient apportés par les organisations indigènes, avec le soutien du maire (alcalde) de Trinidad. Les militaires furent même envoyés dans les villages pour aider les femmes restées, et les protéger des éventuelles représailles des éleveurs.

Car le problème, c'était l'exploitation par les éleveurs des terres traditionnelles des indigènes, c'est à dire des peuples qui étaient là avant et ne peuvent plus vivre de manière traditionnelle. Ils revendiquaient donc la restitution de leurs terres et la reconnaissance de leur statut d'indigènes.

Arrivée au bout, ils ont rencontré le président et ont négociés avec lui pendant trois jours. Ils ont obtenu la signature d'un décret impérial qui offrait à plusieurs ethnies un territoire, dont les modalités étaient à définir. Pour fêter ça, un grand mariage a eu lieu, entre deux personnes qui s'étaient rencontrés pendant la Marche. Le président a ensuite affrété un avion qui a causé de grandes frayeurs aux indigènes qui voyaient un piège sournois. Ils sont finalement retournés chez eux en héros, sans qu'une goutte de sang n'ai été versée.

La seconde Marche a eu lieu en 1996, cette fois pour réclamer davantage de terre, pour davantage d'ethnie, et une meilleure reconnaissance de leurs droits. Le chemin fut choisis différent, passant par Santa Cruz puis Samaipata, qui fut son terminus. Les négociations furent malheureusement accélérée par le décès d'une mère de famille qui participait à la marche. Elles furent néanmoins bénéfiques, au moins pour les Sirionos qui bénéficièrent d'un deuxième espace, agrandissant leur territoire.

La troisième Marche, en 2003, fut différente puisqu'elle ne concernait pas seulement les indigènes de cette région du pays mais fut plus large. Elle concernait cette fois la redistribution des richesses, les indigènes réclamant que les impôts et aides de l’État n'aillent pas dans les poches des gouverneurs et maires mais directement aux chefs indigènes. Le mouvement fut plus compliqué, avec de multiples tensions sur la route, mais finalement victorieux, puisque la Constitution en train d'être votée pris en compte une partie des revendications, développant le concept d’État plurinational, dont j'ai déjà parlé.

L'an dernier a eu lieu une nouvelle marche non fructueuse et ils remettent donc ça cette année, en partant le jour anniversaire de la première marche, en direction d'abord de Cochabamba, la source du problème cette fois. Il s'agit d'un projet de route permettant en gros de relier l'ouest du pays aux routes vers le Brésil, partant de Villa Tunari, proche de Cochabamba jusqu'à Saint Ignacio de Moxos, près de Trinidad. Une route qui traverserait une réserve naturelle, le parc Isosoro Sécure, lieu de vie de près de cinquante milles indigènes.

Et cette situation m'en rappelle une autre...Reformulons le problème qu'ont les indigènes boliviens : Pour des raisons économiques, un projet de route va perturber la vie de centaines de milliers de personnes. Ça ne vous dit rien ?
À moi, ça me rappelle le projet de TAV Lyon-Turin. Une immense autoroute qui permettrait de passer de la France à l'Italie par le Val de Susa, détruisant définitivement la tranquillité de ce coin de montagne. Un projet pharaonique, qui connaît des oppositions depuis des années, avec des rassemblements régulièrement pour bloquer les travaux, aussi bien en ville que sur place. Le dernier a eu lieu il n'y a pas si longtemps et a réuni vingt milles personnes, si mes souvenirs sont bons. Les NO TAV sont bien connus en Italie, mais moins en France, qui fait tout pour passer sous silences leurs actions, même quand il s'est agit d'un vol considérable d'explosif ou de personnes dégagées du chantier par une force policière d'une violence rare.

La situation est différente, mais finalement, certains problèmes trouvent des échos ailleurs dans le monde et montrent qu'il existe différentes modalités de lutte mais aussi une puissance économique bien plus importante en Europe qu'en Bolivie, ou le projet sera sûrement abandonné d'ici quelques jours.

