Pitch

Fragments de voyages en Bolivie par un apprenti linguiste étudiant la langue des Siriono.

jeudi 30 juin 2011

Buenos Aires - Santa Cruz de la Sierra

Le dernier avion décolle enfin et le but est presque atteint ! Je vous avais laissé dans l'aéroport de Buenos Aires, au moment d'embarquer dans un avion de Aerosur. Je n'ai pas pris de photo de l'avion, et c'est bien dommage car cette compagnie bolivienne a des avions super cools ! Sur les flancs sont peints des animaux dans un style très classe. Je crois que j'étais dans un Boeing. J'étais en tout cas à côté du hublot, et j'ai pu voir plein de choses par les fenêtres ! Pas de long récit cette fois mais plein de photos donc !

L'aéroport de Buenos Aires au moment du décollage.

L'urbanisation à l'espagnol, avec des rues en angle droit.

Des symboles étranges que seuls les dieux peuvent lire.

Ces quartiers nouveaux sont au Paraguay, je crois.

La mer de nuage, cliché que l'on doit pouvoir trouver dans tout les récits de voyage.

Coucher de soleil, alors qu'il est à peine 17h30
Première vue floue de Santa Cruz de la Sierra

mercredi 29 juin 2011

Madrid - Buenos Aires

Je continue à vous raconter mon voyage dans un deuxième message qui vous laissera sans doute sur votre faim. Dans l'épisode précédent je quittais donc Madrid à bord d'un énorme avion. Celui-ci ressemblait à ceux des films américains, avec une rangée centrale de quatre sièges et de chaque côté une allée puis deux places. J'étais assis à côté d'un couloir, dans la partie centrale. En face il y avait un écran avec tantôt des publicités tantôt des informations sur le vol. Je crois qu'il y avait aussi des films mais c'était tellement noyé de publicité que c'était difficile de savoir.
Une brochure pour un centre de congrès.

Les écrans d'informations étaient vraiment trop bien. Bon, les cartes permettant de voir où on en est du trajet, c'est marrant, les écrans avec la vitesse, le nombre de kilomètres restants sur les 10 000 à parcourir, c'est marrant, mais le plus marrant, la crème de la crème c'est la vue de l'avion lors du décollage et de l'atterrissage. Grâce à une caméra située sur l'aileron arrière on pouvait voir un bon morceau de carlingue et voir que tout se passe bien.

Peu après le décollage, on a eu droit à un repas du soir sympathique, bienvenue malgré l'heure tardive. Il était en effet presque deux heures du mat'. Après ça, j'crois que j'ai dormi pas mal, par morceaux. Quand je n'arrivais pas à trouver le sommeil, j'écoutais une des dix fréquences de radio disponible à bord. Je me suis réveillé à un moment au milieu de Rango, un film d'animation que j'avais un peu envie de voir. Il m'en manquait une bonne moitié, voir plus, mais j'ai quand même mis les écouteurs et l'ai regardé, un bout en anglais un bout en espagnol.
Bientôt l'objectif !

Le repas suivant a été le petit déjeuner. Et là, on pourrait s'attendre à une spécialité locale mais non, ce fut un bon vieux sandwich jambon beurre, avec une sorte de viande recomposée bizarre. Puis il y avait aussi une compote pas trop mauvaise et un snickers. Très local donc...
Le vol a été relativement long mais mon entrainement à supporter de ne rien faire a porté ses fruits et j'ai réussi à ne pas sombrer dans la démence !
L'aéroport de Buenos Aires, qui ressemble aux aéroports de cinéma.

Je suis donc arrivé à Buenos Aires aux premières heures du jour et j'ai pu entraperçevoir le sol par les hublots situés loin sur le côté. L'avion a atterri sans encombre et les espagnols ont applaudis avec enthousiasme, avec plein de cris de joie, c'était rigolo. Je descends ensuite et cherche où me diriger. Je décide de passer le portail pour aller vers le hall principal, puisque je n'ai pas de ticket pour la suite du voyage. Je reçois donc un joli tampon m'autorisant à rester en Argentine 80 jours, ce qui est bien, mais je n'y resterais pas autant ! Pour ceux qui tiquent, Buenos Aires c'est la capitale de l'Argentine, hein.
Le drapeau de l'Argentine en Légo !

Je cherche alors ma correspondance, qui pars à 16h alors qu'il est à peine 10h. Je trouve le guichet de la compagnie Aerosur, la compagnie de Bolivie, et le monsieur me dit de revenir plus tard, vers 13h. Je cherche alors un coin où glander et j'attends. Je décide au bout d'un moment de sortir faire un tour, et je vois un morceau insignifiant de l'Argentine.
Le chouette nom des pompiers ici, avec le côté classe de la caserne.

