Cet article fait suite à celui qui raconte mon changement de village et sera consacré à ma semaine de travail à Ngirai, ainsi qu'à la présentation du village ! Je m'excuse pour la qualité des photos, que j'ai pris en fin de journée et qui ne rendent pas du tout comme c'est en réalité. Je vous en proposerais peut-être des meilleurs plus tard.
On dirait de la boue par terre mais pas du tout |
Le terrain de foot central est encadré par une école qui compte sept professeurs et par la route qui part vers le nord, empruntée principalement par des camions transportant des troncs d'arbres énormes. Il y a un petit centre de santé et plusieurs rues qui témoignent d'une volonté d'expansion et d'un urbanisme basé sur le modèle colonial. Je veux dire par là que l'ajout d'une rue signifie pour eux l'agrandissement de la ville, même si il n'y a aucune nouvelle maison et qu'ils ne se déplacent quasiment qu'à pied. Les rues font bien, donc, mais ne structurent pas le ville, qui est plus ou moins structuré selon les familles. De même qu'à Ibiato, pas de centre social, si ce n'est l'école. C'est peut-être un village plus individualiste, les maisons étant assez éloignées les unes des autres. Il n'y a pas l'électricité mais depuis peu il y a de l'eau potable. Un forage et de nombreuses canalisations permettent d'obtenir de l'eau à divers endroits du village. Une sorte de bain public est en construction, pour améliorer l'hygiène dans le village. Si j'ai bien compris, l'idée est de faire plusieurs douches et une grande citerne. Un projet avec un entrepreneur de culture de canne à sucre devrait permettre d'amener l'électricité et de proposer du travail aux gens du village.
Le futur chateau d'eau |
Actuellement, ils sont très pauvres et la plupart partent travailler à la journée dans des élevages voisins, pour une cinquantaine de bol (5 euros). Plusieurs travaillent aussi dans une communauté mennonite plus au nord. Les mennonites sont un peu comme les amiches en moins rigolo, et je ne vais pas digresser davantage sur le sujet, vous renvoyant vers la page de Wikipédia, si ça vous intéresse.
Je sortais donc de la réunion du village où j'ai présenté mon projet. Un homme d'une soixantaine d'années, peut-être un peu plus, me propose de l'accompagner jusqu'à sa maison, car il veut me parler. J'y vais et rencontre sa femme, qui ne parle aux enfants qu'en siriono ! Nouveau décalage par rapport à Ibiato : ici la langue se parle dans les familles ! Lui s'appelle Mario et elle Mery. Il me parle en siriono, me racontant diverses histoires passées, principalement sur la vie du missionnaire Juan Anderson, venu fonder Ibiato. Ce soir là, et le lendemain, il s'échinera à me faire une hagiographie complète de ce saint homme qui amena la civilisation aux Sirionos. C'est oublier un peu vite qu'il a fait du village un camp de travail, envoyés les enfants dans une école hors du village où leur langue était interdite et contribué à la déculturation progressive des Sirionos. J'ai l'impression que la croyance religieuse amène à la construction de martyrs, transforme forcément le statut du prêtre en celui de messie, chacune de ses souffrances étant vues comme des sacrifices faits en l'honneur du village.
Une autre vue de l'école du village |
Enfin bon, ça reste des textes en siriono et c'est donc intéressant pour moi, d'un point de vue linguistique. Il me propose de retravailler avec moi le lendemain, mais me dit qu'il doit nourrir sa famille et que ça l'arrangerait bien que je lui dédommage sa journée de travail au champ. J'accepte et on se retrouve donc le lendemain matin. Il m'accompagne cette fois pour rencontrer deux petites mamies qui sont les deux dernières locutrices monolingues ! C'est à dire qu'elles ne parlent pas espagnol et que les gens ne communiquent avec elles qu'en siriono ! Je pense qu'elles sont un des moteurs de la conservation de la langue dans le village, et c'est avec joie que je pu les rencontrer ! J'ai pu enregistrer plusieurs paroles d'elles, encadrées par celles de Mario, qui dirigeait les récits sur la vie du saint Juanito, donc.