En attendant, je vous invite à vous renseigner un peu sur le TAV et sur ce qui se passe en ce moment en Bolivie. L'AFP écrit régulièrement des dépêches sur le sujet, suffit de les chercher un peu (ou d'ajouter un champ perso «Bolivie» sur Google Actualités). Voilà un article bien synthétique, sur plusieurs mouvements qui mériteraient chacun leurs livres d'histoires. Je ne doute pas que vous ayez des questions en finissant cette lecture, et vous pouvez donc vous sentir libre de les poser, sachant que cette fois je ne pourrai pas répondre à toutes, ne connaissant pas complètement bien la situation.

lundi 15 août 2011

Décrire une langue

Voilà enfin l'article pour présenter ma démarche de travail. J'avais déjà un peu parlé de mon plan de bataille avant de partir mais ce n'est qu'avec les rencontres que j'ai pu voir comment ça se passe en vrai. Et donc, c'est compliqué, et difficile à illustrer donc vous aurez droit à des fleurs !


Le premier aspect est que je demande aux gens de leur temps et qu'ils veulent en retour de l'argent. J'ai beau expliquer que c'est un projet qui va leur servir et qui est bien pour eux, ils cherchent le profit. C'est un point qui rejoint mes articles de description sociale, puisqu'ils sont dans une société où l'argent est important. Il n'y a que très peu d'échanges sans transaction financière, même pour un coup de main pour faire un truc. Tout ce monnaye et les heures qu'ils passent avec moi aussi. Une part du temps d'échange est donc consacré à ce point, plus ou moins longtemps selon les gens.

Un autre aspect compliqué est que l'aide qu'ils peuvent m'apporter dépend de nos possibilités de communications. Et les premiers jours j'étais évidemment complètement perdu, ne sachant que vaguement parler espagnol et ne comprenant pas les subtilités de langage qu'ils me donnaient. Progressivement c'est allé en s'améliorant mais il reste certaines personnes qui ne parlent que peu espagnol, ou qui n'ont plus beaucoup de dents et sont donc très difficiles à comprendre.

Le problème est aussi dans leur maîtrise de la langue, qui ne m'est apparue totale chez quasiment personne, puisqu'ils ne l'utilisent plus au quotidien. Ils sont tous persuadés que les enfants peuvent comprendre la langue même si ils ne la parlent pas mais c'est loin d'être le cas, personne ne leur parlant en siriono ! Des gens qui discutent entre eux dans la langue, avec fluidité et sans ressortir toujours les mêmes cinq phrases, il y en a bien peu. Du coup, quand ils me parlent en siriono, certains mots ressortent en espagnol au milieu, plusieurs chez certains informateurs.

En outre, il est compliqué de fixer des rendez-vous, les gens n'étant pas très regardant sur les horaires et ayant toujours plein de choses à faire. Il est courant qu'ils s'absentent trois jours en ville ou voir de la famille. Pour certains, c'est aussi l'alcool qui rends les choses compliqués, ou les enfants qui vadrouillent autour. Il y a un paquet de choses qui viennent entraver le travail, mais avec tout ça, je ne l'ai pas encore décrit, ce fameux travail !

Et bien, j'y arrive. Le but est d'étudier d'abord le système de sons de la langue, et pour ça, il faut que je connaissent plein de mots. Je collecte donc d'abord des mots, comme si je faisais un herbier acoustique. Je vais voir les gens et leur demande comment s'appellent les éléments de l'environnement, les parties du corps, les membres de la famille, les animaux de la jungle, les arbres et fruits du village. Je dispose comme support d'une liste d'un peu plus de cinq cents entrées, travaillée pour cette partie du monde, plus ou moins. La partie sur les arbres s'est montrée totalement inadaptée par exemple. Pour le reste, il existe souvent un autre mot local pour parler de la même chose, mais dans ce cas je le note et à force d'explications ça avance.