Je retourne au guichet à l'heure indiquée et je vois l'hôtesse d'accueil cocher mon nom sur une liste imprimée, on passe à un autre niveau d'organisation là ! Mais bon, ça semble bien se passer. J'avance et passe à un autre guichet où l'on m'annonce qu'il me faut payer une taxe aéroportuaire. Je ne comprends pas bien le montant demandé en pesos argentins mais je peux payer en dollars et ça m'en coutera 13. Voilà qui tombe bien...sauf que je n'ai pas de dollars. Je me rends alors au bureau de change et je passe mon billet de 20 euros pour récupérer presque cents pesos argentins. Je retourne au guichet et donne une partie de ma liasse, autour de 50 pesos. Je peux enfin accéder au dernier guichet et obtenir mon billet, ouf.
Juste à côté du précédent modèle, le vieux camion des bomberos !
Je regarde l'heure et les billets qu'il me reste. Je me dis que j'ai assez pour m'acheter à manger, parce que j'ai un peu faim quand même, avec le décalage horaire et tout ça. Je boude le McDo pour une sandwicherie ou je prends un plat et un fanta orange affreux. J'en ai pour 44 pesos et il me reste 48,75. Je donne donc deux billets de 20 et un billet de cinq. Elle galère avec sa monnaie, elle en trouve pas, va voir sa collègue et reviens me demander si j'en ai pas. Je sors un billet de deux et mes 75 centimes. Elle prend ça en m'indiquant que c'est bon. Ils sont gentils les gens ici !
Ouf, mon vol n'est pas annulé !
Je m'assoie donc un moment et je mange cet espèce de sandwich étrange avec des tranches d'une viande indéfinie grillée puis panée. C'est plutôt bon et je suis d'attaque pour la douane, à nouveau. Je refais une file d'attente pour obtenir un tampon de sortie et je me dirige vers la salle d'attente pour faire la dernière étape de ce long voyage ! Et vous aurez la suite au prochain épisode !

Lyon - Madrid

Le grand départ a commencé par un petit départ, celui de Lyon. En sortant de l'appartement dans la chaleur caniculaire, avec un sac à dos bien lourd. Heureusement que Diane m'accompagnait, parce que sinon j'suis pas sûr que j'aurais survécu au trajet. J'avais donc sur le dos l'énorme machin que vous avez pu voir dans l'article précédent, sans la petite excroissance qui dépasse à l'arrière, que j'ai détaché comme bagage à main..

Premier objectif, l'ISH, pour passer voir une de mes profs qui n'avait pas pu me passer des documents avant. Et tant mieux car j'ai ainsi pu récupérer des photos des Sirionos prises en 1995, que je pourrais leur donner ! C'était aussi l'occasion de faire visiter le long couloir du labo à Diane. Mais ce n'était qu'une étape, comme le fut l'arrêt au Subway de la gare pour un sandwich qui serait le premier d'une longue série.
Les rails de la navette pour l'aéroport

Après avoir pris la navette, on découvre l'aéroport de Lyon qui ressemble à un très grand couloir pas très rigolo. On demande à une madame qui nous dit qu'on est un peu trop en avance pour l'enregistrement. On en profite pour assister à un alerte à la bombe pour un colis abandonné. Je passe ensuite au guichet où je reçois deux billets...attends...deux ? Lyon-Madrid, ok. Madrid-Buenos Aires, ok. Et Buenos Aires-Santa Cruz de la Sierra ? Non, à prendre sur place...hum...ok...bon...

L'aéroport de Lyon
Je pèse mon sac qui ne fait que 16 kilos et je l'abandonne en espérant le trouver à mon arrivée. En nous approchant du guichet suivant, on est abordé par un jeune. Il nous dit qu'il va à San Diego et que notre avion va avoir 40 minutes de retard alors il est un peu en panique...et on lui dit qu'on peut pas l'aider. Diane soupsonne qu'il aille à la Comic Con, mais il est peut-être encore à Madrid à l'heure qu'il est.
Ce n'est pas l'avion que j'ai pris mais il est vert.

Je dois finalement dire au revoir à Diane et passer par le détecteur à métaux. Les adieux sont difficiles, même en sachant que c'est pour peu de temps. Le passage au rayon X de mon sac ne révèle rien d'inquiêtant et je le refais (j'ai eu à sortir tous les composants électroniques) en discutant avec la voisine. On échange sur nos destinations et elle prend aussi la correspondance pour Buenos Aires. On a le temps de discuter vu que l'avion a finalement près d'une heure de retard. Au moment de monter dans celui qui arrive finalement, elle croise une connaissance qui va à Santa Cruz, mais en passant par Lima non par Buenos Aires. On se sépare dans l'avion et je me retrouve dans le fond. C'est un tout petit avion, avec deux rangées de quatre sièges. Il est très bruyant mais le vol se passe bien. On rattrape même un peu de notre retard. Les annonces sont faites en espagnol puis en anglais...mais avec un tel accent espagnol qu'en fait, c'est incompréhensible !
L'avion d'Iberia, dans lequel je suis resté douze heures.

En descendant de l'avion je retrouve les deux filles ainsi que deux autres qui vont à Santa Cruz et ma voisine d'avion avec qui j'avais à peine discuté et qui allait à Lima (donc avec les autres). Un problème se posait pour cette dernière, ainsi que pour celle qui allait à Buenos Aires, elles n'avaient pas leur billet pour la correspondance. On file tous ensemble dans l'aéroport de Madrid. Il est très impressionnant, avec beaucoup de tapis roulants plats. On traverse un hall immense en discutant un peu puis on prend une navette souterraine pour changer de terminal. On passe alors la douane et les deux sans tickets se font refouler sans trop comprendre. Elles ne parlent pas bien espagnol ni anglais toute les deux. Elles repartent dans l'autre sens sans trop savoir où aller. Mes nouveaux compagnons de voyage préfèrent ne pas les attendre pour ne pas rater leur vol. Je les suis un peu, trouve la porte d'embarquement pour mon vol puis reviens sur mes pas. Je reste à côté de l'arrivée de la douane un moment mais ne les revois pas. Au bout d'un moment, je suis contraint de retourner au guichet d'embarquement. Je ne reverrais pas la fille avec qui j'avais discuté, ni là ni à la descente de l'avion. Dommage pour elle...Et ça commence à m'inquiéter un peu car je n'ai pas non plus de ticket pour ma correspondance suivante ! Je monte néanmoins dans l'avion et quitte l'Europe !

lundi 27 juin 2011

Le départ

Et ça y est, c'est le jour du départ !

