Pitch

Fragments de voyages en Bolivie par un apprenti linguiste étudiant la langue des Siriono.

dimanche 18 mai 2014

Veillées et loges

Ce week-end, c'était l'anniversaire de l'église d'Ibiato, et comme je ne suis pas tombé dans la marmite d'eau bénite quand j'étais petit, j'ai du mal avec tout ça. C'est de ça que je voudrai vous parler aujourd'hui, du sentiment religieux, des croyances et des églises. Amen. Et pour rendre supportables mes derniers paragraphes d'un athéisme fulgurant, je vous propose à nouveau des photos de nuit du village d'Ibiato, prises pendant une soirée de la semaine ainsi que pendant ce week-end. J'en avais déjà un peu parlé il y a deux ans.
Il faisait déjà nuit, je testais les réglages de mon appareil photo.
L'église d'Ibiato est une église évangélique quadrangulaire (c'est pas la forme, c'est le nom du consortium) fondée pour civiliser les sauvages du coin, les sirionos. Elle n'a que quatre-vingt ans et le souvenir du fondateur est encore très présent. Jusque dans les années 90, le fils du fondateur continuait ses messes dans le très-saint édifice surplombant le village. Ensuite, une grosse vague de débauche, due notamment à l'ouverture d'une route à proximité, qui a entrainé des arrivées d'alcool et des départs en nombre. Un nouveau pasteur a finalement été nommé l'année dernière, un fils du village, qui ne parle plus la langue faute de l'avoir pratiquée mais qui vit ici et veut relancer l'activité de l'église.
Voilà l'église d'Ibiato, avec son nouveau toit un éclairage nuit d'orient.

Pour cela, il invite régulièrement des pasteurs venant d'autres églises, notamment de La Paz, de Cochabamba et de Santa Cruz. L'ONG Samaritan's Purse, les bons samaritains, sont aussi des frères et tout ce beau monde était là pour l'anniversaire de l'église. C'est quelque chose qui m'a étonné. Ils sont d'églises différentes, et pourtant se réunissent. Quant on vient d'un pays où les villages ont des cimetières catholiques et des cimetières protestants, ça fait bizarre. Ici, il y a plusieurs églises, et même au sein du village, il y a deux églises, mais il n'y a pas de compétition, ils sont tous frères. J'comprenais pas trop au départ, mais finalement dans leur logique ils sont unis par l'amour du Christ, ça fait sens pour eux. Probablement comme deux supporteurs de foot qui peuvent parler de leur passion sans pourtant supporter les mêmes joueurs.
Deux maisons de l'autre côté de la colline.
Ah oui, ils ont tous adopté la croyance en Dieu. Pas un ne la remet en cause et ils ne comprennent pas que je puisse ne pas croire. Un dimanche soir, Gardenia, une fille qui a habité un temps la maison de mes hôtes me demanda si j'allais au culte. Le dialogue a à peu près donné ça (à une traduction près) :
- Tu vas au culte ?
- J'crois pas.
- Pourquoi ?
- J'crois pas.
Depuis l'église, éclairage public et herbe d'un vert surnaturel.

L'église d'Ibiato tombait en ruine par endroit, des chauve-souris y avaient leurs nids, elle était en triste état, et pour nettoyer leurs cœurs, ils ont voulus rénover leur bâtiment. Pour cela, point de campagne de dons, pas de sollicitations à la cantonade (j'suis sûr qu'il y a un nom pour les membres d'une église, mais il m'échappe...les dévots ? la congrégation ?), pas d'appel à la bonne volonté mais d'abord une prière et la rédaction d'une sollicitation pour les autres églises. Et j'étais là au moment où ça s'est fait, j'ai donné un léger coup de main en tapant les courriers, en gardant le contact via internet avec quelques pasteurs, du coup, ils me remercient à chaque fois pour mon aide. Une fois les tuiles payées, il fallait s'y mettre, et c'est devenu plus compliqué.
Depuis le même endroit, levé de lune.

