Pitch

Fragments de voyages en Bolivie par un apprenti linguiste étudiant la langue des Siriono.

dimanche 18 mai 2014

Veillées et loges

Ce week-end, c'était l'anniversaire de l'église d'Ibiato, et comme je ne suis pas tombé dans la marmite d'eau bénite quand j'étais petit, j'ai du mal avec tout ça. C'est de ça que je voudrai vous parler aujourd'hui, du sentiment religieux, des croyances et des églises. Amen. Et pour rendre supportables mes derniers paragraphes d'un athéisme fulgurant, je vous propose à nouveau des photos de nuit du village d'Ibiato, prises pendant une soirée de la semaine ainsi que pendant ce week-end. J'en avais déjà un peu parlé il y a deux ans.
Il faisait déjà nuit, je testais les réglages de mon appareil photo.
L'église d'Ibiato est une église évangélique quadrangulaire (c'est pas la forme, c'est le nom du consortium) fondée pour civiliser les sauvages du coin, les sirionos. Elle n'a que quatre-vingt ans et le souvenir du fondateur est encore très présent. Jusque dans les années 90, le fils du fondateur continuait ses messes dans le très-saint édifice surplombant le village. Ensuite, une grosse vague de débauche, due notamment à l'ouverture d'une route à proximité, qui a entrainé des arrivées d'alcool et des départs en nombre. Un nouveau pasteur a finalement été nommé l'année dernière, un fils du village, qui ne parle plus la langue faute de l'avoir pratiquée mais qui vit ici et veut relancer l'activité de l'église.
Voilà l'église d'Ibiato, avec son nouveau toit un éclairage nuit d'orient.

Pour cela, il invite régulièrement des pasteurs venant d'autres églises, notamment de La Paz, de Cochabamba et de Santa Cruz. L'ONG Samaritan's Purse, les bons samaritains, sont aussi des frères et tout ce beau monde était là pour l'anniversaire de l'église. C'est quelque chose qui m'a étonné. Ils sont d'églises différentes, et pourtant se réunissent. Quant on vient d'un pays où les villages ont des cimetières catholiques et des cimetières protestants, ça fait bizarre. Ici, il y a plusieurs églises, et même au sein du village, il y a deux églises, mais il n'y a pas de compétition, ils sont tous frères. J'comprenais pas trop au départ, mais finalement dans leur logique ils sont unis par l'amour du Christ, ça fait sens pour eux. Probablement comme deux supporteurs de foot qui peuvent parler de leur passion sans pourtant supporter les mêmes joueurs.
Deux maisons de l'autre côté de la colline.
Ah oui, ils ont tous adopté la croyance en Dieu. Pas un ne la remet en cause et ils ne comprennent pas que je puisse ne pas croire. Un dimanche soir, Gardenia, une fille qui a habité un temps la maison de mes hôtes me demanda si j'allais au culte. Le dialogue a à peu près donné ça (à une traduction près) :
- Tu vas au culte ?
- J'crois pas.
- Pourquoi ?
- J'crois pas.
Depuis l'église, éclairage public et herbe d'un vert surnaturel.

L'église d'Ibiato tombait en ruine par endroit, des chauve-souris y avaient leurs nids, elle était en triste état, et pour nettoyer leurs cœurs, ils ont voulus rénover leur bâtiment. Pour cela, point de campagne de dons, pas de sollicitations à la cantonade (j'suis sûr qu'il y a un nom pour les membres d'une église, mais il m'échappe...les dévots ? la congrégation ?), pas d'appel à la bonne volonté mais d'abord une prière et la rédaction d'une sollicitation pour les autres églises. Et j'étais là au moment où ça s'est fait, j'ai donné un léger coup de main en tapant les courriers, en gardant le contact via internet avec quelques pasteurs, du coup, ils me remercient à chaque fois pour mon aide. Une fois les tuiles payées, il fallait s'y mettre, et c'est devenu plus compliqué.
Depuis le même endroit, levé de lune.

