Pitch

Fragments de voyages en Bolivie par un apprenti linguiste étudiant la langue des Siriono.

jeudi 1 mai 2014

Ibiato itondaru mose

Je suis en Bolivie depuis maintenant une semaine et j'ai passé cinq jours au village, ce qui me permet déjà de vous proposer un nouvel article sur mon retour au village ! Pour illustrer celui-ci, je vous proposerai une série de photos de nuit, faites hier soir, durant la cérémonie pour la fête des travailleurs. Le titre de l'article correspond donc au sujet, itondaru étant le mot pour la nuit, mose pouvant se traduire par « pendant », donc pendant la nuit, ou by night pour les anglophiles. Mais d'abord, la fin de l'aventure des sacs ! 

J'ai quitté Santa Cruz après une nuit seulement, prenant le bus de nuit pour Trinidad. J'ai demandé au chauffeur de me laisser en route, à Casarabe, une heure avant Trinidad, et village d'où part la route pour Ibiato. J'étais à peu près sûr que le chauffeur allait m'oublier et je me suis donc réveillé de nombreuses fois pendant le trajet, jusqu'à voir passer l'entrée du village. Je me suis jeté dans l'escalier du bus pour demander au chauffeur de m'arrêter là, et j'ai finis à pied, mes deux sacs sur le dos. J'étais presque arrivé, Casarabe n'est qu'à douze kilomètres d'Ibiato, mais pas question de les faire à pied. Un groupe de ménonites remplissaient deux taxis, j'espérais en vain de la place pour moi. Un autre taxi passait, j'allai lui demander s'il n'allait pas vers le village par hasard. Il me le confirma et je montai donc avec lui. 
L'entrée de Casarabe, qui profite des lumières de l'aurore.
Mon arrivée au village surprit tout le monde. J'avais pourtant envoyé un courriel à Ariel, mon voisin au village, qui m'avait répondu. Mais il n'avait pas fait suivre l'information. Mes hôtes, Fernando et Layou, étaient à peine réveillés. Ils dormaient dans ma chambre, et Layou se précipita vers son balai pour la nettoyer avant que je n'arrive. Fernando me raconta la saison des pluies, qui a été particulièrement terrible cette année. L'eau a envahie une bonne partie du village, dont leur maison, noyant leur cuisine ainsi qu'une des chambres. Ils ont alors migré vers ma maison, récupérant les planches pour ajouter une nouvelle pièce à l'avant, pour leur magasin. Je la trouve étonnamment bien intégrée au reste de la maison. Elle apporte même un peu d'ombre au patio, ce qui n'est pas désagréable l'après midi.
Ma maison, dans sa configuration 2014.
Maintenant que la saison des pluies est finie, ils vont pouvoir rejoindre leur maison, avoir une chambre plus grande, et rouvrir leur vente là-bas (un de ces jours, c'est pas encore fait). A ce moment là, les enfants récupéreront une chambre chacun, à côté de la mienne. Ma chambre a été bien entretenue. Ils ont rajoutés des draps sur les murs pour limiter l'entrée de la poussière, des draps d'un goût douteux. Ils ont changés l'organisation aussi, mais comme je n'ai plus de hamac, ça m'est égal. Je peux donc m'installer et vider enfin mes sacs. Je retrouve les affaires que j'avais laissé l'année dernière. Mon duvet est en bon état, mes vêtements un peu piqués par l'humidité mais une fois lavés rien n'y parait. Ils n'ont pas mangé la boîte de crème de marron que j'avais laissé, ce qui me fait plutôt plaisir en fait, car je pourrai en manger d'ici un mois. Même mon miroir est encore en place, intact. Seule ombre au tableau, mon modem internet qui a disparu. Je ne sais pas s'il a été volé ou mis au mont-de-piété, mais en racheter un me coutera 20 euros.
Ma chambre, avec sa déco un peu bizarre.