Ils ont traîné, comme d'habitude, puis est venue la pluie et les travaux ont été interrompus pendant des mois, le temps que le bois sèche, ce qui est compliqué sous les tropiques. Une fois fait, ils ont eut du mal à motiver les gens, et ils se retrouvaient régulièrement à deux-trois seulement sur le chantier pour travailler. Ce qui ne m'étonne guère, connaissant l'absence de motivation au travail des gens ici. C'est assez fulgurant à quel point ils ne foutent rien, et particulièrement les hommes. Ce qui n'a pas empêché un des pasteurs de faire une longue explication sur les rôles genrés dans la famille, le fait que la femme ai été créée à partir de l'homme et qu'elle existe pour le servir. Un moment tout à fait désagréable.
Pendant ce temps-là, les pauvres squattent la maison communale et personne pour les aider à construire leur propre maison.
Pour les motiver au travail, je leur ai rendu une petite visite et j'ai pris quelques photos des travailleurs, que j'ai envoyé à un pasteur de La Paz avec qui j'étais resté en contact, ainsi qu'à Anne Priest, la missionnaire de l'Institut Linguistique d'Eté qui était là dans les années quatre-vingt pour traduire la Bible et qui avait écrit également un petit livret de chants que quelques femmes utilisent encore. Celle-ci m'a répondu et à été très émue de recevoir les nouvelles du village que je lui ai envoyé, répondant à ma proposition d'écrire une longue lettre pour donner de ses nouvelles. Je me suis donc retrouvé avec une jolie surprise pour les sirionos, qui fut bien plus que ce à quoi ils s'attendaient.
Et voilà le résultat le soir de l'inauguration, avec la Lune derrière l'église.

L'église a été terminée deux jours avant l'anniversaire et ils ont pu faire l'inauguration prévue. Deux mariages étaient prévus, dont celui de mes hôtes, mais ils furent annulés car les gens sont pas foutus de s'organiser correctement. Ils ont finis le toit et ont passé un coup de peinture blanche et moutarde sur les colonnes. Les pasteurs ont débarqué le vendredi, et je suis allé faire un tour à la messe du soir, voir s'ils me donneraient la parole pour lire la lettre venue de loin, ce qui n'a pas été le cas. J'en ai eut marre au milieu et je me suis enfuis entre deux alléluias. Le lendemain, je réussis assez bien à les esquiver et à bosser, jusqu'à retourner au culte du soir, avec les miquettes. J'voulais leur lire cette lettre, et en même temps j'avais peur, car lire à haut voix dans une langue étrangère, c'est difficile, encore plus quand il y a des codes cryptiques du genre 1 Cor 3:16.
J'ai pas appris ça à l'école moi (bim badaboum transition pimpom)

Le pasteur m'a donné la parole assez tôt dans la soirée, et je me suis avancé, ne sachant pas vraiment comment j'allais me débrouiller. J'ai pris le micro, et j'ai regardé cette église remplie, peut-être une centaine de personne en tout, avec les invités. J'ai expliqué qui était la personne dont j'allais lire la lettre, je leur ai demandé d'excuser mon accent, et le fait que sa lettre commençait non pas en espagnol mais en siriono. Le pasteur m'a demandé tout étonné si j'allais lire dans sa langue, j'ai confirmé et je me suis lancé. J'ai déjà parlé en public à plusieurs reprises, mais jamais comme ça. Les gens n'en revenaient pas, je restais concentré sur mon papier mais sentais qu'ils me jugeaient, et qu'ils étaient étonnés de m'entendre m'exprimer dans leur langue. Enchaîner avec l'espagnol fut plus facile et je me suis bien débrouillé. J'ai écouté ensuite un moment et me suis enfuis de nouveau.
Redescendant de l'église, vers ma maison, au centre. A gauche, le château d'eau qui ne finira jamais.

Dimanche, un jour que je devais également consacrer au boulot, étant sur la brèche pour terminer une analyse que je dois présenter la semaine prochaine dans une conférence avec des collègues au Brésil. Heureusement, un pasteur est venu me réveiller dès l'aube pour me demander de lui passer les fameuses vidéos que je possède, des documentaires sur les Siriono. Il avait compris que je devais prêter mon ordinateur à l'église pour diffuser des vidéos à 7h, sauf qu'ici ils ne font pas la différence entre l'heure matinale et l'heure nocturne et il m'a donc réveillé pour rien. D'autres pasteurs ensuite puis la messe matinale où je ne voulais pas aller. J'y suis néanmoins allé, parce qu'ils voulaient que je prête mon ordinateur à un moment, et qu'ils m'ont téléphoné pour me demander de monter dans l'instant, me faisant subir deux heures de sermons.
Une vache dans la lumière d'un phare, ruminant les comparaisons bibliques.