Ils ont traîné, comme d'habitude, puis est venue la pluie et les travaux ont été interrompus pendant des mois, le temps que le bois sèche, ce qui est compliqué sous les tropiques. Une fois fait, ils ont eut du mal à motiver les gens, et ils se retrouvaient régulièrement à deux-trois seulement sur le chantier pour travailler. Ce qui ne m'étonne guère, connaissant l'absence de motivation au travail des gens ici. C'est assez fulgurant à quel point ils ne foutent rien, et particulièrement les hommes. Ce qui n'a pas empêché un des pasteurs de faire une longue explication sur les rôles genrés dans la famille, le fait que la femme ai été créée à partir de l'homme et qu'elle existe pour le servir. Un moment tout à fait désagréable.
Pendant ce temps-là, les pauvres squattent la maison communale et personne pour les aider à construire leur propre maison.
Pour les motiver au travail, je leur ai rendu une petite visite et j'ai pris quelques photos des travailleurs, que j'ai envoyé à un pasteur de La Paz avec qui j'étais resté en contact, ainsi qu'à Anne Priest, la missionnaire de l'Institut Linguistique d'Eté qui était là dans les années quatre-vingt pour traduire la Bible et qui avait écrit également un petit livret de chants que quelques femmes utilisent encore. Celle-ci m'a répondu et à été très émue de recevoir les nouvelles du village que je lui ai envoyé, répondant à ma proposition d'écrire une longue lettre pour donner de ses nouvelles. Je me suis donc retrouvé avec une jolie surprise pour les sirionos, qui fut bien plus que ce à quoi ils s'attendaient.
Et voilà le résultat le soir de l'inauguration, avec la Lune derrière l'église.

L'église a été terminée deux jours avant l'anniversaire et ils ont pu faire l'inauguration prévue. Deux mariages étaient prévus, dont celui de mes hôtes, mais ils furent annulés car les gens sont pas foutus de s'organiser correctement. Ils ont finis le toit et ont passé un coup de peinture blanche et moutarde sur les colonnes. Les pasteurs ont débarqué le vendredi, et je suis allé faire un tour à la messe du soir, voir s'ils me donneraient la parole pour lire la lettre venue de loin, ce qui n'a pas été le cas. J'en ai eut marre au milieu et je me suis enfuis entre deux alléluias. Le lendemain, je réussis assez bien à les esquiver et à bosser, jusqu'à retourner au culte du soir, avec les miquettes. J'voulais leur lire cette lettre, et en même temps j'avais peur, car lire à haut voix dans une langue étrangère, c'est difficile, encore plus quand il y a des codes cryptiques du genre 1 Cor 3:16.
J'ai pas appris ça à l'école moi (bim badaboum transition pimpom)

Le pasteur m'a donné la parole assez tôt dans la soirée, et je me suis avancé, ne sachant pas vraiment comment j'allais me débrouiller. J'ai pris le micro, et j'ai regardé cette église remplie, peut-être une centaine de personne en tout, avec les invités. J'ai expliqué qui était la personne dont j'allais lire la lettre, je leur ai demandé d'excuser mon accent, et le fait que sa lettre commençait non pas en espagnol mais en siriono. Le pasteur m'a demandé tout étonné si j'allais lire dans sa langue, j'ai confirmé et je me suis lancé. J'ai déjà parlé en public à plusieurs reprises, mais jamais comme ça. Les gens n'en revenaient pas, je restais concentré sur mon papier mais sentais qu'ils me jugeaient, et qu'ils étaient étonnés de m'entendre m'exprimer dans leur langue. Enchaîner avec l'espagnol fut plus facile et je me suis bien débrouillé. J'ai écouté ensuite un moment et me suis enfuis de nouveau.
Redescendant de l'église, vers ma maison, au centre. A gauche, le château d'eau qui ne finira jamais.

Dimanche, un jour que je devais également consacrer au boulot, étant sur la brèche pour terminer une analyse que je dois présenter la semaine prochaine dans une conférence avec des collègues au Brésil. Heureusement, un pasteur est venu me réveiller dès l'aube pour me demander de lui passer les fameuses vidéos que je possède, des documentaires sur les Siriono. Il avait compris que je devais prêter mon ordinateur à l'église pour diffuser des vidéos à 7h, sauf qu'ici ils ne font pas la différence entre l'heure matinale et l'heure nocturne et il m'a donc réveillé pour rien. D'autres pasteurs ensuite puis la messe matinale où je ne voulais pas aller. J'y suis néanmoins allé, parce qu'ils voulaient que je prête mon ordinateur à un moment, et qu'ils m'ont téléphoné pour me demander de monter dans l'instant, me faisant subir deux heures de sermons.
Une vache dans la lumière d'un phare, ruminant les comparaisons bibliques.