Ce soir, je décolle pour Madrid à 20h20, arrivée à 22h10. Je traverse l'aéroport à toute berzingue pour prendre un avion pour Buenos Aires qui décollera à 1h05. Et là, c'est parti pour plus de douze heures de vol ! Une demi-journée plus tard, j'aurais changé d'hémisphère. Amorphe, j'attendrais alors une grosse poignée d'heures pour ma dernière correspondance en direction de Santa Cruz de la Sierra. Arrivée à 17h45, heure locale, soit 23h45 heure française ! Et oui, il y a six heures de décalage horaire, facile.

Départ donc à 20h20 pour arriver à 23h45, mais le lendemain, évidemment ! Je ne vous enverrais de mes nouvelles dès que possible, mais ça ne sera surement pas avant mercredi, puisque j'aurais sans doute des achats à faire d'abord, puis mon installation à la Résidence Bolivar. Je vous dis donc à plus tard pour le début de l'aventure !
Un sac sans pattes, une tête sans cheveux !

mercredi 22 juin 2011

Les préparatifs

Dans une semaine, je serais en Bolivie. Dans les messages qui précèdent (ci-dessous), j'ai surtout parlé de mon mémoire et ça n'a pas complétement à voir avec ce voyage. C'était néanmoins une mise en bouche pour les messages qui parleront de linguistique, et il y en aura. En attendant, je suis dans les préparatifs donc !

Ça a commencé par la lecture d'un bouquin un peu général sur la Bolivie, histoire de comprendre la situation générale. J'ai affiné ensuite avec la lecture d'un livre écrit par une bolivienne sur l'évolution récente des Sirionós. J'ai également lu divers textes lors de la constitution de ma bibliographie sur tout ce qui a été écrit sur l'ethnie et la langue. Je mettrais peut-être ça ici, si ça vous intéresse. J'ai commencé à lire aussi Triste tropique de Levi-Strauss mais j'ai dû m'interrompre pour mes études. Dernière lecture en date, offert par mon père et que j’emmènerais pour l'avion : Nomads of the long bow de Holmberg. Premier texte anthropologique écrit sur les Sirionós dans les années 40-50.

Côté organisation j'ai pris contact avec pas mal de gens, certains que je pourrais voir là-bas, d'autres qui travaillent ou ont travaillé sur des langues amérindiennes. Notamment l'auteur bolivienne dont je parlais précédemment, que je pourrais peut-être rencontrer à Trinidad. Mais aussi l'organisateur d'un atelier de formation des maitres d'école des basses-terres bolivienne. L'objectif est d'aider les instituteurs à transmettre leurs langues en leur apportant quelques notions de linguistique. Je pourrais assister aux cours pendant mes deux premières semaines à Santa Cruz et me familiariser avec l'espagnol et avec les questions linguistiques qui intéressent les indigènes. Je précise au passage que le mot indigène n'est pas péjoratif mais choisi par les indigènes eux-mêmes.

Côté sanitaire, j'suis passé dans un centre de vaccination des voyages. Un endroit spécialisé dans les voyages et j'y ai laissé plein de sous. En fait, j'avais pas été vacciné contre grand chose quand j'étais môme et du coup j'avais pas mal de choses à rattraper. Je ne me souviens plus de la liste exacte mais il y avait entre autre la fièvre jaune, la rage, les oreillons, la rougeole, l'hépatite A...Ainsi qu'une liste à acheter en pharmacie. Au total presque cinq cents euros pour ne pas être malade. J'espère que ça va marcher. Ah oui, j'aurais aussi un traitement contre le paludisme, maladie pour laquelle il est plus rentable pour les labos pharmaceutiques de vendre un traitement que de développer un vaccin. J'aurais donc une gélule par jour avec de l'eau, en bouteille évidemment.

Et il reste l'aspect matériel. Avec le soutien de mon père, j'ai acheté un super sac à dos. Il peut porter 70 litres, mais je n'y mettrais pas vraiment des liquides donc j'sais pas trop quelle contenance ça fait, sinon beaucoup. Ce qui est chouette par contre c'est qu'il a un module détachable pour aller explorer les planètes pendant que la base reste en orbite.

J'ai aussi acheté un couteau, une spork, mélange improbable entre fourchette et cuillère ainsi qu'une lampe frontale. Ma mère m'a offert un drap de soie et mon père une moustiquaire. J'ai eu droit pour mon travail là-bas à un enregistreur et des haut-parleurs portatifs. Diane m'a prêté son ancien ordi portable qui pèse à peine un kilo et me servira de temps en temps, lorsqu'il y aura de l'électricité.

Voilà voilà, je crois avoir fait un bon petit tour. Je rajouterais des images rigolotes à l'occasion, là j'en ai pas sous la main. Je mettrais surement un autre article dans la semaine, avant mon départ lundi !
Hésitez pas à donner des conseils sur les choses à emmener ou si vous voulez des détails.

mardi 14 juin 2011

Présentation de mon mémoire

Je vous en ai un peu parlé ici et , j'ai écris un mémoire pendant cette année de Master 1. Je vais le présenter vendredi à mes directrices de recherche ainsi qu'à quelques collègues et je me suis dit qu'il serait peut-être intéressant de vous le présenter également. Oui, je fais d'une pierre deux coups, j'adore. Sauf que ça me simplifie pas tant le travail car je ne vous expose pas du tout les choses de la même façon !

