Pitch

Fragments de voyages en Bolivie par un apprenti linguiste étudiant la langue des Siriono.

mardi 2 août 2011

Joie de vivre

Cette fois-ci plusieurs articles antédatés dans le passé et dans le désordre ! Le premier est donc celui-ci puis suivent un article sur les consommations et un autre pour conclure cette trilogie critique sur la reculturation. J'écris ce premier article en dernier, pour commencer sur une note positive pour glisser en mineur, préparant le changement de gamme vers un blues où les graves résonnent avec les aigus, autant que c'est possible dans un texte critique. Les photos n'auront pas grand chose à voir, mais pour chaque article je vous proposerais des fleurs, des fruits et des papillons, en espérant que ça vous plaira.

Les couleurs de la Bolivie, avec l'école dans le fond

Commençons avec légèreté en parlant de fruits ! Les fruits ne sont pas des choses qui s'achètent. Il y a de nombreux arbres dans le village et aux alentours qui appartiennent à tous. Ils datent du temps où il y avait des missionnaires et aucun nouveau n'est planté. En fait, ça ne leur semble ni nécessaire ni possible, alors que ce pourrait être une source de revenu pour le village. Il y a certains fruits que l'on trouve sur les marchés français comme les papayes, les mangues, les citrons, les mandarines et les bananes. Ces dernières sont de deux types, celui que l'on connaît, plus ou moins, et les bananes plantains, moins sucrées et utilisées en soupe, grillées ou braisées. Les citrons et mandarines ne sont pas locales mais poussent bien et ces dernières, qui commencent à être mûres, sont petites et pleine de pépins mais délicieuses.

Le fruit premier pour les Sirionos, offert par la Lune avant qu'elle ne parte vivre dans le ciel, est le coquino, appelé iba en siriono. Il est mûr en janvier-février et je ne connais donc pas. Un autre fruit spécifique à la région sont les turumburi, dont je ne connais le nom qu'en siriono et je sais juste que c'est petit et rouge. Un autre très commun, bi, est un agrume jaune entre l'orange et le pamplemousse dont ils ne consomment que le jus, souvent dilué avec de l'eau car c'est assez acide. Et pour finir ce rapide tour de table, je parlerais du fruit du chérimolier qui paraît être une grosse pierre dure et qui est en faite constitué d'une pulpe blanchâtre et de long pépins noirs. C'est savoureux. J'en ai pris des graines pour essayer d'en faire pousser en France, mais je ne pense pas que ça puisse se faire.

Voici le fruit qui ressemble à un caillou

En tout cas ce sont plein de bonnes découvertes, même si pour eux ça paraît banal et qu'ils en consomment assez peu. En comparaison de la consommation de fruits en Europe, ça me semble égal, avec cependant un plus grand respect au cycle naturel, évidemment. Mais malgré le fait que les fruits ne soient là que durant peu de temps, les gens ne se jettent pas dessus pour en manger et n'en font ni conserve ni confiture. Bon, c'est aussi qu'ils n'ont pas de frigo ni de caves fraîches pour conserver tout ça. La seule possibilité est de laisser macérer pour faire une boisson alcoolisée qu'ils appellent chitcha (je crois en avoir déjà parlé) mais qu'ils ne fabriquent pas très souvent ici.

Le deuxième sujet de cet article concernera la joie de vivre des Sirionos. C'est un point important avant de passer aux critiques de fond. Les Sirionos sont des gens qui paraissent heureux. Ils rient souvent et organisent des soirées régulièrement. Ils sont fiers de se considérer comme des Sirionos et sont fiers de leur langue et de leur culture. Même si ils ont un peu conscience que des choses se perdent, ils ne définissent pas bien quoi et depuis la réappropriation de leur territoire ils considèrent être chez eux et avoir un passé héroïque. Depuis le changement de constitution, ils vivent dans l’État Plurinational de Bolivie, et considèrent leur première identité comme étant Siriono. En ville ils n'hésitent pas à se présenter ainsi et ils sont relativement intégrés dans la vie sociale de Trinidad, puisqu'y vendant le miel et participant à diverses fêtes. L'organisation politique du village fait qu'il y a, aux conseils de village, des membres du "comité de vigilance", des élus venant d'autres villages, ce qui participe à son intégration dans les communautés alentours. A son contrôle politique aussi bien sûr. Mais cependant, les divers élus n'appartiennent pas à des partis politiques et considèrent que cela interférerait avec l'intérêt de leur peuple, ce qui est plutôt positif vu la corruption des partis de Bolivie.

Un des moteurs du contrôle social des conflits est l'Organisation des femmes, qui est amenée à gérer les cas de violence conjugale et à gérer divers trucs. En cas de problème grave, ils peuvent organiser une réunion extraordinaire de tout le village, mais je n'ai encore jamais vu ça en presque un mois. Organisé ainsi, le village paraît maître de lui même, et les gens ressentent une confiance en leurs élus qui existe de moins en moins dans les systèmes représentatifs européens. Notons enfin sur l'organisation sociale que l'équivalent du maire est le poste d'alcalde, occupé actuellement par une femme d'une trentaine d'année.