Les nombreuses idées qu'ils ont avancé m'ont toutes convaincus de mon athéisme, du fait que je ne suis pas d'accord du tout avec nombre de messages transmis par la Bible. L'idée principale me pose problème, la déresponsabilisation de l'individu dans ce qu'il lui arrive. Pour entrer un peu plus dans le détail, quelques points qui me déplaisent : le fait de placer l'homme comme supérieur aux autres animaux dont il fait partis lui octroyant le droit de tuer et de manger sans aucune considération pour la vie sensible ; la vision de l'environnement comme étant au service de l'homme et non un bien à protéger ; le jugement excessivement négatif contre ce qui ne correspond pas à la norme, à une prétendue nature humaine ; la diversité des langues considérée comme une malédiction et non comme une richesse ; l'appauvrissement de la réflexion scientifique provoquée par la conviction de vérité des légendes bibliques, etc. chaque jour, la liste va s'allongeant.
La voiture qui passe, c'est Dieu, elle existe mais on ne la voit pas.
Les actes de fois, le dogme, me gênent aussi. S'adresser à une foule en lui racontant des contes, c'est bien, prétendre qu'ils sont vrais pour leur inculquer des valeurs, ça ne me plaît pas. Et puis, il y a différentes manières de s'adresser aux gens, soit en faisant appel à leur intelligence soit à leur croyance, qui est le contraire de l'intelligence, qui est de l'aveuglement. Les messages de la Bible sont remplis de contradictions, d'incohérences et d'hésitations dues au fait que le texte a été écrit par de nombreuses personnes durant des années, puis traduit à de nombreuses reprises. Prétendre que c'est un message cohérent directement transmis par Dieu est d'une stupidité totale. Et puis, il y a un côté spectaculaire dans les messes, les pasteurs se mettent en scène et usent démesurément de l'argument d'autorité pour rompre les processus de réflexion des gens et les faire mémoriser des phrases à moitié dénuées de sens, et ça, ça ne me plaît pas du tout.

Je trouve ça beaucoup plus joli sans présence divine.
Cependant, l'action de l'église sur la société est complètement différente ici et dans la société dans laquelle j'ai grandis. Il y a beaucoup moins l'idée de menace, je trouve, et de nombreux services proposés autrement dans notre société ne le sont que par l'église ici. Notamment les garderies dominicales, le don de matériel scolaire et médical, l'écoute privée du pasteur. Je préfère largement ce qui existe dans nos sociétés à la place de ça, mais ici, faute de mieux, c'est quand même difficile de ne pas considérer le développement de l'église comme un léger progrès. Je vois également la baisse de consommation d'alcool d'un bon œil. Mais je ne voudrais pas que vous vous mépreniez sur mon avis, je ne trouve pas ça bien. C'est un pis-aller faute d'une autre offre sociale, qui apporte des solutions mais aussi beaucoup de problèmes, beaucoup de malaises sociaux, de déconsidérations personnelles, de déresponsabilisation.
Sans reparler du château d'eau qui n'avance pas, ils sont pas fichus de construire un enclos pour les vaches, qui dégueulassent le terrain de foot.
 
Mais je vais arrêter là mes critiques et en tirer déjà des conclusions, pour ne pas épuiser mes pauvres lecteurs qui se sont déjà farcis bien trop de mots.


De vivre dans une autre culture, j'aurais appris beaucoup de chose, changé certains points de vue, mais concernant la religion, ça ne m'a que davantage convaincu d'avancer sans elle. Mes croyances ne sont pas celles-là. La liberté n'est pas compatible avec le message biblique, l'égalité n'est pas ce que propose la Bible pour les êtres vivants, la solidarité n'est pas la charité. C'est définitif, je resterai chez moi les prochains dimanches, comme je l'ai toujours fais, dans ma maison.
Ma cabane, de nuit.
Et je vous dis à la prochaine, probablement depuis le Brésil, où je compte bien prendre de chouettes photos qui vous changeront un peu du cadre étroit de ce petit village perdu de Bolivie.


1 commentaire:

  1. Je suis ravie de constater que notre éducation athée t'as laissé un libre arbitre de choc... continue dans l'incroyance y a que ça de vrai.... bisouss
    Marie

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