Commençons par préciser dans quel cadre j'ai fais ce travail. Le parcours universitaire commence par trois ans de formations théoriques, la Licence. En Sciences du langage, comme en médecine dans une certaine mesure, on reprend ce qui a été expliqué avant et on montre que c'était hyper-simplifié et qu'en fait, ça fonctionne pas du tout comme ça. On en profite pour voir les différentes spécialités, qui sont nombreuses dans ce domaine. J'ai pour ma part choisis comme spécialité pour la suite "Description et Typologie des Langues". La suite c'est le Master (deux ans) puis le Doctorat (trois ans). L'objectif du doctorat que je vise est de décrire une langue d'un bout à l'autre, en réalisant une grammaire de celle-ci. Le problème c'est que trois ans, c'est trop court pour pouvoir faire ce travail, donc il est plus sage de commencer dès le Master.

Je commence donc un projet au long cours sur la langue sirionó, parlée en Bolivie. J'ai déjà expliqué ici pourquoi je fais ça et pourquoi cette langue là. Le problème, c'est qu'il est difficile de l'étudier depuis la France, et c'est pour ça que j'y vais. Mais j'ai un devoir à rendre avant d'y aller, et je ne peux donc pas le faire sur cette langue. Certains le font, en partant au printemps et en rédigeant une petite présentation sociolinguistique de l'ethnie et de la langue, en discutant de ses usages. Ce que je n'ai pas fait, et tant mieux car je ne suis pas très fan de cette approche très sociologique. Ce que j'ai fais correspond en fait au terme Typologie de ma formation.

Il s'est trouvé l'année dernière qu'un chercheur a proposé à plusieurs personnes d'écrire un recueil d'articles sur les langues d'Amazonie. Ma directrice de recherche a proposé deux sujets, l'un a été selectionné et l'autre m'a été refilé. Je n'ai donc pas foncièrement choisi mon sujet, mais ce n'est jamais complétement le cas à l'université. Elle m'a donc proposé de travailler sur la question du nombre dans les langues tupi-guarani. Précisons que le sirionó que j'étudierais ensuite fait partie de cette famille de langue. C'est donc une première plongée dans les langues proches afin de voir quels phénomènes existent et à quoi ça ressemble en vrai une grammaire. C'est un peu comme lire des choses sur la cuisine asiatique en général avant de s'intéresser à celle d'un tout petit coin reculé de la Chine.

La première chose que j'ai fais, c'est de lire un livre sur le nombre, parce que je voyais pas très très bien ce que ça recouvrait. Pour faire simple, c'est le pluriel, avec toutes les nuances qui sont autour. C'est à dire que nous on a une opposition entre singulier et pluriel, assez simple. Dans certaines langues c'est beaucoup plus compliqué, comme je commençais à expliquer dans un article précédent. Après ça, j'ai pris une dizaine de grammaires pour chercher les pages qui m'intéressaient. C'était pas évident d'abord parce que la plupart étaient en espagnol ou en portugais. Puis parce qu'elles expliquent toutes des choses différentes.

En fait oui, ce qui a motivé cette étude c'est le constat que chaque langue fonctionne différemment pour le pluriel. Il semble difficile de trouver un fonctionnement commun, mais c'est par contre possible de baliser le chemin pour mieux décrire les fonctionnements, c'était ma mission. Très vite je me suis aperçu que le pluriel ne se construisait pas que sur les noms. Les verbes aussi peuvent être au pluriel. C'est un peu bizarre mais il faut considérer que le pluriel sur les noms indique qu'il y a plusieurs agents (personnes qui agissent) tandis que le pluriel sur les verbes indique qu'il y a plusieurs actions ! Et c'est même plus fin que ça dans les langues tupi-guarani que j'ai étudié !

Le procédé pour indiquer une pluralité d'actions est la réduplication. Il s'agit de la reproduction à l'identique d'une ou plusieurs syllabes dans un mot. Des fois au début, des fois à la fin, ça varie d'une langue à l'autre. Ce qui est intéressant en revanche c'est que (souvent) si une syllabe est répété c'est que l'action se répète au moment ou elle se produit. Si c'est deux syllabes par contre, c'est qu'elle se répète à différents moments. Je vous illustre ça par un bel exemple tiré de la thèse de ma directrice de recherche !

K lave les assiettes : l'action se répète puisque K lave plusieurs assiettes.
Dès que l'ogre va faire un tour, L lave les assiettes : l'action se répète mais à des moments distincts.

On peut donc dire que l'action est répétée ou répétitive, ou encore qu'il y a un pluriel interne à l'évènement et un pluriel externe. J'espère que je ne vous ai pas trop perdus.

Quoi qu'il en soit, j'ai trouvé ce fonctionnement là super intéressant, bien plus complexe que les bidouilles avec les noms et assez original ! J'ai donc consacré un bon tiers à cette question, une bonne partie du reste au nom et quelques lignes à la fin sur d'autres possibilités pittoresques.

L'ensemble fait une quarantaine de pages avec les annexes (dont une carte pour repérer les langues dont je parle) et je vous l'ai mis quelque part si ça vous dit d'y jeter un coup d'œil !

J'espère avoir réussi à vous montrer l'intérêt de mon travail, mais je sais que ce n'est pas évident à comprendre lorsqu'on est extérieur à tout ça.