 Me réinstaller c'est entendre mille fois otra vez por aqui (de nouveau par ici ?) et por cuanto tiempo (pour combien de temps ?). Ce à quoi je réponds par l'affirmative et peux leur dire que je serai là jusqu'à la fête du village, le 2 août. Ils apprécient plutôt que je donne une suite à mon projet, même si encore pas mal de monde ignore pourquoi je suis là, alors que c'est la quatrième fois que je viens. C'est qu'il y a beaucoup de mouvement, en fait. De gens qui partent chercher du travail en ville puis abandonnent les bidonvilles pour revenir habiter au village. C'est flagrant cette année, j'ai l'impression que la population a doublé, et notamment au niveau des jeunes. Il y a même deux équipes de foots et ils parlent d'aller fonder un nouveau village un peu plus loin dans le territoire.
Traversant les bas-quartiers, l'école se dévoile dans l'obscurité.
Les travaux en revanche sont restés au point mort à cause des pluies. Le château d'eau n'est toujours pas fini, alors qu'ils l'avaient commencé en janvier 2013. Les maisons financés par le gouvernement ont bien avancé, mais ne sont pas terminées. Le nouveau terrain de foot, l'aménagement d'une place centrale, la salle de classe supplémentaire, la réparation du pont principal : tout ça reste à faire et je doute que ce soit terminé avant mon départ. Le seul travail qui ait avancé, c'est la rénovation de l'église, et encore, là aussi il y a du retard dans le travail, car les volontaires se font rares et épisodiques. Je suis allé plusieurs fois leur rendre visite et j'ai fais une jolie série de photo pour les motiver. Je pense les imprimer la semaine prochaine pour leur offrir au moment de l'inauguration.
La cour de l'école, qui a été repeinte en lila.
Mes hôtes sont plutôt en bonne santé, même si le fils ainé a passé une semaine à l'hôpital et la mère deux, sans aucun doute lié à leur alimentation, cette dernière mangeant maintenant du citron pour réussir à faire passer son régime gras et peu digeste. Ils sont toujours "au chômage", avec les réserves au plus bas, leur vente ayant beaucoup soufferte des pluies. Heureusement qu'ils avaient un bon toit sur la tête. La grande nouvelle, c'est qu'ils vont se marier le 18 mai. Ils m'ont demandé si je pourrai être le parrain pour les anneaux. Et oui, encore une histoire d'anneau, je vous la raconterai donc à part, une prochaine fois. Ah, et ils hébergent une nouvelle gamine, de la famille, qu'ils appellent la chialeuse (llorona) ou la mignonne (hemosa ou juste hemo, j'ai mis un moment avant de capter) alors que son prénom est Saraï, l'épouse du Noé de la Bible. Ils ne l'appellent jamais comme ça.
Vu d'un peu plus loin, juste parce que j'aime bien la perspective.
J'ai été trainé de force au culte du dimanche matin, mais comme j'étais arrivé le samedi et que j'avais dormi presque toute l'après midi, c'était l'occasion de revoir tout le monde d'un coup. Et puis, le pasteur de village est sympathique, il m'avait aidé à construire ma maison, je l'avais aidé pour envoyer des photos de l'église en train de s'effondrer afin d'obtenir des fonds pour la rénover. Ce qu'il n'a pas manqué de rappeler, bien que mon rôle dans l'affaire ait finalement été bien mince. C'était la première fois que j'assistais à une messe complète, avec les chants, la lecture d'un passage et l'explication, que je n'ai pas du tout compris d'ailleurs. Le passage était Hébreux 10, 31 : Ae ra Dios mbasi eɨkä nɨɨ nae, mbasi tochɨ eä ndae. Aba mbusikiche tuchɨ chö ükï nde. Mais bien sûr, durant le sermon, tout était en espagnol.
Tiens, mais ça ne serait pas gens, ça ? Mais que regardent-ils ?