Les gens avec qui je travaille croient que je fais un dictionnaire, ce qui ne sera qu'une conséquence secondaire de mon travail, en réalité. La réalisation d'un dictionnaire n'est pas très intéressante d'un point de vue scientifique, alors que de savoir qu'il est possible qu'une voyelle dispose d'un trait phonologique (distinctif) [+dental] qui entraîne qui modifie les consonnes qui lui sont proches, ça c'est intéressant. Il s'agit d'un i prononcé avec la langue touchant les dents, essayez, vous verrez ce que ça donne. Bon et bien le mot «i» sert à désigner l'eau, le mot «ɨ 'i avec les dents'» est le verbe parler. Les deux sont donc bien différents, comme en français «y» et «eau». Et quand il y a un i dental après un ch, ça fait un peu comme le mot anglais «she». C'est intéressant, même si ça paraît pas grand chose dit comme ça.

Pour être sûr que ce soit bien systématique, je collecte un maximum de mots. Ce n'est qu'à partir de sept cents mots que l'on peut considérer que l'on peut faire une étude fiable, et pour l'instant j'en ai un peu moins de cinq cents, ce qui est assez problématique. Mais peut-être pas dramatique puisque d'autres ont fait des études auparavant, notamment sur la voyelle dont je parlais, et que je pourrais peut-être récupérer leurs enregistrements. Et je vais également travailler sur du discours.

Ce qui nous amène à une autre partie du travail qui est d'enregistrer des histoires, quel qu'en soit le sujet, dans la langue. Pour les Sirionos c'est positif car je pourrais en faire des copies pour qu'ils soient écoutables par les enfants à l'école, par exemple, ainsi que lisibles. Et pour moi c'est intéressant car je peux observer certains mots être prononcés un peu différemment, par exemple quand ils suivent une voyelle nasale. On passe ainsi systématiquement de re à nde après une voyelle nasale. J'ai environ une demi-heure de texte enregistré, et j'occupe mes heures libres à tenter de les écrire, à voir quels mots je connais et comment ils sont modifiés. Le problème pour écrire bien et complètement est que j'ai besoin de l'aide d'un Siriono, et pour l'instant je n'en ai pas. Un de mes informateurs est professeur à l'école et donne des cours de découverte de la langue, parlant davantage en espagnol qu'en siriono. Il a pour l'instant refusé de m'aider pour faire ça, mais je garde espoir qu'il change d'avis. Sinon je suis assez embêté à vrai dire.

Les textes sont variés comme je l'ai dis et peuvent être des mythes anciens (d'avant la christianisation qui a tout gommé bien sûr) ou des explications sur l'artisanat et les plantes médicinales. J'ai aussi abordé avec deux personnes les mouvements politiques qui ont amené le territoire à être autonome et la Bolivie à devenir un État plurinational. C'est donc bien intéressant car j'apprends plein de trucs et que mon corpus recouvre plusieurs domaines différents.

Je collecte donc des mots et des phrases pour essayer de voir de quoi sont composés les mots, non dans leur signification mais dans leur construction sonore. C'est un premier travail qui peut mener ensuite à faire une description grammaticale de la langue, de comment sont construites les phrases. La question se posera néanmoins de voir si il sera possible ou non de mener cette étude, ce qui dépend de l'implication des Sirionos et du nombre de bons parleurs qui pourront m'aider. En l'état actuel, avant d'avoir visité le second village, je suis assez pessimiste sur la possibilité d'une description complète de la langue, ce qui m'obligerait à changer de sujet pour la suite de mes recherches et ne serait pas sans contraintes, parce qu'à force, je connais pas mal de choses sur les Sirionos ! Et vous aussi, qui suivez mes aventures ! Mais ce serait aussi l'occasion de visiter un autre coin d'Amérique du Sud, ce qui serait très chouette !

L'avenir me permettra de me faire une idée plus précise de la situation, et de collecter les mots qui me manque, je l'espère ! En attendant, n'hésitez pas si vous avez des questions j'y répondrais !

dimanche 14 août 2011

Un jour sans fin

Voilà une nouvelle trilogie d'article avec un premier consacré à la vie quotidienne dans le village, un autre présentant mon travail (vous l'attendiez, hein) et un dernier sur la politique, la révolte et les mouvements sociaux, parce que ça fait du bien. Ne vous sentez pas obligés de tout lire, faite plutôt votre choix entre les trois thèmes proposés ! Pas beaucoup de nouvelles photos alors je vous propose une visite de la maison que j'ai habité !