Les nombreuses idées qu'ils ont avancé m'ont toutes convaincus de mon athéisme, du fait que je ne suis pas d'accord du tout avec nombre de messages transmis par la Bible. L'idée principale me pose problème, la déresponsabilisation de l'individu dans ce qu'il lui arrive. Pour entrer un peu plus dans le détail, quelques points qui me déplaisent : le fait de placer l'homme comme supérieur aux autres animaux dont il fait partis lui octroyant le droit de tuer et de manger sans aucune considération pour la vie sensible ; la vision de l'environnement comme étant au service de l'homme et non un bien à protéger ; le jugement excessivement négatif contre ce qui ne correspond pas à la norme, à une prétendue nature humaine ; la diversité des langues considérée comme une malédiction et non comme une richesse ; l'appauvrissement de la réflexion scientifique provoquée par la conviction de vérité des légendes bibliques, etc. chaque jour, la liste va s'allongeant.
La voiture qui passe, c'est Dieu, elle existe mais on ne la voit pas.
Les actes de fois, le dogme, me gênent aussi. S'adresser à une foule en lui racontant des contes, c'est bien, prétendre qu'ils sont vrais pour leur inculquer des valeurs, ça ne me plaît pas. Et puis, il y a différentes manières de s'adresser aux gens, soit en faisant appel à leur intelligence soit à leur croyance, qui est le contraire de l'intelligence, qui est de l'aveuglement. Les messages de la Bible sont remplis de contradictions, d'incohérences et d'hésitations dues au fait que le texte a été écrit par de nombreuses personnes durant des années, puis traduit à de nombreuses reprises. Prétendre que c'est un message cohérent directement transmis par Dieu est d'une stupidité totale. Et puis, il y a un côté spectaculaire dans les messes, les pasteurs se mettent en scène et usent démesurément de l'argument d'autorité pour rompre les processus de réflexion des gens et les faire mémoriser des phrases à moitié dénuées de sens, et ça, ça ne me plaît pas du tout.

Je trouve ça beaucoup plus joli sans présence divine.
Cependant, l'action de l'église sur la société est complètement différente ici et dans la société dans laquelle j'ai grandis. Il y a beaucoup moins l'idée de menace, je trouve, et de nombreux services proposés autrement dans notre société ne le sont que par l'église ici. Notamment les garderies dominicales, le don de matériel scolaire et médical, l'écoute privée du pasteur. Je préfère largement ce qui existe dans nos sociétés à la place de ça, mais ici, faute de mieux, c'est quand même difficile de ne pas considérer le développement de l'église comme un léger progrès. Je vois également la baisse de consommation d'alcool d'un bon œil. Mais je ne voudrais pas que vous vous mépreniez sur mon avis, je ne trouve pas ça bien. C'est un pis-aller faute d'une autre offre sociale, qui apporte des solutions mais aussi beaucoup de problèmes, beaucoup de malaises sociaux, de déconsidérations personnelles, de déresponsabilisation.
Sans reparler du château d'eau qui n'avance pas, ils sont pas fichus de construire un enclos pour les vaches, qui dégueulassent le terrain de foot.
 
Mais je vais arrêter là mes critiques et en tirer déjà des conclusions, pour ne pas épuiser mes pauvres lecteurs qui se sont déjà farcis bien trop de mots.


De vivre dans une autre culture, j'aurais appris beaucoup de chose, changé certains points de vue, mais concernant la religion, ça ne m'a que davantage convaincu d'avancer sans elle. Mes croyances ne sont pas celles-là. La liberté n'est pas compatible avec le message biblique, l'égalité n'est pas ce que propose la Bible pour les êtres vivants, la solidarité n'est pas la charité. C'est définitif, je resterai chez moi les prochains dimanches, comme je l'ai toujours fais, dans ma maison.
Ma cabane, de nuit.
Et je vous dis à la prochaine, probablement depuis le Brésil, où je compte bien prendre de chouettes photos qui vous changeront un peu du cadre étroit de ce petit village perdu de Bolivie.