Quoi qu'il en soit, c'est un travail que je compte poursuivre, notamment dans mon étude du sirionó puisque ça existe, et même plus largement puisqu'il serait possible que je présente tout ça lors d'une conférence l'année prochaine à Vienne !

Comme d'habitude, n'hésitez pas à poser des questions, encore plus si vous vous risquez à la lecture ! Je peux expliquer sur demande n'importe quel mot un peu complexe utilisé !
Sur ce, je vais me délecter des devoirs en cours d'écriture de mes camarades en panique et je vous dit à bientôt !

L'intérêt linguistique du sirionó

Cet article fait suite à celui dans lequel j'expliquais pourquoi étudier le sirionó. Outre les raisons humaines, il existe des raisons scientifiques qui font que cette langue est intéressante. Je vais essayer de vous les expliquer en gardant comme visée que je m'adresse à tous, donc en tentant de rendre clair tout élément !

L'ordre des mots est une chose que l'on donne souvent en premier pour décrire une langue. Sauf qu'en fait, c'est difficile à dire. Il semblerait qu'il soit relativement proche de celui du français...mais il faudrait étudier une grosse quantité de phrase pour en être certain. Il est possible qu'en sirionó se produise un phénomène intéressant que l'on retrouve dans certaines langues proches. Lorsque le complément circonstanciel de lieu est mis en lumière, rendu central dans la phrase, il affecte le verbe. Dans la plupart des langues ce n'est pas le cas. On considère habituellement que les compléments circonstanciels sont hors de la valence verbale, c'est à dire que leur présence ou absence ne change rien. Et là, ben ça change. Je ne vous détaille pas le changement mais c'est intéressant comme phénomène parce que ça veut dire que pour les Sirionós, l'endroit où a lieu l'action affecte directement la réalisation de celle-ci !

Le système de pronoms personnels est intéressant lui aussi. Ils sont collés aux verbes mais n'indiquent souvent qu'un élément, le sujet ou l'objet de l'action. Le choix de celui que l'on indique dépend d'un degré d'animéité. C'est un petit peu compliqué et on pourra se demander comment ils font marcher ça, mais ça fonctionne. En gros, il je dis "je mange une orange", le sujet est animé (c'est moi) et l'objet est inanimé (elle est bleue). On dira donc ça comme ça. Par contre si on veut dire "une orange me mange" on dira juste "me mange" puisque le sujet est plus animé que l'objet. Enfin bon, ça amène a des situations intéressantes et souvent obscures quand on ne comprend pas de quoi il est question. Il est possible qu'il soit par ailleurs impossible de dire "le moustique pique l'homme" car on considère que le premier est moins animé que le second (souvent) et donc on ne pourra dire que "l'homme a été piqué par le moustique".


Un autre aspect intéressant concerne les marques sur les verbes qui indiquent le degré d'évidentialité du propos. On précisera ainsi systématiquement si on sait ce dont on parle parce qu'on l'a vu, si on le sait parce que quelqu'un nous l'a dit ou si on le sait parce qu'on en a vu des indices indirects (le sol est mouillé, je sais qu'il a plu même si je l'ai pas vu). Un trait qui apparaît dans pas mal de langue amérindiennes et qui est très intéressant puisqu'il nous oblige à préciser le degré de véracité de nos propos, ce que cherchent en permanence à faire nos politiciens avec des formules hyper compliquées ! Du coup, ça entraîne probablement une classification mentale des connaissances en fonction de la pertinence, du degré de vérité qu'on y accorde !

Du côté des sons prononcés, il y a de quoi se marrer aussi. Dans les voyelles il existe un i prononcé avec la langue très en avant qui ne correspond à aucun phonème stéréotypique. En gros, c'est un son inédit ! Dans les consones, il est amusant de noter qu'il n'y a aucun son L et que le son R ressemble en fait plutôt à un D, avec peut-être un petit effet rétroflexe. Ce son entre le R et le D demande une analyse pour être mieux décrit mais il est possible qu'il soit fait avec le dessous de la langue qui frotte le palais plutôt que la pointe. Essayez pour voir. C'est ça rétroflexe. Fou, non ?

Lorsque le son passe par la bouche et par le nez en même temps on dit que le son est nasalisé. C'est un phénomène qui arrive en français lorsqu'on met un N ou un M. Et bien là, il affecte plein de consonnes et de voyelles dès qu'un bout est nasalisé. Il s'agirait d'une sorte de propagation qui entache tout le mot de nasalité. C'est intéressant car on considère souvent que le trait nasal est lié à un phonème alors qu'ici il serait plutôt lié à un mot. On parle de trait suprasegmental. C'est difficile de vous expliquer en quoi c'est intéressant mais je passerai mon été à étudier ça alors je saurai surement mieux vous en parler ensuite !

En tout cas j'espère ne pas vous avoir ennuyé et être resté assez clair dans l'ensemble. Si vous avez des questions, n'hésitez pas !

dimanche 12 juin 2011

Résumés de mon mémoire de Master 1

Dans le précédent billet je vous parlais d'un devoir à rendre aujourd'hui. Et bien, outre l'analyse d'une trentaine de pages, je dois proposer deux résumés en quelques mots expliquant le sujet, le premier tout public, pour les gens ne connaissant pas le sujet et le second pour ceux qui voient ce qu'est la linguistique. Je vous les proposes tout deux ci-dessous !

Mise à jour, le 14 juin : Voici les versions définitives, j'ai pris en compte vos remarques, Gaëlle et Nico, merci beaucoup à vous !