Vue de face, soleil couchant
J'écris ce premier article depuis une chambre d'hôtel à Trinidad, où je me repose avant d'aller à l'autre village siriono. Et oui, j'ai terminé mon séjour de travail à Ibiato, car le temps est passé formidablement vite. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai eu du mal à vous raconter sur le vif mon travail de terrain. Mais attaquons la journée typique, en précisant qu'elle ne subissait souvent bien des variations !

Le matin commence tôt. Je me suis progressivement habitué aux cocoricos et aux passages de motos mais les enfants, chiens et autres animaux me réveillent toujours assez tôt. Il fait frais et parfois je peux voir un informateur avant qu'il ne parte travailler. Dans ces cas là, je me prépare et file dès le déjeuner pris. Celui-ci est souvent composé de café ou thé à la cannelle et de pain. Il faut dire que la maîtresse de maison fait du pain pour le vendre dans le village, deux pains pour un boliviano. Et son pain est bon. Disons qu'il vaut pas le pain de mon père ou celui que fait Diane mais il se défend. Quand elle n'en fait pas, il arrive qu'elle en achète et ils sont souvent bien moins bon. Parfois il y a du lait, mais il n'est pas donné, alors ce n'est pas très courant, et tant mieux car le lait non-pasteurisé est un défi pour l'estomac. Quand il n'y a pas de pain, il est courant que Gladys (la maîtresse de maison, lui ne cuisinant jamais) fasse des fritos, des galettes de farine baignées dans de l'huile de soja ou des empanadas, sorte de pâte feuilletée avec du fromage dedans. C'est pas mauvais mais terriblement gras.


La pièce à vivre

Un autre type de déjeuner est une sorte de soupe-bouillon de restes de viandes. J'sais pas trop ce qu'il y a à chaque fois et souvent je préfère ne pas demander pour ne pas être plus écœuré. Les enfants sont très content de chopper à pleine main les os pour arracher les morceaux de gras avec les dents. Certaines familles font aussi une sorte de bouillie de maïs assez sympathique qui s'appelle tujuré je crois. En ville on peut aussi acheter du payuré, de la pulpe de goyave ou de banane plantain arrosée de lait, mais ils n'en font pas dans le village.


L'autre partie de la pièce principale, avec l'ouverture vers ma chambre à droite

Une fois ce petit déjeuné pris, je traîne un peu et profite de l'absence des enfants pour me baigner, le coin extérieur destiné à cet usage n'étant pas fermé et proche d'un coin où jouent les enfants. Après je travaille ou lis. J'ai pris avec moi la Comédie de Dante, dont j'ai beaucoup apprécié les deux premières parties. La troisième par contre m'absorbe moins, avec les présentations des ordres religieux. J'ai pas mal de documents de linguistiques, dont de nombreuses thèses de langues proches de celle que j'étudie. Je peux donc me plonger dedans pour voir ce qu'il est dit de problème que je rencontre. Un troisième type de lecture est celui de brochures que j'ai piqué sur infokiosque.net. Il m'arrive d'écrire aussi, des articles pour ce blog, des courriels à des amis que je n'ai pas vu depuis un bail ou des histoires. J'écris une sorte de fiction dans un univers construit par des amis, avec de la magie et de la haute-technologie. A l'origine c'était un jeu d'écriture collectif et un des membres s'est pris d'envie de réécrire le début pour le rendre plus digeste et plus cohérent. C'est un des liens dans le menu à droite, ça s'appelle Ordo Xenos. C'est très long et très bien. Je connais l'auteur pour l'avoir vu à Grenoble il y a...pfiou...trois ans ! Et donc, j'écris une histoire qui se passe dans le même monde, sans interférer avec l'histoire principale, un peu comme s'écrivent des volées d'histoires dans l'univers de Star Wars, à plus petite échelle. Si ça vous branche, j'peux vous envoyer ça un de ces jours.
La cuisine, en bleu le bidon qui accueille l'eau de la citerne, que vont chercher les enfants

