Ce week-end, c'était
l'anniversaire de l'église d'Ibiato, et comme je ne suis pas
tombé dans la marmite d'eau bénite quand j'étais petit, j'ai du
mal avec tout ça. C'est de ça que je voudrai vous parler
aujourd'hui, du sentiment religieux, des croyances et des églises.
Amen. Et pour rendre supportables mes derniers paragraphes d'un
athéisme fulgurant, je vous propose à nouveau des photos de nuit du
village d'Ibiato, prises pendant une soirée de la semaine ainsi que
pendant ce week-end. J'en avais déjà un peu parlé il y a deux ans.
Il faisait déjà nuit, je testais les réglages de mon appareil photo. |
L'église d'Ibiato est
une église évangélique quadrangulaire (c'est pas la forme, c'est
le nom du consortium) fondée pour civiliser les sauvages du coin,
les sirionos. Elle n'a que quatre-vingt ans et le souvenir du
fondateur est encore très présent. Jusque dans les années 90, le
fils du fondateur continuait ses messes dans le très-saint édifice
surplombant le village. Ensuite, une grosse vague de débauche, due
notamment à l'ouverture d'une route à proximité, qui a entrainé
des arrivées d'alcool et des départs en nombre. Un nouveau pasteur
a finalement été nommé l'année dernière, un fils du village, qui
ne parle plus la langue faute de l'avoir pratiquée mais qui vit ici
et veut relancer l'activité de l'église.
Voilà l'église d'Ibiato, avec son nouveau toit un éclairage nuit d'orient. |
Pour cela, il invite
régulièrement des pasteurs venant d'autres églises, notamment de
La Paz, de Cochabamba et de Santa Cruz. L'ONG Samaritan's Purse, les
bons samaritains, sont aussi des frères et tout ce beau monde était
là pour l'anniversaire de l'église. C'est quelque chose qui m'a
étonné. Ils sont d'églises différentes, et pourtant se
réunissent. Quant on vient d'un pays où les villages ont des
cimetières catholiques et des cimetières protestants, ça fait
bizarre. Ici, il y a plusieurs églises, et même au sein du village,
il y a deux églises, mais il n'y a pas de compétition, ils sont
tous frères. J'comprenais pas trop au départ, mais finalement dans
leur logique ils sont unis par l'amour du Christ, ça fait sens pour
eux. Probablement comme deux supporteurs de foot qui peuvent parler
de leur passion sans pourtant supporter les mêmes joueurs.
Deux maisons de l'autre côté de la colline. |
Ah oui, ils ont tous
adopté la croyance en Dieu. Pas un ne la remet en cause et ils ne
comprennent pas que je puisse ne pas croire. Un dimanche soir,
Gardenia, une fille qui a habité un temps la maison de mes hôtes me
demanda si j'allais au culte. Le dialogue a à peu près donné ça
(à une traduction près) :
- Tu vas au culte ?
- J'crois pas.
- Pourquoi ?
- J'crois pas.
Depuis l'église, éclairage public et herbe d'un vert surnaturel. |
L'église d'Ibiato
tombait en ruine par endroit, des chauve-souris y avaient leurs nids,
elle était en triste état, et pour nettoyer leurs cœurs, ils ont
voulus rénover leur bâtiment. Pour cela, point de campagne de dons,
pas de sollicitations à la cantonade (j'suis sûr qu'il y a un nom
pour les membres d'une église, mais il m'échappe...les dévots ? la congrégation ?),
pas d'appel à la bonne volonté mais d'abord une prière et la
rédaction d'une sollicitation pour les autres églises. Et j'étais
là au moment où ça s'est fait, j'ai donné un léger coup de main
en tapant les courriers, en gardant le contact via internet avec
quelques pasteurs, du coup, ils me remercient à chaque fois pour mon
aide. Une fois les tuiles payées, il fallait s'y mettre, et c'est
devenu plus compliqué.
Depuis le même endroit, levé de lune. |
Ils ont traîné, comme
d'habitude, puis est venue la pluie et les travaux ont été
interrompus pendant des mois, le temps que le bois sèche, ce qui est
compliqué sous les tropiques. Une fois fait, ils ont eut du mal à
motiver les gens, et ils se retrouvaient régulièrement à
deux-trois seulement sur le chantier pour travailler. Ce qui ne
m'étonne guère, connaissant l'absence de motivation au travail des
gens ici. C'est assez fulgurant à quel point ils ne foutent rien, et
particulièrement les hommes. Ce qui n'a pas empêché un des
pasteurs de faire une longue explication sur les rôles genrés dans
la famille, le fait que la femme ai été créée à partir de
l'homme et qu'elle existe pour le servir. Un moment tout à fait
désagréable.
