Pitch

Fragments de voyages en Bolivie par un apprenti linguiste étudiant la langue des Siriono.

Comment j'en suis arrivé là

Bonjour, je m'appelle Noé et je suis votre hôte sur ce blog. Vous me connaissez sans doute si vous lisez ces lignes mais peut-être ne connaissez-vous pas tout mon parcours aussi je vais le détailler sur cette page ! L'objectif est de montrer que rien ne pouvait laisser présager que je fasse cette expédition et que le Destin est une grosse blague. J'espère qu'elle vous fera rire. Ce texte a été écrit en juin 2011.

Tout à commencé par ma naissance, dans une maison du quartier des bories à Piégros la Clastre. Les bories sont des maisons construites en pierre, souvent de petites tailles et avec un toit arrondis. Un peu comme des igloos de cailloux. A côté coulait un canal et ma mère craignait que j'y tombe alors mes parents ont déménagé. J'allais ensuite à la maternelle de Mirabel et Blacons. Je me rappelle avoir eut un lion et qu'il ait perdu une patte. J'en étais très attristé et c'est peut-être pour la retrouver que je suis allé plus tard à Lyon. Après quelques années de sieste et de marmaille, je partais à l'école où j'étais un élève moyen. Je n'étais pas très bon en français, voir même carrément mauvais. Pendant deux étés mon père me dictait une phrase par jour afin que je m'améliore, quasiment sans résultats. Une méthode reproduite ensuite avec l'anglais sans que je progresse davantage.

J'en arrive au collège, que je passerai rapidement. Je n'étais pas un meilleur élève. Les langues furent des suites de frustrations et d'incompréhensions. En français je comptais encore mes points en négatif à chaque dictée malgré mes nombreuses lectures. A cette époque là je lisais Tolkien sans y voir tout le génie linguistique et riais des mots de Eric et Ramzy ou François Pérusse. J'aime bien l'humour d'ailleurs, ça me fait rire.

Le lycée s'est déroulé de manière chaotique. En seconde j'essayais d'être meilleur élève que je ne l'avais été, sans grand succès. Le prof de français était sympathique et je commençais à réduire mon nombre de fautes. Le mérite ne revient pas tant à ce professeur qu'à internet et à la découverte du forum de Black Sword. A l'époque, internet était limité, dans le temps. Une ou deux heures dans le mois c'était déjà beaucoup, puis possible. Progressivement, je passais de plus en plus de temps sur internet, et de plus en plus de temps à écrire, surtout. Je découvrais un beau jour un logiciel permettant de créer des jeux vidéos d'aventure et m'y essayais quelque peu. La partie technique m'amusait, la possibilité de raconter des histoires me plaisait bien. Quand je ne comprenais pas, j'allais voir sur le forum d'entraide, Black Sword donc et j'y discutais de diverses choses. Celui-ci a ensuite laissé place au forum de Zanarkand, sur lequel je suis encore actif aujourd'hui. La volonté commune de nous rendre intelligibles les uns pour les autres m'a fait beaucoup progresser en orthographe.

Mais revenons au lycée. Je n'étais pas trop mauvais en physique et en math alors on m'a envoyé en filière scientifique. De toute façon, c'était connu que ça ouvrait toutes les portes et que ça formait l'élite...enfin l'élite de la classe moyenne, comme je le découvrais progressivement. Je passais alors deux ans à n'apprendre que des bribes des nombreux cours inintéressants. Le bac fut presque une formalité et je laissais avec joie les matières scientifiques pour entrer en Lettres modernes.

Je choisissais un parcours Histoire de l'Art uniquement disponible à Grenoble afin de m'éloigner du foyer familial et j'y partais avec un entrain modéré. J'y allais dans l'idée de me faire une culture et de voir ce que je valais en terme d'écriture. L'objectif était alors de devenir journaliste, pourquoi pas critique musicale. Après un semestre j'en doutais déjà. Le second fut celui du mouvement de grève lié au CPE (un contrat professionnel qui permettait aux patrons de virer plus facilement leurs employés). Je découvrais d'un coup pas mal de choses intéressantes qui m'éloignèrent de l'art antique. Outre la politique et l'activisme, je découvrais l'espéranto. En fait, la première fois où j'ai pu lire de cette langue, c'était dans Morrowind. Dans ce jeu vidéo d'aventure figurait de nombreux livres virtuels et l'un d'eux était crypté à partir d'un texte en espéranto. C'était une blague des développeurs et les gens sur internet ont cherchés pendant un bon moment avant de le décoder. Je me suis souvenu de ça en retombant sur la langue. Je m'y penchais sérieusement et développais alors un intérêt vif pour les systèmes de communication logique que sont les langues artificielles.

Je poursuivais néanmoins un an en Lettres modernes et découvrais sans grand entrain le français du Moyen âge. J'étais lassé de ces enseignants individualistes, passionnés par des objets qui n'intéressaient qu'eux et bien trop suffisants. J'aurais peut-être continué sur cette voie si j'avais pu, mais ce ne fut pas le cas. Lors de la première année, je m'étais tellement impliqué dans la grève et dans l'occupation du campus que je n'avais pu reprendre les cours ensuite. Je n'avais donc pas validé la moitié de cette année là et je n'y suis pas arrivé non plus la deuxième fois. J'avais donc la deuxième année sans la première et il m'était impossible de poursuivre. Je me réinscrivais alors une troisième fois en première année, en prenant à côté Sciences du langage, pour ne pas m'ennuyer trop, et parce que ça paraissait rigolo.