Arrive tranquillement le milieu de la journée et un nouvel approvisionnement de gras. J'ai déjà remplis des dizaines d'octets avec la consommation de viande et ne m'étendrais donc pas davantage là dessus. Des légumes je vais parler par contre. Il se trouve que j'ai appris quelque chose depuis l'autre jour, et je vous en fait donc part. Le gouvernement vient de passer une nouvelle loi qui oblige chaque école à produire, et donc à enseigner aux enfants le travail de la terre. Chaque école doit donc se doter d'un ingénieur agricole et chaque bambin d'une pioche ou d'un râteau. C'est en train de se mettre en place et toute la semaine j'ai vu les enfants aller au champ un peu désœuvrés. Je trouve ça très positif. D'une part ça donne une perspective de transmission de connaissance pour les jeunes du village qui font des études d'agricultures, et ils sont nombreux. D'autre part, ça amène les enfants à découvrir les légumes et peut, sur le long terme, rendre les légumes tout aussi facilement accessible que la viande. Et là, les gens se mettront peut-être à en manger. Mais je suis peut-être trop optimiste sur cet aspect. Actuellement, peu de gens en mangent, et les enfants refusent tout, même parfois les patates, préférant se contenter de riz et de viande.

Mais passons à l'après midi, ou je peux assez souvent travailler, malgré la chaleur étouffante. Je me rends parfois chez les gens ou plus souvent dans la cour de l'école, qui est relativement calme, malgré qu'une prof y habite avec sa famille. Si je ne travaille pas à l'extérieur, j'essaye d'occuper ma journée en traitant mes données et en jouant au go. J'ai pris avec moi un petit logiciel qui s'appelle igowin et qui simule le jeu de go sur un terrain réduis à 9x9. Je m'améliore, petit à petit, réussissant aujourd'hui à battre couramment l'ordinateur même lorsqu'il commence. J'en suis à 537 parties, c'est fou ça !

Coin gauche de la cuisine, avec une sortie et un passage pour les canards


Le soir tombe assez tôt en cette période de l'année, et les moustiques viennent en meutes. Je me réfugie donc assez tôt sous la moustiquaire de mon lit. Souvent les voisins regardent la télé très fort ou écoutent de la musique. Depuis que mes hôtes ont achetés une télé, les mioches sont scotchés sur une version espagnole de Plus belle la vie, qu'ils regardent en boucle. Faut dire qu'il n'y a pas d'antenne et pas des centaines de dvd piratés. Je survis en écoutant de la musique, et je me dois de remercier le voisin, qui m'a passé plein de musique sympathique, dont des "classiques" des années 80, Abba, Chicago, Bee Gees, Village People,...ça change des ritournelles latino qui tournent en boucle ici. Mon kit de survie musical est là pour les moments les plus difficiles, je vous l'ai d'ailleurs détaillé sur une page spéciale (mais vous pouvez commenter ici) !

Le repas du soir est souvent très simple, proche du petit déjeuner, souvent seulement du pain et du café. Même les enfants boivent du café le soir, mais il doit être moins fort que celui que l'on a en France puisqu'il n'empêche pas trop de dormir. Dès qu'une personne n'a plus envie de manger elle se lève et dit provecho, gracias puis se barre sans demander son reste. Pour ma part, je reste souvent un peu pour profiter de la fraîcheur nocturne et discuter avec mes hôtes. Après quoi je retourne sous ma moustiquaire pour travailler à nouveau ou lire. J'essaye de me coucher assez tôt, sachant ce qui m'attends le lendemain matin.
La chambre des parents, qui sert aussi de coin rangement

Dans l'ensemble, le rythme est assez tranquille, mais il y a toujours du bruit, et des vas-et-vient de motos. C'est une ambiance qui n'empêche pas le travail mais ne le favorise pas non plus, les gens allant et venant, partant chasser, pêcher, chercher du bois pour le feu ou descendant en ville pour quelques jours. Mais je glisse déjà vers le sujet d'un autre article ! Pour celui-ci je vais m'arrêter là ! J'espère vos journées plus variées et enthousiasmantes que les miennes !

