Pitch

Fragments de voyages en Bolivie par un apprenti linguiste étudiant la langue des Siriono.

mardi 5 août 2014

Réalisations

Je rédige cet article depuis plusieurs jours afin de vous proposer une belle conclusion pour le temps passé en Bolivie en 2014. En effet, j'ai quitté le village d'Ibiato hier et je quitte la Bolivie dans quelques heures, pour n'y revenir que l'année prochaine. Au long de ces trois mois, vous avez pu lire pas mal de mots négatifs, de critiques et de questionnements sur ce projet, mais malgré ça, j'ai bien avancé et j'ai réalisé pas mal de choses, c'est ce dont je vais vous parler aujourd'hui, avec des photos d'une incohérence de teinte encore jamais vue.
Je quitte le village, après un jour de pêche où j'ai levé trois yeyu.
J'ai bien avancé dans l'étude de la grammaire de la langue, ce qui est la raison principale de ma présence en Bolivie. Pour cela, j'ai révisé mes analyses de l'an dernier et en ai fais de nouvelles, presque uniquement avec Hugo. Je n'ai que tardivement trouvé d'autres personnes motivées pour m'aider et maintenant que j'ai habitué quelqu'un à ma façon de fonctionner, il est difficile de changer. D'autant que mon collègue et ami Hugo a arrêté d'aller se saouler à chaque fin de semaine (malgré quelques tristes rechutes). Il s'implique bien plus dans l'étude et s'est convaincu progressivement de l'utilité de tout ça et du fait qu'il se forme grâce à moi, qu'il apprend énormément. Il s'est même remis à composer des chansons dans la langue. En calculant pour lui rédiger une note, j'ai compté 550 heures de travail depuis deux ans. 
De droite à gauche : Fernando, Hugo, Ezequiel et son fils Hudson Daniel, Bella, Feliz et vôtre serviteur.
Je n'ai pas enregistré énormément de nouvelles vidéos. D'abord parce que je répondais aux invitations et que je n'en ai presque pas reçu, et également parce que j'ai atteins le quota pour ma bourse. Les enregistrements sont des moments de socialisation de mon projet, mais ils sont néanmoins assez pénible, car j'ai à lire un accord de participation de deux pages puis à écouter leur enregistrement en double, leur montrant le résultat après l'enregistrement. Et bien sûr, je termine par les discussions financières. Bref, du coup, j'ai laissé ça de côté en essayant de ne vexer personnes, mais comme ils ne me sollicitaient pas, ça a bien fonctionné. Au final, j'ai un peu moins de 24 heures de vidéo, ce qui est néanmoins pas mal du tout.
Les écoliers sirionos dansent pour la fête du village.
J'ai vécu dans ma maison construite l'année dernière et pour laquelle je n'ai pas eut à faire beaucoup de travaux. J'ai construit un nouveau banc pour laisser dehors, afin d'accueillir les passants. Des deux cocotiers plantés l'année dernière, l'un a pourri et l'autre n'en finit plus de sécher. J'ai donc abandonné les plantations, sachant que mes hôtes ne s'en occuperaient pas. J'ai découvert quelques nouvelles spécialités culinaires locales et appris à faire des cuñapés, à mon plus grand bonheur parce que j'adore ça ! J'ai pour ma part tenté quelques expériences avec les denrées disponibles. J'ai ainsi cuisiné des aubergines frites qui n'ont guère convaincu mes hôtes, des navets caramélisés qui ont emballé la famille du pasteur et leur ont rappelé la racine de palmier locale qu'ils ne m'ont jamais fait goûter. Je ne suis pas peu fier d'avoir préparé la première pizza d'Ibiato, une belle galette au feu de bois qui a convaincu toute la famille ! Et pour mon départ, j'ai dégotté des noix pour mettre en miette dans le gâteau, ce qui a bien plu à tout le monde.
Les cuñapés qui cuisent dans le four en terre.
Mon grand projet de l'année, qui m'aura pris des mois mais que j'aurai terminé bien mieux que prévu c'était la construction d'une table de ping-pong ! Là encore, la première du village, alors que très peu connaissaient ce sport qui a bercé ma jeunesse. C'est d'ailleurs en pensant à cette période, et au garage de mon voisin clastrois que j'ai assemblé un pot pourri de musique française. J'ai parlé dans un précédent message de la quête pour obtenir les planches, qui a tardé terriblement mais qui a fini par aboutir, avec 10 planches d'ocho'o (iratei en siriono, hura crepitans). J'en ai alors fait couper cinq à 2,75m puis et fait fendre deux autres planches pour faire le support et y placer les pieds. Ceux-ci ont été débité dans un tronc de palo maria (kosoi, calophyllum brasilensis), plus solide, de hauteur réglementaire. J'ai ensuite cloué les demi-planches avec les pieds pour faire la structure et ai retourné l'ensemble pour y clouer les cinq planches. 
Comme dirait Desproges : Alors ça ici et ça là. Ah oui. Et ça, et bien ça là. Oui, voilà.
L'ensemble avait déjà une fière allure mais les planches allaient sécher et la table se déformer, j'avais donc un problème à résoudre. Sans ponceuse électrique à portée de main, j'ai opté pour l'achat d'une plaque de contreplaqué en ville, pour laquelle j'ai dû payer un trajet en taxi express. L'immense plaque a été recoupée au bon format et clouée sur les planches afin de former une étendue plus ou moins horizontale. Rapidement le contreplaqué s'est mis à gonfler de toute part et j'ai dû ajouter des clous jusqu'à former des constellations de clous. Le rebond de la balle n'est pas excellent, mais largement correct et la table a pas mal de gueule. 
La voilà alors que les voisins la découvrent, et au premier plan, des enfants qui jouent aux billes.
J'ai facilement motivé les enfants de la maison, moins les adultes. Un jeune de mon âge s'est pris au jeu et est passé plusieurs fois jouer depuis. J'ai formellement interdit à mon hôte de faire payer les gens pour jouer, même si je suis presque sûr que le fera après mon départ. J'ai réussis à enseigner les règles du jeu et on se marre bien autour de la table, même si le niveau n'est pas encore très bon. C'est une nouvelle activité collective pour le village et elle est bien acceptée. Les gens trouvent ça d'abord étrange puis très rigolos quand ils assistent à une partie, même si peu se lancent. Et en dehors des temps de jeu, la table trouve d'autres usages.
Une réunion du village, autour de la grande table.
Mais revenons à mon travail, car je n'ai abordé que deux aspects sur les quatre ! La troisième avancée est bien sûr le dictionnaire de la langue, augmentant progressivement le nombre d'entrée, jusqu'à atteindre 1400 entrées, dont 250 pour lesquelles j'ai indiqué le domaine sémantique et une centaine pour lesquels le nom scientifique vient accompagner les traductions espagnoles, françaises et anglaises. J'ai de nombreux verbes mais c'est surtout avec les animaux que j'ai progressé. Je me suis servis de photos de bouquins pour être sûr des traductions en espagnol local et ajouter les noms scientifiques. J'ai commencé par les mammifères à partir d'un rapport d'étude fait dans la région, j'ai continué avec les poisons grâce au musée ichtyologique de Trinidad puis j'ai dégotté à la bibliothèque de l'université de Trinidad un excellent livre d'oiseau. Un autre document que j'avais trouvé il y a deux ans m'a aidé pour les fruits locaux et finalement nous sommes allé au musée botanique avec Hugo pour feuilleter des livres de photos. 
Un extrait de ma base de donnée avec quelques animaux exotiques dont plusieurs singes.
J'accumulais ces connaissances sans que personne ne s'en rende compte et j'ai voulu rendre un peu plus visible mon avancée, et plus utile mon travail. Pour cela j'ai commencé à faire des livrets avec des dessins, les noms dans les deux langues et des petites phrases d'illustrations. J'ai ainsi produit, grâce à l'aide d'Hugo et les commentaires de quelques personnes : un livret avec une quarantaine de mammifères, un autre avec une trentaine de poissons, celui des oiseaux est en cours et dépasse déjà les trente volatiles et j'ai de quoi en faire un autre avec les insectes et les rempants mais je n'ai pas encore réussis à trouver la base scientifique. Je pense à un travail similaire sur les arbres, mais je n'ai pas de dessins ou de photos utilisables sous la main. J'ai en revanche produit une planche avec les fruits sauvages et l'époque où on peut les ramasser, me basant sur une étude déjà produite et sur mon collaborateur de travail. J'ai dû apprendre un peu à utiliser InDesign pour arriver au résultat que je voulais.
Une tortue qui n'est pour l'instant dans aucun livret.