Résumé grand public
Il existe dans le monde un très grand nombre de langues dont certaines peuvent être rassemblées par une histoire commune et des traits communs. On considère qu'elles forment des familles de langues, nées d'un ancêtre hypothétique commun. On cherche alors à comprendre comment s'est faite leur évolution afin de mieux appréhender les contacts entre les civilisations et les migrations humaines. Nous nous inscrirons dans cette démarche en étudiant l'expression du nombre dans les langues tupi-guarani. Celles-ci forment une famille d'une quarantaine de langues parlées à travers la partie amazonienne de l'Amérique du Sud, des côtes du Brésil à la Bolivie, de la Guyane française au Paraguay.

Le nombre est une catégorie grammaticale dont fait partie le pluriel. Dans de nombreuses langues comme celles qui nous intéressent, le pluriel n'existe pas en tant que tel mais se voit remplacé par plusieurs éléments. Nous verrons notamment que la répétition d'une syllabe -- ou réduplication -- sur un verbe permet d'indiquer que l'action se déroule à plusieurs reprises. L'analyse de l'expression du pluriel passe par ces éléments que l'on comparera entre plusieurs langues au sein de la famille des langues tupi-guarani afin de mieux les cerner. Le panorama que l'on esquissera pourra permettre de mieux comprendre les sens de chacune de ces langues, en en profitant pour observer des procédés originaux n'existant pas dans les langues européennes.


Résumé pour les gens s'intéressant à la question
La typologie des langues tupi-guarani s'enrichit de comparaisons entre les utilisations diverses des domaines fonctionnels. Aucune analyse globale n'a encore été proposée sur le domaine du nombre et celui-ci est vu comme très hétérogène (Jensen, 1998 et1999). En effectuant un tour d'horizon des stratégies utilisées nous observons les similitudes et divergences, tant sémantiques que fonctionnelles, qui composent et structurent les langues tupi-guarani. Les indices de personnes illustrent un premier trait du marquage du nombre : son absence à la troisième personne. Abordant les verbes, nous présentons la réduplication comme procédé de pluriactionnalité mêlant une pluralité des actants à une pluralité des évènements. Considérant les noms, nous détaillons les morphèmes de pluriel dont les quantifieurs qui intègrent différentes valeurs qui gravitent autour de la notion de pluriel, incluant l'intensité. Des stratégies périphériques originales sont également mentionnée tel que l'utilisation d'un locatif diffus afin d'indiquer la pluralité des agents. L'ensemble trace un premier tableau pointant les éléments principaux à considérer dans l'expression du nombre au sein des langues tupi-guarani.

jeudi 9 juin 2011

Mémoire...mes moires, ou êtes-vous donc ?

Un nouvel article est en préparation mais il ne sera pas pour tout de suite. Je suis en plein rush pour rendre mon mémoire. Il s'agit d'un dossier d'une trentaine de pages qui servira à déterminer si je peux continuer mes études ou non. Il y a un peu de pression vu que c'est le premier gros devoir que je rends à ma directrice de recherche. Si je me plante, c'est pas sûr qu'elle accepte de continuer à m'encadrer, donc faut que j'assure.

Du coup, pourquoi je prends le temps de poster un nouveau message ici ? Et bien parce que je pourrais avoir besoin de votre aide ! Et oui, c'est fou ça. En fait, je dois rendre la version définitive dimanche soir, par courriel. Outre l'analyse passionnante, j'ai à produire un résumé court en français, en anglais et en français vulgarisé. Je serais très content si des gens voulaient bien relire mon travail avant que je ne le rende et j'apprécierais énormément tous les commentaires qui pourront être fait sur mon résumé "tout public".. Si ça vous intéresse et que vous avez le temps, laissez moi un message avec l'adresse où vous voulez que je vous envoie ça !

Ce serait injuste de vous laisser ainsi. Je vais donc vous dévoiler un peu de mon sujet, comme ça vous ne serez pas venus pour rien.

Je rédige un mémoire dont le titre est "Expression du nombre dans les langues tupi-guarani". Le premier mot indique une revue, type tour d'horizon, des différentes manières de faire. Il ne s'agit d'une analyse dans le détail mais plutôt d'un travail de comparaison entre différentes possibilités. Le nombre, ce n'est pas les nombres. Pour faire simple, c'est le pluriel, quand on parle des noms. En français on a une opposition simple entre un cheval et des chevaux. Dès qu'il y en a plus d'un, c'est du pluriel. Et bien certaines langues ne fonctionnent pas comme ça. Lorsqu'il y a deux chevaux, la forme du mot sera différente de lorsqu'il y en aura un ou plus de deux. Trois formes différentes donc : singulier, duel et pluriel. Il est aussi possible d'avoir une forme différente lorsqu'il y a trois entités : singulier, duel, triel et pluriel. Ensuite, on peut faire des nuances dans le beaucoup. Soit il y en a une petite quantité, soit beaucoup, soit des tonnes et des tonnes. Ça donne trois possibilités de subdivisions au sein du pluriel : paucal (quand il y en a peu), pluriel (plein, c'est normal) et un dernier qui fera plaisir à Maé, si elle me lit et qui s'appelle le pluriel d'abondance (oui oui, quand il y en a tellement qu'on peut plus compter). En plus de toutes ces divisions, il est possible d'avoir des formes qui indiquent un groupe, un son qu'on dit après un mot pour dire "et tous ces amis".