mardi 9 août 2011

Reculturation

Voici le dernier article d'une série de trois, qui parle des Sirionos en usant d'une approche un peu critique, presque anthropologique, si je savais ce que c'était. Le premier parlait de joie de vivre, le second de consommation et cette fois je compte vous parler de la culture des Sirionos en abordant leur sens de la fête et leur sens de l'hygiène !
Un arbre à poules, avec un chouette coucher de soleil
La fête en ce moment est celle de la fondation du village, à mon avis la raison de la perte de leur culture. Pour eux ce fut une opportunité pour échapper au travail dans les élevages de la région qui s'apparentait à de l'esclavage. Il me semble que c'était un choix entre vendre leur force de travail et leur santé ou vendre leurs âmes, croyances et histoires. L'un comme l'autre étaient négatifs et ils ont peut-être choisis le moins pire, je ne saurais le dire. Reste qu'ils ont perdu beaucoup et ont subie ce que les anthropologues appellent une déculturation. Ils se sont alors rabattus sur la culture qu'on leur proposait en échange, celle des missionnaires de l’Église Quadrangulaire et celle de la civilisation espagnol. Rien dans leurs fêtes traditionnelles n'est traditionnel. La musique, dont j'ai déjà parlé hier, vient de la ville mais pas des Sirionos eux mêmes, mais tous semblent connaître les paroles par cœur tant se sont devenus des classiques pour eux. Pas de danse spécifique pour la musique sinon un trémoussement et de vague pas plutôt en rythme. Il existe une danse siriono mais elle n'est plus que cérémoniale aujourd'hui et j'en parlerais une autre fois. J'ai déjà parlé de la consommation d'alcool alors je n'y reviendrais pas, sinon pour noter que c'est un élément important de la fête.

La consommation de tabac pourrait être un fait traditionnel, les Sirionos d'antan connaissant le tabac et le consommant, mais ce n'est plus le cas, les quelques fumeurs achetant des paquets d'industrielles. Le contact humain dans ces soirées est complètement secondaire, ce qui importe c'est que les jeunes invitent des jeunes du sexe opposé à venir danser, même si ils sont d'abord entraînés sur la piste de danse par leurs aînés. Car oui, il y a des gens de tous âges. Ce brassage intergénérationnel est permis par la base culturelle commune, mais exclu cependant les jeunes enfants qui sont laissés livrés à eux-mêmes aux quatre coins du village.


Vous saviez que les mangues poussaient si haut ?

Le reste de la fête s'étant étalée sur quatre jours a été notamment animée par trois mariages dont un dans la nouvelle église construite exprès pour ça, youpi. J'avoue ne pas pouvoir en dire grand chose, n'y ayant sciemment pas assisté. Pas de jeux, sinon le football. Pas d'activités de groupes pour des enfants qui jouent à une sorte de baseball-cricket ou la balle roule au sol ou vont s'amasser devant des téléviseurs diffusant des navets américains ou japonais. Pas de jeux de cartes ou de dés. Pas non plus de pétanque ou de lancé de disque. Pas de tournois amicaux donc, ce qui était bien dommage.

Mais il y a bien eu un jeu social, si on peut dire. Depuis quelques jours ils avaient construits un choral en bois pour y lâcher des taureaux. Je suis resté un bon moment pour voir à quel point leur jeu était sadique. Il ne consistait pas à tuer l'animal comme je l'ai cru d'abord. Il restait contrôlé par deux hommes à cheval, à l'extérieur de l'arène et, me sembla-t-il, extérieurs au village. Ils l'amenaient contre un bord puis un homme fixait autour du corps de l'animal une lanière et alpaguait les jeunes pour qu'ils viennent montrer leur bravoure en restant sur la bête le maximum de temps. Une fois la première bête épuisée, il la faisait sortir pour se faire peur avec une autre. Ce n'est qu'après un moment qu'est entré le taureau, auparavant c'était des vaches, je crois. Quoi qu'il en soit, c'était un jeu stupide et vain. Beaucoup d'énergie dépensée pour construire cette arène qui ne servira qu'une journée, à et faire souffrir de pauvres bêtes. Et aucune idée de collaboration ou de collectif dans ces démonstrations de stupidité.