 Pour tout cela, il manque encore une étape de révision, de relecture et correction, mais c'est bien avancé. Je ne pense pas éditer ces livrets dans le cadre de mon projet, bien que je prévois d'en parler à la fondation qui me finance, pour au moins imprimer une centaine d'exemplaires de chacun. Je pense voir avec les structures boliviennes, notamment le ministère de l'éducation. En attendant, car ça tardera sans doute des années, je prévois de les diffuser via une plateforme sur les langues indigènes qui se prépare, gérée par l'APCOB, une ONG bolivienne. J'ai discuté aujourd'hui avec la responsable qui m'a proposé de me charger la partie Siriono, ce qui m'intéresse bien, puisque le but de tout ça c'est l'apprentissage par les enfants mais surtout la diffusion la plus large possible. Pour l'heure, j'ai pu emprunter le vidéo-projecteur d'Emy pour projeter sur mon mur les animaux durant la fête du village, pour que l'inconscient des ivrognes imprime au moins quelque chose de leur soirée.
J'ai aussi projeté deux documentaires sur mon mur.
Je terminerai en disant quelques mots sur les relations humaines, car c'est aussi quelque chose qui a progressé pendant ce terrain. J'ai enfin réussis à être plus proche des enfants de la famille, ce qui m'était très difficile au début car je ne comprenais pas leur façon de parler. J'ai réussis à plaisanter avec eux à plusieurs reprises, notamment sur le fait que j'allais m'acheter un avion pour aller en ville plus facilement. Finalement, j'ai bel et bien acheté un avion qui vol dans leur chambre, lançant vers le plafond un rayon lumineux de plastique. J'ai aussi continué mes relations amicales avec mes voisins Ariel et Emy, le pasteur Ezequiel et sa femme Bella, Benjamin le footballeur, Angy la vendeuse de Trinidad et j'ai rencontré de nouvelles personnes très intéressantes, surtout à Santa Cruz. Plusieurs discussions intéressantes, des moments sympathiques et une aide pour traverser ces trois mois et demi qui se terminent et m'ont parus finalement plutôt courts.
A gauche la maison dans laquelle j'ai vécu ces trois mois, à droite celle où j'allais manger.
Je vous laisse sur ces derniers mots et vous dis à l'année prochaine ou peut-être avant, si je trouve d'autres choses à vous raconter en rapport avec ce projet en Bolivie.

2 commentaires:

  1. Ha ben c'est un grand grand plaisir ce message.... Bravo tu pars regonflé à bloc, et avec un gros sac de richesse pas trop lourdes (physiquement)
    Bien et Bon et Beau voyage à très bientôt...

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  2. C'est cool de finir sur une note positive YES ! Bravo pour tout cela, j'espère que nous nous croiserons une fois que tu seras de retour en Europe

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