La matinée se termine bien, même si je suis complètement épuisé. Je retrouve Mario après le repas et il me propose de nous installer au centre de santé, celui-ci étant clôt et donc protégé du vent qui souffle assez fort ce jour là. On y va et je vois en arrivant un panneau solaire, et à l'intérieur une prise. Je me dis que ça pourrait être pas mal d'utiliser mon enregistreur avec ça, pour éviter de gaspiller des centaines de piles. Je demande à la docteur, puis j'essaye sans succès. Arrive alors un homme qui vient chercher un médicament. Il se dit électricien et il tente lui aussi de brancher ma machine. Rien n'y fait, même avec une rallonge. Il me dit que c'est que le voltage est trop faible, mais que ça pourrait marche en branchant les câbles sur les bornes où se placent les piles. Je suis un peu dubitatif mais il me dit qu'il l'a déjà fait et que ça marche sans problème. Il tente, sans succès. J'abandonne l'idée d'utiliser le courant et remets les piles. Et...ça ne s'allume pas. Avec sa manip, le type a grillé la machine. Voilà qui est fort ennuyeux, un peu comme de casser sa pioche sur la première pépite d'or trouvée. Je me retrouve avec un informateur tout disponible pour enregistrer pleins de mots mais sans ma machine.
La docteure fait preuve d'un super-positivisme contagieux qui me fait relativiser le problème. Après tout, suffit d'aller faire un tour à Trini pour en acheter un autre ou voir si c'est pas réparable. Je ne suis pas très chaud pour en acheter un autre, les enregistreurs numériques de cette qualité, ça doit pas se trouver ici. La réparation ici, j'y crois pas trop non plus. Et puis...je n'ai plus qu'une semaine devant moi. Je retourne néanmoins à Trinidad, après à peine 24h dans le village.
La maison où j'ai dormis est de ce côté, allons y pour la visite ! |
Je retourne alors à Ngirai, et on est déjà mercredi 24. Je revois Mario et Mery, celle-ci me parlant d'un coup vingt minutes du passé, dans un récit entrecoupé de traductions en espagnol, mais dans un siriono qui m'apparaît assez correct. Elle maîtrise vraiment la langue, et traduit ses propos pour m'aider, ce qui sera bien pratique pour la suite. Je les revois le lendemain matin et la batterie au lithium de l'appareil photo nous lâche peu avant midi. Aucune envie de tenter de la recharger ici, j'vais pas fusiller une deuxième machine.
La maison, anciennement lieu de stockage de l'aide humanitaire, je crois |
Je retrouve Mario et Mery et commence à travailler ma liste de mots. Au moment d'enregistrer Mery a envie de me raconter une histoire, je la laisse faire. Dans celle-ci elle me parle des chants matinaux traditionnels. Je saute sur l'occasion pour lui demander si je ne pourrais pas en enregistrer quelques uns le lendemain matin, avec les deux petites mamies de l'autre jour. Elle me propose de m'accompagner, et de me montrer aussi la danse traditionnelle. Mario pour sa part me propose de m'accompagner à Trinidad le weekend pour m'aider à traduire, et enregistrer plein de mots.
C'est un arrangement qui me plaît bien. Un peu cher, puisque j'aurais à payer la nuitée et les repas pour deux personnes, ainsi qu'à subir la parole divine pendant deux jours, mais ça pourrait me permettre d'avancer énormément dans mon travail, et d'avoir l'assurance de la faisabilité d'une étude plus approfondie de la langue ! On se donne alors rendez-vous le lendemain matin et je retourne chez mes hôtes. Je les attends quelques minutes et ils reviennent chargés d'un énorme sac de fruits. Il s'agit de tamarindo, un fruit à coque qu'ils cassent puis vendent ensuite en ville. Ce sera leur occupation pour les deux prochains mois. J'ai aidé un peu le lendemain matin, en attendant Mario. C'est assez rigolo. C'est poisseux, ça pègue comme on dit dans le sud, mais l'odeur est agréable, et ça ne laisse absolument aucune trace sur les doigts, contrairement aux noix. Ils s'en servent pour faire des boissons rafraîchissantes ou de la glace pilée. Le goût se rapproche un peu de l'amande.
