Pitch

Fragments de voyages en Bolivie par un apprenti linguiste étudiant la langue des Siriono.

lundi 30 mai 2011

Des villes des villes

Dans une semaine, je dois présenter mon projet aux membres du laboratoire dans lequel je vais travailler. Pour ça, je rassemble des infos, et vous les propose du même coup. Aujourd'hui, voyons quelles cartes j'ai dans ma manche.

Voilà d'abord l'Amérique du Sud en entier. Vous voyez à l'est le bloc énorme formé par le Brésil et à l'ouest la bande verticale du Chili. Et bien la Bolivie, c'est au milieu. C'est la zone en rose sur cette carte. Ça n'a pas l'air très grand mais ça fait quand même deux fois la superficie de la France, pour moins d'habitants que la Belgique (autour du million d'hectares d'espace pour dix millions d'habitant) . Un pays enclavé, sans accès à la mer mais avec une géographie et des populations très variées.

Pour la géographie d'abord. On trouve à l'ouest deux immenses chaînes de montagne qui se baladent jusqu'au Chili et au Pérou. Entre les deux cordillères, il y a La Paz, la capitale administrative du pays. Cette zone, au dessus de trois milles mètres s'appelle l'Altiplano. C'est environ un tiers du pays.
La Paz, capitale perchée

Au sud se trouve une zone désertique et de montagnes moins hautes dans laquelle se trouve la ville de Potosí qui fut l'une des plus grande ville du monde au XVIe siècle grâce/à cause de sa mine d'argent. C'est aussi par là que se trouve Sucre, la capitale judiciaire du pays. Une ville nommée en hommage au Maréchal Sucre, qui servait Simón Bolivar dans la conquête de la Grande Colombie et la lutte pour l'autonomie.
Sucre, la richesse du colonialisme

Si on se décale un peu vers l'est on trouve une région de plaine que l'on appelle les Basses-Terres. C'est là que pousse la quinoa, le riz et la coca. La quinoa, c'est l'or vert de la Bolivie depuis quelques années. Depuis que c'est prisé par les bobos occidentaux, c'est bien plus rentable de la vendre à l'extérieur que de la manger. Du coup, les gens mangent du riz. Pour la coca, c'est une plante utilisée pour faire du thé ou mâchée pour supporter les hautes altitudes. Mais c'est un sujet qui mériterait un article à part, que je ferais sans doute une autre fois. C'est dans cette région que se trouve la ville de Santa Cruz de la Sierra, plus grande ville du pays. Une ville moderne en forme de cercle :
Santa Cruz, concentrique

Enfin, pour finir ce rapide panorama géographique, on trouve au nord-est la forêt amazonienne, séparée des montagnes par une zone de steppe intermédiaire qui constituera l'environnement dans lequel vivent les Sirionós que je vais aller rencontrer. La région au nord-est s'appelle le Béni et la capitale en est Trinidad, la ville carrée :
Trinidad, au cordeau

Au niveau des climats, et bien c'est plutôt froid en montagne et tempéré dans le reste du pays. Il y fait chaud puisque c'est en zone tropicale, mais pas excessivement. En hiver les températures peuvent même descendre jusqu'à zéro degrés, et ça sera le cas quand j'y serais (car c'est l'hémisphère sud).

Maintenant, au niveau des populations ! Une nouvelle carte du continent représente de façon très très schématique la façon dont s'organisent les familles de langues, donc les peuples sud-américains. C'est très très simplifié mais ça illustre le fait que la Bolivie est au carrefour de nombreuses familles de langues, d'autant plus que l'espagnol se surajoute à tout ça, car oui, les gens parlaient déjà avant que les Espagnols n'arrivent.
De façon très schématique, les aires humaines avec la Bolivie au milieu des couleurs moches.
La population de Bolivie vient donc d'un peu partout, avec pas mal de colons espagnols dans les grandes villes. Il y a principalement trois grandes populations indigènes. Dans les montagnes vivaient les incas qui parlaient diverses langues dont celles qu'ils ont choisis comme officielle est l'aymara. Cependant, les espagnols, voulant simplifier leurs échanges avec eux ont choisis le quechua. Ces deux langues sont du coup très importantes. La première est d'ailleurs la culture d'origine du président actuel, Evo Morales. Dans les plaines ce sont principalement des cultures guaranis. La situation est très complexe entre les guarani, les guarayo, les chiriguanos et les dizaines d'autres groupes distincts. Même au sein de la grande famille des guaranis (ou tupi-guarani si on parle de langue) les groupes sont aussi différents que ne le sont les français et les grecs (tous deux de famille indoeuropéenne, la filiation remonte très loin dans les deux cas).