Pendant ce temps-là, les pauvres squattent la maison communale et personne pour les aider à construire leur propre maison. |
Pour les motiver au
travail, je leur ai rendu une petite visite et j'ai pris quelques
photos des travailleurs, que j'ai envoyé à un pasteur de La Paz
avec qui j'étais resté en contact, ainsi qu'à Anne Priest, la
missionnaire de l'Institut Linguistique d'Eté qui était là dans
les années quatre-vingt pour traduire la Bible et qui avait écrit
également un petit livret de chants que quelques femmes utilisent
encore. Celle-ci m'a répondu et à été très émue de recevoir les
nouvelles du village que je lui ai envoyé, répondant à ma
proposition d'écrire une longue lettre pour donner de ses nouvelles.
Je me suis donc retrouvé avec une jolie surprise pour les sirionos,
qui fut bien plus que ce à quoi ils s'attendaient.
Et voilà le résultat le soir de l'inauguration, avec la Lune derrière l'église. |
L'église a été
terminée deux jours avant l'anniversaire et ils ont pu faire
l'inauguration prévue. Deux mariages étaient prévus, dont celui de
mes hôtes, mais ils furent annulés car les gens sont pas foutus de
s'organiser correctement. Ils ont finis le toit et ont passé un coup
de peinture blanche et moutarde sur les colonnes. Les pasteurs ont
débarqué le vendredi, et je suis allé faire un tour à la messe du
soir, voir s'ils me donneraient la parole pour lire la lettre venue
de loin, ce qui n'a pas été le cas. J'en ai eut marre au milieu et
je me suis enfuis entre deux alléluias. Le lendemain, je réussis
assez bien à les esquiver et à bosser, jusqu'à retourner au culte
du soir, avec les miquettes. J'voulais leur lire cette lettre, et en
même temps j'avais peur, car lire à haut voix dans une langue
étrangère, c'est difficile, encore plus quand il y a des codes
cryptiques du genre 1 Cor 3:16.
J'ai pas appris ça à l'école moi (bim badaboum transition pimpom) |
Le pasteur m'a donné la
parole assez tôt dans la soirée, et je me suis avancé, ne sachant
pas vraiment comment j'allais me débrouiller. J'ai pris le micro, et
j'ai regardé cette église remplie, peut-être une centaine de
personne en tout, avec les invités. J'ai expliqué qui était la
personne dont j'allais lire la lettre, je leur ai demandé d'excuser
mon accent, et le fait que sa lettre commençait non pas en espagnol
mais en siriono. Le pasteur m'a demandé tout étonné si j'allais
lire dans sa langue, j'ai confirmé et je me suis lancé. J'ai déjà
parlé en public à plusieurs reprises, mais jamais comme ça. Les
gens n'en revenaient pas, je restais concentré sur mon papier mais
sentais qu'ils me jugeaient, et qu'ils étaient étonnés de
m'entendre m'exprimer dans leur langue. Enchaîner avec l'espagnol
fut plus facile et je me suis bien débrouillé. J'ai écouté
ensuite un moment et me suis enfuis de nouveau.
Redescendant de l'église, vers ma maison, au centre. A gauche, le château d'eau qui ne finira jamais. |
Dimanche, un jour que je
devais également consacrer au boulot, étant sur la brèche pour
terminer une analyse que je dois présenter la semaine prochaine dans
une conférence avec des collègues au Brésil. Heureusement, un
pasteur est venu me réveiller dès l'aube pour me demander de lui
passer les fameuses vidéos que je possède, des documentaires sur les
Siriono. Il avait compris que je devais prêter mon ordinateur à
l'église pour diffuser des vidéos à 7h, sauf qu'ici ils ne font
pas la différence entre l'heure matinale et l'heure nocturne et il
m'a donc réveillé pour rien. D'autres pasteurs ensuite puis la
messe matinale où je ne voulais pas aller. J'y suis néanmoins allé,
parce qu'ils voulaient que je prête mon ordinateur à un moment, et
qu'ils m'ont téléphoné pour me demander de monter dans l'instant,
me faisant subir deux heures de sermons.