Mario arrive vers 10h, après une heure de cassage de tamarindo. Il vient m'annoncer qu'il ne pourra pas m'accompagner car la fille de sa fille vient de mourir et qu'il est donc en deuil. Il est vraiment peiné mais me dit qu'il pourra lundi ou mardi. Il repart et je reste un peu désemparé. J'ai déjà demandé au prof du village qui habite en ville de faire le trajet avec lui et du coup, ça clash (Should I Stay Or Should I Go). Je réfléchis tout en continuant à casser des fruits, l'heure de midi arrivant assez vite. C'est fou comme on peut se faire à un travail à la chaîne quand on sait qu'il est utile et qu'on a des choses en tête. J'ai pas repris dans l'après midi cependant.
La salle principale, sans réellement de meubles, avec un feu dans un coin |
Lors de la réunion, plusieurs personnes avaient dit qu'elles voulaient me parler et je ne voulais pas quitter le village sans les avoir vu. Qui plus est, mon appareil photo était rechargé à bloc, autant qu'il servent avant mon retour en ville. Je vais voir une première femme qui me dit qu'elle est un peu malade, mais qu'elle a envie de m'aider. Mario m'a prévenu qu'elle n'est pas très bonne locutrice, malgré sa motivation. Je discute avec elle un petit moment et lui dit que je suis très content de savoir que je pourrais compter sur elle l'année prochaine. Elle est très contente de savoir que je vais faire une étude de sa langue.
Je vais ensuite dans la maison du corregidor du village, qui est une sorte de représentant de la police, plus ou moins. Il est absent mais sa femme est très contente de me recevoir. Elle envoie un de ses enfants chercher la mère de son mari et celle-ci est enthousiasmée par mon projet. Elle me raconte plusieurs anecdotes, plus courtes mais assez riches au niveau vocabulaire. Elles me donnent plein de mot, aussi bien la mère que la fille. Et encore mieux, la mère me donne certains noms que seules les femmes utilisent ! Il y a donc bien en siriono une différence selon le sexe de la personne qui parle ! Elle ne se souvient que de deux mots de ce type, mais c'est déjà hyper intéressant pour moi ! Je note pas mal de chose mais n'enregistre pas de liste de mot. Je goûte aussi des œufs de cailles cuits, mélangé avec de la poudre de yuka, je crois. C'est très étrange mais pas très très bon.
Et mon lit, c'est passionant, n'est-ce pas ? Observez quand même le magnifique alphabet ! |
Je suis du coup repartis un peu triste de ce village. Les rencontres que j'ai fait en une poignée de jour furent infiniment plus riches que celles d'un mois à Ibiato, et les gens étaient content de me voir, ce qui change tout ! Je vous parlais dans un autre article du fait qu'à Ibiato les gens parlent de moi comme du gringo. Ici, je n'ai quasiment pas entendu ce mot. Mery m'appelle akanindu, ce qui signifie le jeune en siriono, Mario m'appelle Mister et une des filles de mon hôte m'appelle tio, tonton. C'est d'ailleurs rigolo car c'est la première fois qu'on m'appelle comme ça, ma nièce m'appelant par mon prénom. J'espère donc pouvoir revenir dans ce village, et y travailler davantage de temps l'année prochaine !
J'espère ne pas vous avoir perdus avec la longueur de ces deux articles rapprochés (plus de 20 000 caractères quand même), et je vous en proposerais demain un autre plus touristique mais aussi plus grave ! hop jeu de mot et devinette, de quoi vais-je donc parler demain ? tatadam ! A vous de jouer !
Tu vas nous parler de la Chine?
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup aimé cette lecture !!
RépondreSupprimeril est trop cool cet aigle alors :)
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