Pitch

Fragments de voyages en Bolivie par un apprenti linguiste étudiant la langue des Siriono.

vendredi 4 juillet 2014

Vivre chez les pauvres

Cette fois-ci un article au ton un peu plus critique, moins rigolo que les précédents, plus personnel et avec des photos qui n'ont rien à voir. En effet, je vais vous parler de ma vie au village et des problèmes liés au fait d'aider des pauvres et en parallèle, je vous montrerai quelques photos de l'ancienne demeure du gouverneur de Belém, où j'étais le mois dernier. Les légendes suivent le texte, si jamais vous le lisez en diagonal vous risquez de ne pas comprendre. Elles apportent un peu de légèreté à un texte qui en manque peut-être.
Entrez dans la demeure du luxe brésilien façon Belle-époque.
D'abord une précision. Je parle des pauvres car les Siriono le sont, aussi bien financièrement que culturellement. Je n'utilise pas ce mot comme une insulte mais parce qu'il désigne une réalité précise, que je connais bien. Je ne l'utilise pas pour son côté affectif, ce ne sont pas mes pauvres Siriono. Ils sont pauvres et vivent d'une manière qui ne leur permet pas de changer cet état de fait. Je ne suis pas riche, ni en France ni ici, mais j'ai plus d'argent qu'eux. Je peux retirer à la banque plus d'un mois de salaire en une fois et cela provoque évidemment une différence de statut entre nous. Je suis vu comme riche, parce que je n'agis pas comme un pauvre. En France, je ne suis et je n'étais pas pauvre, mais j'ai été éduqué de façon à ne pas l'être, ne dilapidant pas mon argent en soda ou en grignotage à toute heure de la journée, renonçant à un achat plutôt que craquant à toute heure, ne buvant pas tout mon solde, ne possédant pas le dernier cri, ne cherchant pas à investir pour gagner au dépend de mes amis. Bref, je n'agis pas comme les gens ici.
Et c'est pas de pot, puisque c'est un vase chinois.
Je ne leur prête pas à tous les critiques que j'ai faites ici, mais la plupart vivent au jour le jour, dans l'attente d'une manne magique qui leur donnera de quoi survivre. Le problème c'est que ce fut le cas avec tous les gens qui ont cherché à les intégrer à la société bolivienne. Et même le gouvernement qui cherche à les doter de plus d'autonomie se trouve face au problème de la dépendance et de l'attente d'une aide spontanée venant des riches. Ils n'acceptent pas l'idée d'impôt, les riches ont seulement le devoir moral d'offrir aux pauvres. Et les pauvres de leur réclamer. Ils se placent donc dans des positions de dépendance et de misérabilisme en permanence. 
Levons le regard pour regarder d'où vient cette chaude lumière dorée.
Et quand enfin l'argent rentre, ils l'utilisent pour des dépenses non pérennes, ce qui est, je crois, lié à leur environnement immédiat dans lequel les maisons en feuilles de palme ne durent pas plus de huit ans et a à voir avec la courte durée de vie des gens. Ils ne laissent rien à leurs enfants et profitent sans crainte du futur, car il y aura toujours moyen de se débrouiller. Il en résulte de nombreux projets de développement économiques qui se cassent la figure, des travaux urbains qui tardent (car il faut aller pleurer auprès des riches) et un laisser faire général qui ne permet pas à la situation de changer.
Ce qui n'est pas commode.
Mais je ne suis ni sociologue ni psychologue en pathologies collectives, aussi je vais ramener ce thème vers moi et en quoi tout cela m'affecte dans ma vie quotidienne. J'ai déjà parlé du système de parrainage dans lequel ils essayent régulièrement de m'inclure (souvenez-vous, une histoire d'anneaux) et j'avais tenté quelques analyses en 2011 sur leurs consommations qui sont pour la plupart encore d'actualité. Je connais les Siriono depuis maintenant trois ans, j'ai vu beaucoup de choses, je connais leur société, je peux même parfois me permettre de donner mon avis, mais la plupart du temps je subis leurs mauvaises habitudes sans pouvoir m'y faire. 
Parfois quand même, je lève les yeux au ciel.
Je paye à mes hôtes une pension tout à fait correcte,dans le but de ne pas transformer leur économie par ma présence. Je déjeune et dîne de pain et thé, un thé que j'ai acheté moi, et qu'ils n'aiment pas. Pour un boliviano on peut avoir deux pains. En arrondissant large, disons donc 10 bolivianos pour les deux. Une assiette dans la rue coûte entre 10 et 12 bolivianos, davantage s'il y a des choses plus élaborées, ce qui n'est pas souvent le cas au village. Disons donc généreusement 25 bolivianos par jour x 30 jours 750 bolivianos. Je paye 1000, comptant en plus le fait qu'elle lave mon linge. Mais à côté de ça, les toilettes sont constitués d'un socle de bois au dessus d'un trou grouillants de vers, je vais chercher de l'eau avec une brouette un jour sur deux pour me doucher avec une calebasse entre quatre planches, je balaye ma maison un jour sur trois. 
Ce qui me prend à peut près une minute, alors que cette baraque doit être une horreur à entretenir.