Une vache dans la lumière d'un phare, ruminant les comparaisons bibliques. |
Les nombreuses idées
qu'ils ont avancé m'ont toutes convaincus de mon athéisme, du fait
que je ne suis pas d'accord du tout avec nombre de messages transmis
par la Bible. L'idée principale me pose problème, la
déresponsabilisation de l'individu dans ce qu'il lui arrive. Pour
entrer un peu plus dans le détail, quelques points qui me
déplaisent : le fait de placer l'homme comme supérieur aux
autres animaux dont il fait partis lui octroyant le droit de tuer et
de manger sans aucune considération pour la vie sensible ; la
vision de l'environnement comme étant au service de l'homme et non
un bien à protéger ; le jugement excessivement négatif contre
ce qui ne correspond pas à la norme, à une prétendue nature
humaine ; la diversité des langues considérée comme une
malédiction et non comme une richesse ; l'appauvrissement de la
réflexion scientifique provoquée par la conviction de vérité des
légendes bibliques, etc. chaque jour, la liste va s'allongeant.
La voiture qui passe, c'est Dieu, elle existe mais on ne la voit pas. |
Les actes de fois, le
dogme, me gênent aussi. S'adresser à une foule en lui racontant des
contes, c'est bien, prétendre qu'ils sont vrais pour leur inculquer
des valeurs, ça ne me plaît pas. Et puis, il y a différentes
manières de s'adresser aux gens, soit en faisant appel à leur
intelligence soit à leur croyance, qui est le contraire de
l'intelligence, qui est de l'aveuglement. Les messages de la Bible
sont remplis de contradictions, d'incohérences et d'hésitations
dues au fait que le texte a été écrit par de nombreuses personnes
durant des années, puis traduit à de nombreuses reprises. Prétendre
que c'est un message cohérent directement transmis par Dieu est
d'une stupidité totale. Et puis, il y a un côté spectaculaire dans
les messes, les pasteurs se mettent en scène et usent démesurément
de l'argument d'autorité pour rompre les processus de réflexion des
gens et les faire mémoriser des phrases à moitié dénuées de
sens, et ça, ça ne me plaît pas du tout.
Je trouve ça beaucoup plus joli sans présence divine. |
Cependant, l'action de
l'église sur la société est complètement différente ici et dans
la société dans laquelle j'ai grandis. Il y a beaucoup moins l'idée
de menace, je trouve, et de nombreux services proposés autrement
dans notre société ne le sont que par l'église ici. Notamment les
garderies dominicales, le don de matériel scolaire et médical,
l'écoute privée du pasteur. Je préfère largement ce qui existe
dans nos sociétés à la place de ça, mais ici, faute de mieux,
c'est quand même difficile de ne pas considérer le développement
de l'église comme un léger progrès. Je vois également la baisse
de consommation d'alcool d'un bon œil. Mais je ne voudrais pas que
vous vous mépreniez sur mon avis, je ne trouve pas ça bien. C'est
un pis-aller faute d'une autre offre sociale, qui apporte des
solutions mais aussi beaucoup de problèmes, beaucoup de malaises
sociaux, de déconsidérations personnelles, de déresponsabilisation.
Sans reparler du château d'eau qui n'avance pas, ils sont pas fichus de construire un enclos pour les vaches, qui dégueulassent le terrain de foot. |
Mais je vais arrêter là mes critiques et en tirer déjà des conclusions, pour ne pas épuiser mes pauvres lecteurs qui se sont déjà farcis bien trop de mots.
De vivre dans une autre
culture, j'aurais appris beaucoup de chose, changé certains points
de vue, mais concernant la religion, ça ne m'a que davantage
convaincu d'avancer sans elle. Mes croyances ne sont pas celles-là.
La liberté n'est pas compatible avec le message biblique, l'égalité
n'est pas ce que propose la Bible pour les êtres vivants, la
solidarité n'est pas la charité. C'est définitif, je resterai chez
moi les prochains dimanches, comme je l'ai toujours fais, dans ma
maison.
Ma cabane, de nuit. |
Et je vous dis à la
prochaine, probablement depuis le Brésil, où je compte bien prendre
de chouettes photos qui vous changeront un peu du cadre étroit de ce
petit village perdu de Bolivie.
Je suis ravie de constater que notre éducation athée t'as laissé un libre arbitre de choc... continue dans l'incroyance y a que ça de vrai.... bisouss
RépondreSupprimerMarie