samedi 10 mai 2014

Utiliser une langue c'est l'altérer

Je vous prépare un article un peu long sur le support pédagogique que je conçois depuis le début de la semaine, mais j'attends d'avoir en main le premier brouillon pour vous en expliquer clairement la démarche. En attendant, un article court avec des photos prises autour de moi, du village sous la pluie et d'animaux en gros plan.
A droite depuis ma porte, le soleil éblouis malgré la pluie.
Une langue, c'est un objet insaisissable, qui n'existe que dans les esprits et dans les échanges. Chaque utilisation de la langue la fait évoluer, ajoutant des subtilités, du vocabulaire supplémentaire, une prononciation un peu différente, un effet de voix particulier. C'est assez évident de s'en rendre compte au quotidien. C'est encore plus flagrant lorsque la langue n'est plus la langue principale de communication, comme c'est le cas ici.
En face, le terrain de foot, hypothétique future place centrale du village.
Dans les deux villages d'Ibiato et Ngirai, la langue principale est l'espagnol, tandis que la population, environ 500 personnes en tout, est avec une courte majorité Siriono. Le fait est que les couples sont de plus en plus exogame, une personne du village avec une personne de l'extérieur. La culture commune transmise à l'enfant est alors plutôt celle de l'extérieur et la langue traditionnelle du village n’imprègne que très peu les nouveaux arrivants, encore moins leurs enfants. Les gens savent parler siriono mais ne le font pas. Ils peuvent penser, imaginer, rêver dans cette langue, mais pas communiquer. Cet état de fait transforme les actes de communications eux-mêmes, qui s'appauvrissent, laissant les locuteurs oublier petit à petit le vocabulaire, les spécificités de la langue.
A droite, le château d'eau toujours pas finis.
Cette situation est celle en cours depuis les années 90. Aujourd'hui, ils ne sont plus qu'une quarantaine à maîtriser la langue comme une langue maternelle, même si peu l'utilisent. Ma présence au village les y a pourtant incité et j'entends de plus en plus parler dans la langue, les gens s'interpeler dans la langue, même si parfois l'autre répond en espagnol. Le vocabulaire a morflé, des mots du quotidien manquent, les lacunes lexicales créées par l'évolution de la société n'ont pas été comblées dans la langue, des mots comme "âge" ou "anniversaire" n'existent pas, les Siriono n'ayant pas de calendrier avant que les espagnols ne leur en apporte un. La prononciation également a évolué, la logique de nasalisation s'est perdue, notamment car c'est un processus qui n'existe pas en espagnol. Pour expliquer cet exemple, prenons trois mots : rirï 'enfant', ätä 'tapir' et nyaka 'chien'. Pour parler du petit du chien on dira : nyaka rirï. Pour parler du petit du tapir : ätä ndirï. Ce changement du deuxième mot est normalement régulier, un automatisme, mais de moins en moins pratiqué.
J'ai extrait celui-ci de mon t-shirt, il me mordait pendant ma sieste.
Un autre aspect de l'altération de la langue, c'est son écriture. Historiquement, elle n'en disposait pas. Ce sont les missionnaires puis l'école qui leur a enseigné l'écriture, surtout celle de l'espagnol. Les lettres qui leur ont été proposées pour écrire leur propre langue ne correspondent pas à leurs sons, car les espagnols (ou américains parfois) ne les entendaient pas. Tout comme nous, nous serions bien incapable de rendre à l'écrit du chinois. En forçant les sons à entrer dans des cases qui ne leur correspondaient pas, ils ont induis un changement progressif de ces sons. Ça parait fou dit comme ça, mais c'est une réalité que j'observe au quotidien. Un exemple parmi d'autres, avec la voyelle spécifique qui est dans cette langue notée avec un ɨ. Ce son, distinct du i mais aussi du ı turc, plus latéral, provoque une altération des consonnes fricatives alentours. C'est assez notable, une fois qu'on l'a perçu. Et bien, tout le monde prononce tuchi 'beaucoup', sauf quand ils le lisent écrit tuchɨ et changent alors la prononciation pour coller à l'écrit. Historiquement, c'était bien la deuxième forme, mais plus personne ne la prononce ainsi aujourd'hui.
Deux araignées se rencontrent sur la porte de ma chambre.
Je dois tenter d'éviter cet écueil à nouveau. Je ne vais pas changer fondamentalement le système d'écriture, mais je dois l'arranger pour qu'ils en comprennent les enjeux et surtout les limites. Un alphabet, c'est une possibilité de représenter les sons, mais ce n'est pas parfait. Il n'y a qu'à voir un peu celui du français, ou celui de l'anglais. Il n'y a pas de correspondance exacte, et encore moins lorsque la langue est parlée par une population large. Il existe deux façons de prononcer 'grand' kasu ou kwasu. Que proposer alors comme écriture, la plus réduite ou la plus longue ? En fonction de quoi ? Quelle est la règle, et une fois exprimée que tous les 'k' avant la voyelle 'a' peuvent se prononcer librement 'kw', les gens vont-ils l'accepter ? C'est un défi, pour qui veut écrire une langue. D'autant plus quand on s'aperçoit clairement des conséquences d'actes similaires réalisés par le passé. 
Un crapaud, sur le sol de ma chambre, hier après midi.
Je ne sais pas si je serai à la hauteur. Je sais de toute façon que j'altérerai la langue, ne serait-ce que parce qu'elle est parlée davantage aujourd'hui que pendant ces quinze dernières années. La nouvelle génération apprendra une forme de la langue qui ne sera plus celle de leurs ancêtres, qui aura subie une très forte altération. Mais ça sera néanmoins une langue, une vision du monde et une culture qu'ils maintiendront, si tant est qu'ils continuent à parler cette langue après mon départ. 

