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Fragments de voyages en Bolivie par un apprenti linguiste étudiant la langue des Siriono.

mardi 14 juin 2011

L'intérêt linguistique du sirionó

Cet article fait suite à celui dans lequel j'expliquais pourquoi étudier le sirionó. Outre les raisons humaines, il existe des raisons scientifiques qui font que cette langue est intéressante. Je vais essayer de vous les expliquer en gardant comme visée que je m'adresse à tous, donc en tentant de rendre clair tout élément !

L'ordre des mots est une chose que l'on donne souvent en premier pour décrire une langue. Sauf qu'en fait, c'est difficile à dire. Il semblerait qu'il soit relativement proche de celui du français...mais il faudrait étudier une grosse quantité de phrase pour en être certain. Il est possible qu'en sirionó se produise un phénomène intéressant que l'on retrouve dans certaines langues proches. Lorsque le complément circonstanciel de lieu est mis en lumière, rendu central dans la phrase, il affecte le verbe. Dans la plupart des langues ce n'est pas le cas. On considère habituellement que les compléments circonstanciels sont hors de la valence verbale, c'est à dire que leur présence ou absence ne change rien. Et là, ben ça change. Je ne vous détaille pas le changement mais c'est intéressant comme phénomène parce que ça veut dire que pour les Sirionós, l'endroit où a lieu l'action affecte directement la réalisation de celle-ci !

Le système de pronoms personnels est intéressant lui aussi. Ils sont collés aux verbes mais n'indiquent souvent qu'un élément, le sujet ou l'objet de l'action. Le choix de celui que l'on indique dépend d'un degré d'animéité. C'est un petit peu compliqué et on pourra se demander comment ils font marcher ça, mais ça fonctionne. En gros, il je dis "je mange une orange", le sujet est animé (c'est moi) et l'objet est inanimé (elle est bleue). On dira donc ça comme ça. Par contre si on veut dire "une orange me mange" on dira juste "me mange" puisque le sujet est plus animé que l'objet. Enfin bon, ça amène a des situations intéressantes et souvent obscures quand on ne comprend pas de quoi il est question. Il est possible qu'il soit par ailleurs impossible de dire "le moustique pique l'homme" car on considère que le premier est moins animé que le second (souvent) et donc on ne pourra dire que "l'homme a été piqué par le moustique".


Un autre aspect intéressant concerne les marques sur les verbes qui indiquent le degré d'évidentialité du propos. On précisera ainsi systématiquement si on sait ce dont on parle parce qu'on l'a vu, si on le sait parce que quelqu'un nous l'a dit ou si on le sait parce qu'on en a vu des indices indirects (le sol est mouillé, je sais qu'il a plu même si je l'ai pas vu). Un trait qui apparaît dans pas mal de langue amérindiennes et qui est très intéressant puisqu'il nous oblige à préciser le degré de véracité de nos propos, ce que cherchent en permanence à faire nos politiciens avec des formules hyper compliquées ! Du coup, ça entraîne probablement une classification mentale des connaissances en fonction de la pertinence, du degré de vérité qu'on y accorde !

Du côté des sons prononcés, il y a de quoi se marrer aussi. Dans les voyelles il existe un i prononcé avec la langue très en avant qui ne correspond à aucun phonème stéréotypique. En gros, c'est un son inédit ! Dans les consones, il est amusant de noter qu'il n'y a aucun son L et que le son R ressemble en fait plutôt à un D, avec peut-être un petit effet rétroflexe. Ce son entre le R et le D demande une analyse pour être mieux décrit mais il est possible qu'il soit fait avec le dessous de la langue qui frotte le palais plutôt que la pointe. Essayez pour voir. C'est ça rétroflexe. Fou, non ?

Lorsque le son passe par la bouche et par le nez en même temps on dit que le son est nasalisé. C'est un phénomène qui arrive en français lorsqu'on met un N ou un M. Et bien là, il affecte plein de consonnes et de voyelles dès qu'un bout est nasalisé. Il s'agirait d'une sorte de propagation qui entache tout le mot de nasalité. C'est intéressant car on considère souvent que le trait nasal est lié à un phonème alors qu'ici il serait plutôt lié à un mot. On parle de trait suprasegmental. C'est difficile de vous expliquer en quoi c'est intéressant mais je passerai mon été à étudier ça alors je saurai surement mieux vous en parler ensuite !

En tout cas j'espère ne pas vous avoir ennuyé et être resté assez clair dans l'ensemble. Si vous avez des questions, n'hésitez pas !

1 commentaire:

  1. Noé c'est trop génial!!! Moi tu m'as pas du coup embétée au contraire! en fait tu m'as même beaucoup donné envie de partir moi aussi à l'autre bout du monde pour décrire une jolie langue (côté phono pour moi)! Enfin je perds pas espoir, Anne a fait ça donc c'est possible même en faisant une thèse qui n'a rien à voir! d'ailleurs en passant, l'autre jour j'ai parlé de toi à Anne et elle se souvenait de toi, alors je lui ai raconté ce que tu faisais. (c'était l'anecdote du jour)

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