 Le confort de ma chambre est minimal. Le sol est de terre battue, les murs de planches disjointes. Ils me prêtent un lit au matelas très fin et aux lattes très dures, une table et deux chaises en plastique. J'ai construis une étagère et un banc, qu'ils m'ont échangés contre un autre plus grand, ce qui me va bien. J'ai acheté un ventilateur en plus, qui restera à mes hôtes ainsi que ma maison et tout ce que j'ai construis.
Mes meubles ne sont pas aussi beaux que celui-ci.
Je m'entends plus ou moins bien avec mes hôtes selon leurs difficultés financières, mais dès qu'ils ont des problèmes, ils se tournent immédiatement vers moi, cherchant à en profiter à chaque fois. J'ai acheté des planches récemment pour fabriquer une table de ping-pong et il a fallu aller les chercher dans la jungle. Au retour, je demande à la femme de mon hôte combien a demandé le bus pour le transport des planches et elle me répond 25 euros. Quand je demande à mon hôte ensuite il me répond 8 euros. Elle a encore cherché à profiter d'un échange financier. Alors le soir, quand ils m'ont réclamés de payer la pension pour mon collègue de boulot qui mange avec nous à tous les repas, je lui ai dis qu'il me semblait que ce que je lui payais suffisait pour payer pour lui aussi. Il s'est énervé et a fais la gueule pendant deux jours.
Je ne me lasse pas des lustres, ils ont tous un petit quelque chose, non ?
J'en ai parlé à mon collègue de boulot qui m'a dis de plutôt l'augmenter lui et qu'il se chargerait de voir avec mon hôte, qui est son frère, d'autant que l'année dernière il lui a réclamé de l'argent après mon départ, alors que j'avais payé pour sa pension. Je lui ai donné 500 bolivianos et il est allé discuter avec son frère, qui lui a réclamé d'emblée 1000 bolivianos. Pour donner une idée de l'ordre de grandeur, un instit va gagner 1400 bolivianos par mois, c'est donc une somme énorme qu'il lui réclame. Ils se sont donc engueulés et mon collègue est partis se bourrer la gueule au village d'à côté, vendant son téléphone portable pour acheter de la bière.
Il n'a d'ailleurs aucun meuble, ayant tout échangé pour de la bière.
C'est une anecdote, mais elle représente assez bien la situation courante. Dès que je sors de chez moi, je suis sensé inviter à boire, payer pour une bouteille de Coca ou davantage. Quand on va en ville, ils s'attendent à ce que je les invite et quand je suggère qu'ils invitent pour la boisson puisque j'ai payé pour le repas, ils rigolent et trouvent ça complétement absurde. Dès que j'en croise un qui me connait un peu, même si je ne connais pas son nom, il va me demander de lui prêter de l'argent qu'il me rendra aux calendes grecques. 
Et passent les lustres comme les années.
Mais la pauvreté n'est pas que financière, elle est également culturelle. J'ai découvert deux nouvelles sociétés en allant en Bolivie, la société bolivienne et la société siriono. La première est un mélange de chrétienté et d'influences américaines avec un très faible niveau d'éducation et peu de flux de populations. La seconde, la culture propre du peuple indigène, et bien elle a beaucoup souffert et elle ne s'exprime plus au présent. Il n'y a que très peu de différences aujourd'hui entre leur village et le village non-indigène d'à côté. Ils sont peut-être encore plus pauvres culturellement, n'ayant pas de musique en propre et se contentant des standards de la région, n'ayant pas de production artistique ni artisanale. 
Avec tout le bois qu'il y autour de chez moi, je n'ai jamais vu un seul parquet, dommage.
Les discussions avec les jeunes du village tournent donc rapidement dans le vide et les vieux me rabâchent des histoires que je commence à bien connaître. Je passe de plus en plus mes soirées dans ma chambre, n'ayant que peu d'échanges stimulants ou enrichissants. Certaines fois, je découvre de nouvelles pratiques traditionnelles ou des tabous anciens qui me rappelle pourquoi je suis là, mais ce que peuvent me raconter mes hôtes se ramène à peu de choses et les histoires que je peux raconter ne les intéressent pas. Ils ne cherchent pas à découvrir ma culture, ni ce que j'ai pu découvrir pendant mes voyages. 
J'ai parfois l'impression d'être dans une salle d'attente entre deux portes.
Si la spartialité de mon habitat et la pauvreté de mon alimentation sont difficiles à supporter, la faiblesse des échanges humains me pèse davantage. Je peux m'arranger, construire un banc supplémentaire ou acheter une lampe de chevet pour ma chambre. Je ramène de la ville des noix du brésil, des fruits et des légumes. Et pour les échanges humains, j'ai internet, mais ce n'est pas la même chose. La vacuité de mon quotidien me pèse lourdement et reste pour moi une difficulté du travail de terrain bien pire que les risques sanitaires et les discussions financières interminables.  
Comme quoi, le contact avec les indigènes sud-américains reste encore aujourd'hui un défi.