jeudi 1 mai 2014

Ibiato itondaru mose

Je suis en Bolivie depuis maintenant une semaine et j'ai passé cinq jours au village, ce qui me permet déjà de vous proposer un nouvel article sur mon retour au village ! Pour illustrer celui-ci, je vous proposerai une série de photos de nuit, faites hier soir, durant la cérémonie pour la fête des travailleurs. Le titre de l'article correspond donc au sujet, itondaru étant le mot pour la nuit, mose pouvant se traduire par « pendant », donc pendant la nuit, ou by night pour les anglophiles. Mais d'abord, la fin de l'aventure des sacs ! 

J'ai quitté Santa Cruz après une nuit seulement, prenant le bus de nuit pour Trinidad. J'ai demandé au chauffeur de me laisser en route, à Casarabe, une heure avant Trinidad, et village d'où part la route pour Ibiato. J'étais à peu près sûr que le chauffeur allait m'oublier et je me suis donc réveillé de nombreuses fois pendant le trajet, jusqu'à voir passer l'entrée du village. Je me suis jeté dans l'escalier du bus pour demander au chauffeur de m'arrêter là, et j'ai finis à pied, mes deux sacs sur le dos. J'étais presque arrivé, Casarabe n'est qu'à douze kilomètres d'Ibiato, mais pas question de les faire à pied. Un groupe de ménonites remplissaient deux taxis, j'espérais en vain de la place pour moi. Un autre taxi passait, j'allai lui demander s'il n'allait pas vers le village par hasard. Il me le confirma et je montai donc avec lui. 
L'entrée de Casarabe, qui profite des lumières de l'aurore.
Mon arrivée au village surprit tout le monde. J'avais pourtant envoyé un courriel à Ariel, mon voisin au village, qui m'avait répondu. Mais il n'avait pas fait suivre l'information. Mes hôtes, Fernando et Layou, étaient à peine réveillés. Ils dormaient dans ma chambre, et Layou se précipita vers son balai pour la nettoyer avant que je n'arrive. Fernando me raconta la saison des pluies, qui a été particulièrement terrible cette année. L'eau a envahie une bonne partie du village, dont leur maison, noyant leur cuisine ainsi qu'une des chambres. Ils ont alors migré vers ma maison, récupérant les planches pour ajouter une nouvelle pièce à l'avant, pour leur magasin. Je la trouve étonnamment bien intégrée au reste de la maison. Elle apporte même un peu d'ombre au patio, ce qui n'est pas désagréable l'après midi.
Ma maison, dans sa configuration 2014.
Maintenant que la saison des pluies est finie, ils vont pouvoir rejoindre leur maison, avoir une chambre plus grande, et rouvrir leur vente là-bas (un de ces jours, c'est pas encore fait). A ce moment là, les enfants récupéreront une chambre chacun, à côté de la mienne. Ma chambre a été bien entretenue. Ils ont rajoutés des draps sur les murs pour limiter l'entrée de la poussière, des draps d'un goût douteux. Ils ont changés l'organisation aussi, mais comme je n'ai plus de hamac, ça m'est égal. Je peux donc m'installer et vider enfin mes sacs. Je retrouve les affaires que j'avais laissé l'année dernière. Mon duvet est en bon état, mes vêtements un peu piqués par l'humidité mais une fois lavés rien n'y parait. Ils n'ont pas mangé la boîte de crème de marron que j'avais laissé, ce qui me fait plutôt plaisir en fait, car je pourrai en manger d'ici un mois. Même mon miroir est encore en place, intact. Seule ombre au tableau, mon modem internet qui a disparu. Je ne sais pas s'il a été volé ou mis au mont-de-piété, mais en racheter un me coutera 20 euros.
Ma chambre, avec sa déco un peu bizarre.