Il y aurait aussi dû y avoir un combat de coq, mais je ne sais pas si je l'ai manqué ou si la pluie l'a annulé. Ces jeux avec les animaux sont loin d'être des activités traditionnelles pour ces gens qui se présentent comme d'ancien sauvages vivant dans la nature. C'est un mépris de l'animal assez étonnant pour ces descendants de sauvages. Mais c'est peut-être aussi parce qu'ils n'utilisent  pas les bœufs comme animal de trait qu'ils l'estime aussi peu. Cette absence de jeux collectifs (autre que le foot) est un peu triste, de même que leur rapport à l'animal et à la nature.

Le mot pour papillon en siriono c'est ana-ana
L'autre sujet dont je voulais parler dans cet article va dans le même sens. L'idée de polluer leur environnement est totalement étrangère aux Sirionos, qui jettent sans un regard tout ce qu'ils ne veulent pas, que ce soit pour les animaux ou qu'il faille le pousser plus loin à un autre moment. Les gens ne se préoccupent pas des sacs en plastique ou des carcasses de vélo qui traînent et avec lesquels les enfants jouent naturellement. Le fait de cracher par terre n'est pas sanctionné socialement, quelque soit l'endroit, même à table, sur le sol de la pièce à vivre. Et bien qu'il y ai plusieurs fosses pour les excréments, les gens vont uriner où bon leur semble, parfois très près de la maison, parfois un peu plus loin. Comme le font les animaux qui se baladent librement dans les maisons.

Les Sirionos ne respectent pas leur environnement et n'ont pas de notion de la pérennité. Ils battissent des maisons mais ne les entretiennent pas, changeant lorsqu'elles sont abîmées ou ajoutant des bâches plutôt que de les réparer. Ils ont plus ou moins la même conception des choses pour les vêtements, qu'ils font sécher sur du fil de fer barbelé. La pollution du sol et la dégradation progressive de leur lieu de vie semble ne pas leur importer le moins du monde. Mais modérons un peu ces élans négatifs dans un autre moment d'écriture en notant que ces observations proviennent d'un européen à qui on a rabâché tout ça cents fois et qui écrit donc avec tout son surmoi derrière-lui. De même pour les gens qui liront. Considérez donc que tout ça pourrait ne pas vous choquer du tout, si vous aviez eu une autre éducation.

Par ailleurs, si l'apport de déchet alimentaire vient bien de la société moderne, le peu de considération pour l'entretien de l'habitat est peut-être un résidu culturel. En effet, les Sirionos d'antan, vivant en semi-nomade, construisaient des cabanes pour leur famille et les abandonnaient lorsqu'elles étaient trop insalubre, ne cherchant nullement à les entretenir. Le récit qu'en fait l'anthropologue Holmberg dans les années 50 explique en outre qu'ils bâtissaient collectivement la maison mais qu'il revenait à chacun de couvrir sa couche, et qu'ils n'en prévoyaient pas pour ceux qui n'étaient pas là au moment de la construction, qui devaient ensuite agrandir la maison commune. Une information intéressante qui montre la pensée très individualiste qui gouvernait les Sirionos et qui ne les prédisposaient pas à un respect de la nature. Le développement d'objets manufacturés finissant en déchets non-éliminable a ensuite fait le reste, transformant les Sirionos en d'impressionnant pollueurs.
Pour finir; un oiseau que j'essaye de photographier depuis une semaine
Ces deux aspects rejoignent ce que j'ai développé dans les autres articles pour présenter un groupe dont les valeurs morales sont emprunte du pire de la civilisation occidentale et ont effacées presque complètement les habitudes et comportement culturels. Les choses qui restent de l'existence passées sont très mineures et peu considérées socialement, comme les recettes de cuisine ou l'artisanat, totalement délaissé aujourd'hui.

A travers ces trois articles j'ai voulu vous présenter la culture des Sirionos modernes. Elle n'est pas particulièrement exotique mais elle illustre les pires facettes de la culture occidentale et permet ainsi un retour sur nos choix sociaux et nos façons de vivre.