Et les Sirionós dans tout ça ? Et bien, leur langue est rattachée à la famille tupi-guarani mais ils ont eut de multiples influences et il est donc délicat de déterminer à qui les rattacher. C'est une question qui est encore sans réponse, mais qu'une analyse plus précise de la langue permettra peut-être de résoudre ! Pour les situer sur une carte, en voici une dernière :
Le grand cadre indique la zone dans laquelle ils se déplaçaient traditionnellement. La zone grisée correspond à la zone qu'ils occupent actuellement et dont ils revendiquent la possession. La zone la plus sombre correspond au Territoire Indigène Sirionó, dont ils possèdent le contrôle.
Je reviendrais sur leur acquisition du Territoire Sirionó dans un prochain article, car c'est un processus de décolonisation plutôt intéressant.

En attendant, j'espère que ce fut instructif sans être ennuyeux et je vous dis à bientôt ! N'hésitez pas si vous avez des questions !

vendredi 27 mai 2011

C'est beau la vie

Dans un mois, je prendrais un avion pour la Bolivie. J'y resterais 72 jours, jusqu'à prendre un nouvel avion le 6 septembre, pour rentrer en France le sept.

Mais pourquoi donc ?

C'est l'objet de ce message, les suivants serviront à détailler un peu tout ça.
Je fais des études de sciences du langage depuis un bout de temps maintenant. Des études qui servent à étudier les langues. Et c'est donc ce que je vais faire. Je n'ai pas très envie de le faire sur le français, parce que c'est une langue que j'apprécie assez peu, bien trop irrégulière pour moi. Les autres langues européennes, pourquoi pas, mais pas mal de chose a déjà été fait. Il faut donc aller voir ailleurs. Mon premier objet d'intérêt ont été les langues artificielles, mais on m'a fait comprendre à d'innombrables reprises que ça ne serait pas possible.

Pourquoi la Bolivie ?

Parce que c'est un pays d'Amérique du sud dans lequel il y a beaucoup de langues, et que la plupart sont très peu connues. C'est un pays dans lequel plusieurs chercheurs européens travaillent en ce moment, et notamment plusieurs à Lyon. Comme j'étudie dans cette ville, on m'a proposé d'aller là-bas. Sur conseil de plusieurs linguistes et intérêt d'une communauté sur place, je me retrouve à partir dans ce pays lointain. Je vais y rencontrer les Siriono.

Les Siriono ?

Il s'agit d'une ethnie vivant en Bolivie, dans la région du Béni. Ils seraient environ un millier aujourd'hui, mais ils ont peut-être été bien plus nombreux. En fuyant les colons européens ils sont devenus nomades. Pendant des siècles ils ont survécus d'une chasse difficile, de pêche et de cueillette. Il y a une soixantaine d'année, un anthropologue a débarqué là-bas un peu par hasard et il a écrit un livre les présentant comme des nomades sans cultures, des primitifs ayant une société structurée malgré leur éloignement total de toute civilisation. Un texte majeur qui a fait réagir de nombreux chercheurs. Soixante ans après, ils sembleraient qu'ils ne soient plus nomades. Ils vivent dans un territoire qui leur appartient (depuis leurs grandes mobilisations pour la Dignité et la Liberté, j'y reviendrais). Deux villages principaux sont nés, le premier à cause des missionnaires et le second par leur propre volonté. C'est là-bas que j'irais.

Dans un village ?

D'abord à Santa Cruz, la plus grande ville du pays, puis Trinidad, dans la région du Béni. Et enfin, j'irais dans leur village, oui. Ils sembleraient qu'ils soient quelques centaines à parler principalement espagnol maintenant. Les enfants qui font leur scolarité la font en espagnol et j'aurais surement plutôt affaire à des personnes âgées pour mon travail.

Un travail ?

Oui, ce n'est pas pour faire du tourisme que je vais en Bolivie. J'y vais pour étudier la langue des Siriono et pour ce faire, j'aurais à collecter pas mal de données. Non, je n'apprendrais pas leur langue en deux mois. J'enregistrerais d'abord des listes de mots. Les mots du quotidien, des concepts habituels. Ensuite des histoires pour voir comment s'arrangent les mots. A partir des listes de mots, je chercherais à comprendre le système sonore de la langue, la phonologie. A partir des textes je pourrais étudier la grammaire, comprendre comment se découpent les mots et comment ils interagissent entre eux. Mais tout ça ne pourra se faire en deux mois. La phonologie sera le sujet de mon mémoire de Master 2 tandis que la morpho-syntaxe constituera le sujet d'une thèse, si tout se passe bien.

Mais comment ça va se passer concrètement ? Et tu prépares ça comment ? Ça ressemble à quoi la Bolivie ? Tu me ramènes un truc ?

Les réponses à toutes ces questions viendront dans les prochains messages, et ils constitueront la majeure partie de ce que je pourrais ramener de Bolivie. A suivre donc, si ça vous intéresse !