Est-ce que je sauterai à la nuit d'hier soir, pour répondre au suspense provoqué par la photo ci-dessus. Et bien non, d'autant que j'ai déjà vendu la mèche dans la deuxième phrase de ce long message. Et si vous ne vous en souvenez pas, attendez deux paragraphes. J'arrive au lundi, où j'ai pu revoir Victor Hugo, mon collaborateur principal, celui avec lequel je voudrai passer le plus de temps afin d'avancer dans mon analyse. Depuis l'année dernière, il a passé un mois à l'hôpital à tenir compagnie à son fils le plus jeune qui était gravement malade. Cela l'a rapproché de sa femme et finalement, elle a proposé de revenir vivre avec lui, pour les enfants. Elle voudrait même se marier mais il ne semble pas très enthousiaste. En tout cas, il a prévu de rester au village ces prochains mois et compte bien travailler avec moi un maximum, ce qui tombe bien !
Le terrain multisport transformé en champ de mars.
La plupart des enfants avec un flambeau, écoutant les professeurs lire des textes
Un ancien dont j'avais déjà quelques enregistrements mais qui était très malade l'année dernière me fait mander auprès de lui pour me raconter la suite de l'histoire du village. Nous discutons beaucoup mais n'enregistrons qu'une dizaine de minutes finalement. Ce n'est pas grave, c'est une reprise de contact. Et je suis content de le retrouver en vie. J'ai accusé le départ d'une vieille dame qui m'avait offert une demi calebasse l'année dernière et voulait me montrer comment fabriquer un hamac et d'un homme qui m'avait raconté pendant presque sept heures des histoires du passé. Le départ de la voisine m'a également beaucoup attristé, car elle était très gentille, même si elle n'était pas du village. Elle voulait me montrer comment faire des cuñapés, une spécialité de Santa Cruz que j'adore. En contrepartie, il y a eut des naissances, bien sûr, mais je n'ai que peu d'espoir qu'il s'agisse de futurs locuteurs de la langue. Surtout quand ce sont des brebis.
Certaines sont plus attentives que d'autres à ce qui se dit.
La fête des travailleurs est férié et c'est l'occasion pour le président d'augmenter le salaire minimal de 20%, ce qui n'est pas rien dans un pays aussi pauvre. Étonnamment, il est fêté à l'identique que la fête nationale, avec un défilé et des hymnes. J'écoute d'une oreille distraite, mais comprends néanmoins qu'il est raconté la grève des ouvriers de Chicago qui a amené à la journée de 8h, le reste devant être payée en heures supplémentaires. La nécessité aussi d'un salaire décent, ce qui n'est pas encore le cas en Bolivie, malgré des améliorations progressives. Un championnat de foot est organisé pour l'occasion, que je n'irai pas voir, préférant travailler à l'abri des moustiques.
Une vue d'ensemble, avec l'église dans le fond.
La journée de mardi aura été perdue à me rendre à Trinidad, mais j'avais de nombreuses choses à y faire, notamment acheter un modem pour pouvoir vous envoyer cet article aujourd'hui. J'ai aussi pu voir le bébé d'une collègue anthropologue qui s'est installée en Bolivie et qu'un projet avait amené à occuper ma maison trois semaines en automne. La ville n'a pas trop changée, je vous raconterai ça une autre fois, quand j'y retournerai pour prendre quelques photos supplémentaires. Je vous laisse là pour cette fois, avec mon retour vers la maison et le constat que sans trépied, les photos de nuits, c'est quand même pas évident. Je compte retenter, et je vous proposerai donc peut-être une autre série prochainement. Sinon, ce sera un sujet sur un autre thème, je ne sais pas encore. Si vous voulez quelque chose en particulier, n'hésitez pas à me le faire savoir !
De l'autre côté de l'église, les maisons sur la colline
Le chemin qui descend à côté de l'école, avec l'ombre d'un gamin qui passe à droite.
Les bas-quartiers, les maisons le long du chemin, la mienne tout au fond, plus blanche.

1 commentaire:

  1. Superbes les photos...! j'aime beaucoup les 2 de l'école avec des couleurs et des perspectives intéressantes...
    le champ de mars avec les torches c'est pour fêter quoi?
    continue d'envoyer de belles photos (mais si tu penses à mettre le trépied.....!)
    bisou

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