Une photo aux couleurs de la Bolivie

Malgré le peu de travail que peuvent avoir les gens, la plupart des femmes s'occupant exclusivement de leur foyer, ce qui forme un travail à temps plein, les gens sont heureux. Les hommes considèrent les femmes comme valeureuses car ce sont elles qui font tout, eux se contentant de montrer leur forme ou folie de temps en temps et de parler le reste du temps. Les femmes ont plus de facilité à exprimer leurs joies et il est rare de voir des hommes se réunir pour bavarder gaîement. Faut dire aussi que je suis dans une maison dont l'hôte fait partie du comité de vigilance dont je parlais plus haut, les discussions sont donc souvent tournées vers les projets pour le villages.

Et ils sont nombreux, les projets du village ! Allant de la gestion forestière à l'organisation des fêtes, il y a pas mal de choses qui bougent en ce moment. Faut dire que la commune brasse un peu de sous, avec les concessions aux éleveurs et aux bûcherons. Ils prévoient donc de tracer de nouvelles rues dans le village, permettant de rejoindre les pampas qui s'étendent de chaque côté du village et de densifier un peu l'habitat qui s'étend seulement d'un côté, comme je l'avais noté précédemment. Ils prévoient également d'acheter des ordinateurs pour l'école, ce qui est plutôt positif pour moi car facilitera le rendu à la communauté de mon travail. Je pourrais ainsi faire un cd avec l'ensemble des enregistrements, facilement écoutable à l'école par tous.

L'école s'appelle au fait 2 de agosto, car ils aiment bien donner des noms de date est que celle-ci est celle de création du village d'Ibiato. La fête dont je parlerais dans les prochains messages était pour fêter cet événement. Depuis, il y a eu la fête nationale du 6 août, et c'est de ça que je vais vous parler maintenant. C'est un peu déchronologique mais c'est chronique, c'est une chronique en tout cas. Bref, je voulais parler de sentiment patriotique donc !

La fleur symbole du pays, et du département aussi

Les Sirionos sont relativement fiers d'être Boliviens. Ils considèrent que le pays est une sorte de paradis terrestre, comme l'ont jugé les premiers explorateurs et oublient facilement la misère globale pour parler de la chance d'un climat clément, sans tremblement de terre ni tsunami. Bon, évidemment, le seul littoral de Bolivie est sur un lac de montagne, donc pour les tsunami c'est pas très étonnant. Enfin du coup, pour célébrer la joie nationale, a été organisé un premier défilé de nuit, avec des torches aux couleurs du pays : rouge, jaune et vert. C'était plutôt mignon, tout ces lumignons. Ils sont allés jusqu'au terrain bétonné, sous l'église, et ils ont chanté l'hymne national. Il y a eu de vagues discours que j'ai pas écouté et l'hymne des Sirionos, enfin le premier couplet en espagnol, non les suivants en siriono malheureusement.

La même chose le lendemain, avec un pupitre et plus de discours officiels. Difficile de dire si ça sert juste à légitimer les différents postes à responsabilité dans le village ou si ça plaît vraiment aux gens, mais j'avais un peu l'impression que le même genre de truc devaient se faire dans la France d'après guerre. Avec en plus des symboles étranges. D'abord un groupe d'enfants habillés en militaire, avec des faux fusils. Ils étaient là pour symboliser l'appui des militaires dans la libération du pays...reste que c'était de très jeunes enfants, non les conscrits. D'autres enfants étaient déguisés diversement. Une fille était vêtue du drapeau de Bolivie comme d'une robe et représentait la Bolivie. Telle la Marianne française, vêtements en plus, elle s'est tenue droite face au peuple, et a dit quelques mots positifs. Par la suite, chaque département de Bolivie est venu saluer, se présentant sous le nom du département et remerciant la Bolivie. Cette façon de personnifier les villes/départements était assez étrange mais ça avait l'air de bien faire rire les enfants en tout cas. J'imagine pas du tout le même genre de truc en France, mais c'est peut-être que je n'ai pas été dans une école très patriotique. Après les divers discours chaque groupe du village a défilé puis il y a eu un match de foot entre deux équipes du village, ce qui ressemble assez à un samedi après midi en France, du coup.

Les Sirionos se considèrent donc comme Siriono et Bolivien, ce qui est plutôt positif, puisqu'ils n'ont pas une image négative de leurs origines mais ne sont pas non plus en conflit avec le pouvoir. La langue là-dedans n'est pas très gâtée. Elle est pas vue comme un signe d'appartenance au peuple Siriono mais plutôt comme un léger bagage culturel qui ne doit pas être trop lourd pour ne pas nuire à l'intégration sociale. Ainsi ils sont contents que leurs enfants connaissent trois mots de siriono mais ça ne leur viendrait pas à l'idée de leur parler dans cette langue. Lorsqu'une personne parle en siriono, c'est rare que la réponse soit aussi dans cette langue. Malgré ça, ils semblent heureux et bien vivre leur condition actuelle, partiellement intégrés mais avec une culture propre. Si vous n'êtes pas lassés de lire, je vous donne rendez-vous au prochain article pour parler de consommation, le suivant revenant sur les aspects culturels !

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