Voilà plein de chouettes possibilités mais moi j'étudie uniquement celles qui apparaissent dans les langues tupi-guarani. C'est un groupe de langues parlées en Amérique du sud, entre le Brésil, la Guyane française, la Colombie et la Bolivie. Le sirionó que je vais étudier en fait partie, c'est d'ailleurs pour ça que j'fais mon mémoire là dessus.

Enfin du coup, de toutes ces merveilles il n'y a aucune dans les langues tupi-guarani ! Et oui. Tellement pas que les langues ne permettent parfois pas d'indiquer la pluralité, ou avec des façons de faire qui paraissent très étranges ! Une des possibilités est d'utiliser une marque sur le lieu qui s'appelle "locatif diffus" et qui indique que le lieu est vague. Comme le lieu est diffus, ce qui s'y trouve ne peut pas y être en un seul exemplaire, il en a donc plusieurs !
J'ai un petit exemple pour ça, dans une langue qui n'est plus parlée mais dont la première grammaire date du seizième siècle (avant que beaucoup de langues européennes n'aient eut droit à leur grammaire !) :

kaʔá-βojawár-ar-ekó-w
jungle-LOCjaguar-NRELN-être-FOC
Les jaguars vivent dans la jungle.


Fantastique, non ? Bon, je vous explique. Cette façon d'écrire est celle que l'on utilise afin d'indiquer un maximum d'informations. La première ligne est dans la langue étudiée, les tirets indiquent des découpages faits par la personne qui étudie la langue mais non par ceux qui la parlent. La dernière ligne est la traduction, où vous voyez qu'il y a plusieurs jaguars. La seconde ligne est celle des gloses. On y indique les noms et les verbes, les termes lexicaux avec un sens et on ajoute les marques grammaticales. On voit ici LOC qui indique le locatif diffus dont je vous parlais, il précise que le lieu est grand. Sur le mot jaguar il y a une marque qui indique que c'est un nom, mais ça n'est pas une marque de pluriel. Et sur le verbe, laissez tomber, c'est pas important pour ce dont je vous parle.

Voilà un premier exemple, qui montre ce que recouvre l'expression du nombre dans une langue tupi-guarani. Si vous voulez en savoir plus, dites le moi et je vous enverrais mon travail en exclusivité ! Une offre gratuite et  limitée dans le temps puisque seulement valable jusqu'à dimanche soir ! Mais c'est une proposition en or puisqu'elle est spécialement pour VOUS ! (sourire vendeur)

samedi 4 juin 2011

Pourquoi le siriono ?

C'est une question intéressante et je me suis dit que vous vous la posez peut-être. Je vais donc tâcher d'y répondre !

Les Siriono ont une histoire assez peu grandiloquente. Ils chassaient et récoltaient des fruits sauvages tranquillement avant que les fanatiques religieux ne viennent tenter de les évangéliser. Pendant plusieurs siècles ils refusèrent et devinrent nomades afin de fuir le parasitisme civilisationnel.  Vivant alors chichement, ils rencontrèrent les autres ethnies et commercèrent sans doute avec eux. Une question vient immédiatement à l'esprit pour ce peuple qui ne laisse pas de ruines derrière eux : d'où viennent-ils ?

L'étude de leur langue permet de tisser des liens entre les ethnies. Une ethnie se définit par sa langue et sa culture. La première partie est teintée de la seconde et l'étude des deux est nécessaire. La comparaison entre les langues est cependant plus rigoureuse que celle entre les cultures. On connait depuis assez longtemps les langues de la côte Est du Brésil et il semblerait que le siriono y soit apparenté. De là à penser qu'ils viendraient de là, ce serait aller trop vite ! Chaque rencontre avec une autre ethnie entraîne l'appropriation de certains mots, et il est ainsi possible de retracer les périodes d'acquisitions de certaines techniques de manufacture ou d'agriculture en fonction du mot utilisé ! C'est aussi le cas en français qui pique les mots nouveaux aux gens qui les utilisent, en les déformant pour les adapter à leur prononciation.
On a donc là une première motivation à connaître la langue des Siriono : comprendre l'Histoire et les mouvements de population !

Une seconde motivation est le fait que cette langue est en danger. L'Humanité parle actuellement plus de six mille langues et chacune est une vision du monde particulière, avec des connaissances spéciales et une partie de l'Histoire. La connaissance de la pensée humaine et de ce qu'il est possible ou nécessaire d'utiliser pour communiquer passe par l'étude des diverses langues. Il se trouve que pendant des siècles, les seules langues étudiées ont été les langues européennes et qu'on a du coup considéré beaucoup de choses universelles alors que ce n'est pas du tout le cas. Ne serait-ce que la distinction entre sujet et verbe qui n'existe pas dans plusieurs langues. Ou encore la conjonction de coordination et dont les Siriono se sont passés pendant des siècles !

La langue siriono est particulièrement en danger car elle n'est parlée que par peu d'individus qui sont particulièrement pauvres et qui ne transmettent plus leur langue au profit de l'espagnol. Il existe différentes raisons qui peuvent pousser les gens à abandonner leur langue pour une autre ou des parents à ne pas transmettre leur langue. Sur les six milles langues du monde, on estime qu'à la fin du siècle la moitié se seront éteintes. Des centaines de cultures perdues et avec elles, des milliers de savoirs. Le siriono en fera probablement partie et il faut l'étudier avant que ce ne soit complétement le cas.