 Me réinstaller c'est entendre mille fois otra vez por aqui (de nouveau par ici ?) et por cuanto tiempo (pour combien de temps ?). Ce à quoi je réponds par l'affirmative et peux leur dire que je serai là jusqu'à la fête du village, le 2 août. Ils apprécient plutôt que je donne une suite à mon projet, même si encore pas mal de monde ignore pourquoi je suis là, alors que c'est la quatrième fois que je viens. C'est qu'il y a beaucoup de mouvement, en fait. De gens qui partent chercher du travail en ville puis abandonnent les bidonvilles pour revenir habiter au village. C'est flagrant cette année, j'ai l'impression que la population a doublé, et notamment au niveau des jeunes. Il y a même deux équipes de foots et ils parlent d'aller fonder un nouveau village un peu plus loin dans le territoire.
Traversant les bas-quartiers, l'école se dévoile dans l'obscurité.
Les travaux en revanche sont restés au point mort à cause des pluies. Le château d'eau n'est toujours pas fini, alors qu'ils l'avaient commencé en janvier 2013. Les maisons financés par le gouvernement ont bien avancé, mais ne sont pas terminées. Le nouveau terrain de foot, l'aménagement d'une place centrale, la salle de classe supplémentaire, la réparation du pont principal : tout ça reste à faire et je doute que ce soit terminé avant mon départ. Le seul travail qui ait avancé, c'est la rénovation de l'église, et encore, là aussi il y a du retard dans le travail, car les volontaires se font rares et épisodiques. Je suis allé plusieurs fois leur rendre visite et j'ai fais une jolie série de photo pour les motiver. Je pense les imprimer la semaine prochaine pour leur offrir au moment de l'inauguration.
La cour de l'école, qui a été repeinte en lila.
Mes hôtes sont plutôt en bonne santé, même si le fils ainé a passé une semaine à l'hôpital et la mère deux, sans aucun doute lié à leur alimentation, cette dernière mangeant maintenant du citron pour réussir à faire passer son régime gras et peu digeste. Ils sont toujours "au chômage", avec les réserves au plus bas, leur vente ayant beaucoup soufferte des pluies. Heureusement qu'ils avaient un bon toit sur la tête. La grande nouvelle, c'est qu'ils vont se marier le 18 mai. Ils m'ont demandé si je pourrai être le parrain pour les anneaux. Et oui, encore une histoire d'anneau, je vous la raconterai donc à part, une prochaine fois. Ah, et ils hébergent une nouvelle gamine, de la famille, qu'ils appellent la chialeuse (llorona) ou la mignonne (hemosa ou juste hemo, j'ai mis un moment avant de capter) alors que son prénom est Saraï, l'épouse du Noé de la Bible. Ils ne l'appellent jamais comme ça.
Vu d'un peu plus loin, juste parce que j'aime bien la perspective.
J'ai été trainé de force au culte du dimanche matin, mais comme j'étais arrivé le samedi et que j'avais dormi presque toute l'après midi, c'était l'occasion de revoir tout le monde d'un coup. Et puis, le pasteur de village est sympathique, il m'avait aidé à construire ma maison, je l'avais aidé pour envoyer des photos de l'église en train de s'effondrer afin d'obtenir des fonds pour la rénover. Ce qu'il n'a pas manqué de rappeler, bien que mon rôle dans l'affaire ait finalement été bien mince. C'était la première fois que j'assistais à une messe complète, avec les chants, la lecture d'un passage et l'explication, que je n'ai pas du tout compris d'ailleurs. Le passage était Hébreux 10, 31 : Ae ra Dios mbasi eɨkä nɨɨ nae, mbasi tochɨ eä ndae. Aba mbusikiche tuchɨ chö ükï nde. Mais bien sûr, durant le sermon, tout était en espagnol.
Tiens, mais ça ne serait pas gens, ça ? Mais que regardent-ils ?