Je passais une première année étrange. L'ambiance qui régnait en Lettres était joyeuse, voir même euphorique par rapport à celle de Sciences du langage. Personne ne se parlait et les cours étaient très scolaires. Je trouvais quand même de l'intérêt dans ce que j'apprenais. Je n'appréciais pas davantage la langue française mais je progressais là où j'avais toujours été nul. Au lieu de me spécialiser là où j'étais le meilleur, je tentais de rectifier ce que je faisais de pire. Et voyant le chaos que formait le français, je voyais mon intérêt pour l'espéranto et les tentatives d'organiser la pensée croître. De la même façon que je développais ma fibre sociale et politique : voyant les défauts j'envisageais les améliorations possibles.

La deuxième année débuta de manière analogue à celle de lettres, avec un découragement et des interrogations sur le but de toute cette entreprise. Heureusement venait un nouveau mouvement social qui renforça mes convictions et ma volonté de poursuivre dans cette voie. J'y rencontrais mes camarades de classe et en passant du temps ensemble on a découvert l'intérêt de nos études. En fait, je crois que l'on s'est entre-motivés à poursuivre, à croire que c'était possible et une bonne direction.

La troisième année fut plus calme mais ce fut néanmoins une très bonne année. Enfin des enseignants nous parlaient d'autre chose que du français et enfin je discutais les questions philosophiques intrinsèques au langage (hors des cours principalement). Je découvrais alors ce qui semblait le moins poussiéreux et le moins réduit comme sujet : l'étude de langues étrangères. Non pas l'étude complète, pour les utiliser couramment, mais l'analyse de chaque partie pour en comprendre le fonctionnement. Pour en sortir la logique, ce qui est caché, avec une sorte de difficulté qui les fait ressembler à des problèmes mathématique, ou à des puzzles. A propos de puzzles, je lisais justement à cette époque là La vie : mode d'emploi, de Perec. En discutant avec quelques enseignants de mon projet d'étudier les langues artificielles, je me retrouvais face à des murs d'incompréhensions. Vu comme inintéressant pour la plupart, comme non linguistique pour d'autres, le fait que des individus puissent consacrer une énorme partie de leur vie à réfléchir à un système logique qui permette de mieux communiquer les dérangeaient. Il semblait inconcevable qu'il y ait quoi que ce soit à apprendre dans de tels projets, malgré qu'il en existe des milliers, et qu'en naissent régulièrement de nouveaux !

Je finissais ma licence et quittait Grenoble, puisque personne ne voulait de mon sujet d'intérêt. J'allais tenter ma chance à Lyon, en me disant qu'au pire, l'approche théorique de la typologie fonctionnelle m'intéressait bien et que ça pourrait me resservir ensuite. Je débutais en automne 2010 un Master en Sciences du langage, avec un parcours Description et Typologie des Langues. Contacts pris avec les enseignants, il s'avéra que mon sujet ne plaisait pas non plus ici. En novembre je suivis une conférence par un chercheur qui parla des créoles, et des difficultés qu'il avait rencontré à montrer l'intérêt linguistique d'étudier ces langues. Je me rendais compte que c'était bien pareil pour les langues artificielles. Beaucoup d'informations intéressantes pour les linguistes et la connaissance humaine en générale alors que c'est un sujet non grata pour les gens de science. Je me disais alors que je pourrais peut-être passer de l'un à l'autre et évoquait mon intérêt pour les contacts entre les langues auprès d'un enseignant. Après tout, les langues artificielles naissent souvent des contacts entres langues, de même que les créoles. De fil en aiguille, on m'envoya vers Françoise Rose, chercheuse CNRS au laboratoire de Dynamique du Langage. Elle participait à un projet de description de langues en danger en Bolivie et me proposait un projet là-bas, sur une langue dans une situation de contact mais qui n'avait rien d'artificielle. Je réfléchissais longuement à sa proposition d'abandonner mes rêves pour un temps puis acceptais.

Il se trouve qu'il y a quelques années, le gouvernement de Bolivie a souhaité doter chaque langue indigène d'un alphabet. Pour cela, il a contacté une linguiste de Lyon. Celle-ci a mené une équipe pour faire ça, en embarquant un de ces étudiants. C'est à partir de là que des étudiants sont partis en Bolivie afin d'y décrire des langues la plupart du temps très en danger, c'est à dire qu'elles ne seront bientôt plus parlée par des gens qui préfèrent enseigner à leurs enfants l'espagnol. Parmi ces langues, le sirionó, dont on connait divers études passées mais qui mériterait une meilleure description, d'après les derniers linguistes qui y sont passés. On me proposa donc cette langue là et le projet sur le long terme d'en faire une grammaire et de me spécialiser sur les langues d'Amérique du Sud.

Que devient alors ma motivation première, celle d'étudier les langues artificielles et d'écrire un guide pour en créer de nouvelles ? Et bien, elle est mise de côté, pour cinq ans au moins, avec l'idée d'y revenir une fois mon bagage théorique suffisamment lourd. Chaque possibilités découvertes dans les langues ne peut qu'améliorer la création d'une nouvelle langue et permettre d'entrevoir une plus grande partie du grand tableau de la compréhension humaine du monde.

La suite de l'histoire passe par un voyage en Bolivie et s'écrira donc ici. J'espère n'avoir pas fait trop long et me laisse la possibilité de modifier tout ça à l'avenir, car l'histoire est perpétuelle évolution et mon passé un palimpseste sur lequel les mots et les pensées s'entassent.