Il se trouve que les Siriono ne sont pas honteux de leur culture, et ils ont bien raison. Ils se sont donc battus pour récupérer leurs terres et ont une véritable volonté de continuer à parler leur langue. C'est une partie d'eux-mêmes et c'est une volonté politique qui bénéficiera de l'aide d'une bonne description de la langue. L'étude de leur langue pourra donc servir leurs revendications ethniques et ça c'est bien !

Il y a déjà eu des travaux entrepris auprès les Sirionós. Je ne m'attarderai pas sur les anthropologues, dont Holmberg qui publia en 1950 un bouquin d'où sont tirées les illustrations de cet article. Ah si, quand même, je me dois de citer Zulema Lehm qui est sociologue en Bolivie et qui a publié un essai sur les Siriono assez incroyable et que je lis en ce moment-même.

Revenons aux linguistes et commençons avec les religieux puisqu'ils étaient là d'abord. Le premier fut le père Schermair qui passa plusieurs années avec les Siriono et rédigea un épais (et peu digeste) dictionnaire Sirionó-Espagnol (1957), un dictionnaire Espagnol-Sirionó (1962) ainsi qu'un recueil de textes avec des bouts de Bible dedans (1963). Après lui, un couple de missionnaires envoyés par le Summer Institute of Linguistic (SIL, responsable du site ethnologue.com) vinrent pour traduire la Bible. Ils passèrent plusieurs années dans le village qu'avait fondé Schermair et d'autres religieux et participèrent à une école bilingue siriono et espagnol. Ses textes sont nombreux mais son analyse principale utilise une approche théorique particulière qui le rend totalement opaque (la tagmémique). Voici une page qui vous en donnera un bon aperçu !

 La même année, un linguiste commença à s'intéresser à la langue mais son analyse est jugée erronée par ceux qui l'ont suivi et je n'ai pas encore pu mettre la main dessus. On est en 1965 et il s'appelle Firestone, un nom qui sent le caoutchouc brûlant.

On passe trois décennies pour arriver en 1995. A cette date, le gouvernement de Bolivie décide de rendre officielles 37 langues du pays. Pour ce faire, il fait appel à des linguistes afin d'organiser une campagne de création d'alphabets. Oui, ils considéraient qu'une langue n'existait pas sans alphabet, ce qui est complétement faux. Plusieurs langues avaient déjà été écrites par des missionnaires et il s'agissait de corriger quelques erreurs et d'uniformiser tout ça. Ce sera l'occasion par exemple de supprimer de pas mal de langues la variation écrite entre c et qu selon la voyelle qui suit. Hop là, on passe à la lettre k de façon systématique. Pour ce projet est contactée notamment une linguiste qui a travaillé auparavant au Guatemala sur une langue maya puis pour l'UNESCO sur la définition des langues en danger. Elle enseigne alors à l'Université de Lyon et entraine ces étudiants avec elle. C'est ainsi que s'est monté le projet d'étudier plus avant les langues de cette région du monde.

Mais continuons sur le siriono puisque c'est le sujet de cet article. On arrive au tournant du siècle avant qu'une linguiste ne s'intéresse à la prononciation d'une voyelle du siriono. Elle publie alors un article (Crowhurst, 2000) sur la question. Un spécialiste de la région se replonge alors dans les écrits du père Schermair (Dietrich, 2002) puis c'est un étudiant allemand qui consacre son Master à l'étude des verbes du siriono. Il ne se rend pas sur place mais travaille à partir des données recueillies par les précédents. J'avoue ne pas encore m'être penché sur les travaux de Hemmauer bien qu'il eut fait l'effort de les traduire en anglais (2007).

Enfin, pour conclure cet état de l'art (c'est comme ça qu'on appelle l'ensemble des travaux précédents sur une question), je parlerais de l'article d'Östen Dahl, linguiste suédois qui a choisis de présenter cette langue dans une encyclopédie consacrée aux langues de Bolivie. Il est allé sur place quelques jours en 2008 et en a retiré de quoi vérifier un peu les travaux précédents. Sa présentation, que l'on appelle en anglais grammatical sketch, n'est pas encore parue mais j'ai pu la lire et c'est intéressant, bien que très synthétique.

Ces derniers paragraphes étaient un peu longs mais nécessaires afin de montrer que cette langue n'est pas totalement inconnue. Vous vous demandez alors ce qu'il manque sur elle ? Et bien, c'est que la théorie a bien évolué et les méthodes d'analyse également. Les études passées étaient très influencées par la langue de la personne qui étudiait alors que l'on apprend maintenant à s'en défaire au maximum. Le but n'était par ailleurs pas tant de comprendre la langue dans ses détails que d'être capable de traduire la Bible. Enfin, la découverte de phénomènes nouveaux dans d'autres langues permet de les retrouver dans celle-ci et d'analyser de façon plus fine le fonctionnement de la langue.

Je comptais encore écrire un petit paragraphe sur les spécificités de cette langue mais je me rends compte que cet article est déjà particulièrement long. Je vous proposerais donc ça plus tard !

Avant de se quitter résumons les principaux arguments qui amènent à l'analyse du siriono ! Il apparaît que la connaissance d'une langue permet une meilleure connaissance de l'Histoire et du fonctionnement humain. Cette langue-ci est en danger de n'être plus parlée d'ici quelques générations et ce qu'elle pourrait apporter risquerait d'être perdu à jamais. La communauté qui parle cette langue est pourtant intéressée pour la conserver et ferait bon usage d'un travail scientifique sur la langue. Un travail qui a déjà partiellement été fait et nécessiterait une réanalyse à l'aune des dernières découvertes linguistiques.

L'aventure ne fait que commencer !