Est-ce que je sauterai à la nuit d'hier soir, pour répondre au suspense provoqué par la photo ci-dessus. Et bien non, d'autant que j'ai déjà vendu la mèche dans la deuxième phrase de ce long message. Et si vous ne vous en souvenez pas, attendez deux paragraphes. J'arrive au lundi, où j'ai pu revoir Victor Hugo, mon collaborateur principal, celui avec lequel je voudrai passer le plus de temps afin d'avancer dans mon analyse. Depuis l'année dernière, il a passé un mois à l'hôpital à tenir compagnie à son fils le plus jeune qui était gravement malade. Cela l'a rapproché de sa femme et finalement, elle a proposé de revenir vivre avec lui, pour les enfants. Elle voudrait même se marier mais il ne semble pas très enthousiaste. En tout cas, il a prévu de rester au village ces prochains mois et compte bien travailler avec moi un maximum, ce qui tombe bien !
Le terrain multisport transformé en champ de mars.
La plupart des enfants avec un flambeau, écoutant les professeurs lire des textes
Un ancien dont j'avais déjà quelques enregistrements mais qui était très malade l'année dernière me fait mander auprès de lui pour me raconter la suite de l'histoire du village. Nous discutons beaucoup mais n'enregistrons qu'une dizaine de minutes finalement. Ce n'est pas grave, c'est une reprise de contact. Et je suis content de le retrouver en vie. J'ai accusé le départ d'une vieille dame qui m'avait offert une demi calebasse l'année dernière et voulait me montrer comment fabriquer un hamac et d'un homme qui m'avait raconté pendant presque sept heures des histoires du passé. Le départ de la voisine m'a également beaucoup attristé, car elle était très gentille, même si elle n'était pas du village. Elle voulait me montrer comment faire des cuñapés, une spécialité de Santa Cruz que j'adore. En contrepartie, il y a eut des naissances, bien sûr, mais je n'ai que peu d'espoir qu'il s'agisse de futurs locuteurs de la langue. Surtout quand ce sont des brebis.
Certaines sont plus attentives que d'autres à ce qui se dit.
La fête des travailleurs est férié et c'est l'occasion pour le président d'augmenter le salaire minimal de 20%, ce qui n'est pas rien dans un pays aussi pauvre. Étonnamment, il est fêté à l'identique que la fête nationale, avec un défilé et des hymnes. J'écoute d'une oreille distraite, mais comprends néanmoins qu'il est raconté la grève des ouvriers de Chicago qui a amené à la journée de 8h, le reste devant être payée en heures supplémentaires. La nécessité aussi d'un salaire décent, ce qui n'est pas encore le cas en Bolivie, malgré des améliorations progressives. Un championnat de foot est organisé pour l'occasion, que je n'irai pas voir, préférant travailler à l'abri des moustiques.
Une vue d'ensemble, avec l'église dans le fond.
La journée de mardi aura été perdue à me rendre à Trinidad, mais j'avais de nombreuses choses à y faire, notamment acheter un modem pour pouvoir vous envoyer cet article aujourd'hui. J'ai aussi pu voir le bébé d'une collègue anthropologue qui s'est installée en Bolivie et qu'un projet avait amené à occuper ma maison trois semaines en automne. La ville n'a pas trop changée, je vous raconterai ça une autre fois, quand j'y retournerai pour prendre quelques photos supplémentaires. Je vous laisse là pour cette fois, avec mon retour vers la maison et le constat que sans trépied, les photos de nuits, c'est quand même pas évident. Je compte retenter, et je vous proposerai donc peut-être une autre série prochainement. Sinon, ce sera un sujet sur un autre thème, je ne sais pas encore. Si vous voulez quelque chose en particulier, n'hésitez pas à me le faire savoir !
De l'autre côté de l'église, les maisons sur la colline
Le chemin qui descend à côté de l'école, avec l'ombre d'un gamin qui passe à droite.
Les bas-quartiers, les maisons le long du chemin, la mienne tout au fond, plus blanche.