4 commentaires:

  1. Dur, mais très intéressant comme article. Leur rapport à l'argent est curieux, mais c'est souvent le problème avec les peuples indigènes à qui l'on a détruit les habitudes de vie.
    Je crois que tu avais dit que le village était dirigé par un chef, peut-être n'a t-il pas lui aussi de vision de "développement" du village. Développement dans le sens travaillé des projets communs, construction plus solide, animations du village etc...

    Bon courage à toi pour la suite.

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  2. Le propos est passionnant et la mise en forme géniale. Je vais m'empresser de le conseiller à tous mes amis. Pas tellement parce que c'est mon fils, mais davantage en raison de la quantité et de la qualité des réflexions qui sont en jeu (et en jeux, et en je).
    Philippe

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  3. Difficile de ne pas pouvoir te donner de recette... juste te dire qu'il ne reste plus qu'un mois cette année..; as tu essayé de leur proposer des jeux à construire avec les moyens de leur bord, genre morpion, awalé, dames, ou autre solitaire....
    j'adore le parallèle village/maison du gouverneur....

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  4. Merci pour vos commentaires rapides et encourageants ! J'avais l'impression que le niveau du blog n'était pas au top cette année, vous me motivez à écrire un autre message prochainement, avec un peu plus de réflexions et de commentaires sur ma vie ici.

    Pierto, tu parles du dirigeant, et c'est le même depuis trois ans, et il ne fait rien. Il n'a pas de vision de développement ou d'animation, il se contente de recevoir les financements et de les dilapider en bières. Il y a une très forte corruption.

    Pour les jeux, comme je le disais, je tente de construire une table de ping-pong, mais j'attends encore les pieds. J'ai appris en ville à jouer à la loba, la variante locale du rami, mais personne au village ne sait jouer et ils considèrent tous que les cartes c'est pour faire des jeux d'argents ou quelque chose que font ceux qui boivent (même si eux ne le font pas quand ils vont boire). Du coup, j'ai laissé tomber, je n'ai pas tenté de leur apprendre la loba, ou le cacho, le jeu de dés bolivien que m'avait appris une norvégienne il y a deux ans.

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