Pitch

Fragments de voyages en Bolivie par un apprenti linguiste étudiant la langue des Siriono.

dimanche 27 juillet 2014

Éducation et écologie

Jusque là, j'ai peu abordé le thème des enfants, car je ne suis pas confronté moi-même aux problématiques de l'éducation et que je ne me sens pas très à l'aise pour critiquer. Je peux néanmoins faire quelques observations sur le fonctionnement dans les familles qui m'environnent dans le village. Et pour une fois, des photos avec des gens dessus !

Passe ! Passe ! Meuuuuh
Les Siriono considèrent les enfants comme appartenant à toute la famille large et un gamin aura souvent plusieurs parents différents, parfois pour de longues périodes quand les parents partent travailler loin du village. Les enfants sont laissés à eux mêmes très jeunes et leurs parents leurs parlent très tôt comme ils parlent entre eux, attendant d'un enfant de trois ans des réponses, même si les sons ne sont pas encore tout à fait en place. C'est plutôt positif, mais il faut que vous imaginiez que les adultes sont peu différents des enfants, leur humour est le même et leur niveau de langage très similaire. Il n'y a pas de gravité, de façade ou de statut adulte dans le dialogue.
Mes parents ne regardent pas, et si je faisais une connerie !
Les Siriono ne sont pas polis. Ils ne demandent pas "s'il te plais", ne s'excusent pas quand ils bousculent quelqu'un, ne remercie que lorsqu'ils sortent de table, de façon très ritualisée. Un gamin viendra réclamer à son père un boliviano pour aller s'acheter une sucrerie en lui demandant "donne moi un boliviano", un ordre direct, sans ambages ni politesse. Je n'ai quasiment jamais vu un adulte refuser, en voyant le mioche chialer de lui donner une pièce. Une fois seulement, mon voisin Ariel a répondu à son gamin "mais si tu veux un bolivano regarde, lui il est boliviano, lui aussi, il y en a plein ici !" mais quelques minutes plus tard, il lui a donné. Ils n'apprennent pas la patience mais seulement la supplication et l'abaissement docile.
— Donne du gâteau ! demande-t-il à mon hôte.
En contrepartie, les enfants, dès 7-8 ans sont des esclaves pour les parents. Que ce soit pour mettre la table quand les parents préparent le repas, ça me semble normal, ils participent, mais une fois à table, le père ne se lèvera jamais, envoyant son gamin lui chercher un verre d'eau ou s'occuper de leur vente. C'est à eux d'aller chercher l'eau avec la brouette, le père ne le fera jamais non plus, alors qu'il ne travaille pas par ailleurs. Le gouvernement bolivien a acté cet état de fait social en promulguant récemment une loi-cadre sur le travail des enfants, ce qui ne va pas améliorer grandement la situation, sinon pour ceux qui travaillent dans les mines et ils sont nombreux. 
— Et si je jouais avec des trucs abandonnés (au premier plan, une poule, Bandito et Muñeco, les deux chiens de la maison)
L'enfance n'est pas vu comme une période d'apprentissage des savoirs, précédant la période d'acquisition des savoirs-faire. Ils mêlent les deux et ne prêtent finalement qu'une attention très maigre aux connaissances. Les parents n'enseignent rien à leurs enfants, et ce n'est qu'exceptionnellement que j'ai vu un gamin assis avec un cahier devant lui. Aucun livres dans les maisons et très peu de sollicitations pour savoir ce qu'ils ont appris à l'école. Quand les parents descendent en ville pour la journée, ils peuvent enlever leur gamin de l'école sans qu'il ne se passe rien. Il perd un jour de classe mais ce n'est pas un problème du tout. Des cents enfants actuellement à l'école, j'estime à une douzaine ceux qui sortiront avec le bac. Et à 1% le nombre d'enfant qui poursuivront leurs études plus d'un an ensuite.
— Qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui ? 
La maîtrise de la langue est très faible. Ils parlent un espagnol très altéré ici et je ne m'attends pas à ce que les enfants utilisent "vosotros", c'est devenu désuet en Amérique du Sud, mais je suis plus peiné quand ils ne comprennent pas car je prononce les s à la fin des verbes, indiquant la deuxième personne alors qu'ils ne le font pas. Je veux dire par là qu'ils n'ont pas acquis l'espagnol standard en plus de leur forme dialectale, alors que c'est un des éléments fondamentaux de l'éducation. Leur orthographe est terrible, leur vocabulaire réduit et ils ne maîtrisent pas les registres de langue, ayant les plus grandes difficultés à s'intégrer dans un autre milieu social que le leur. J'ai eu l'occasion de chatter par écrit avec une ou deux personnes et j'ai eut toutes les peines du monde à les comprendre. L'écriture sms utilisée par la jeunesse occidentale, c'est tout autre autre chose, car les enfants le font consciemment et maîtrisent deux jeux de caractères, deux alphabets. Ici ils n'en connaissent qu'un et très mal.
Une maison qui porte sa croix.
L'école est en train de changer pour devenir productiviste, pour intégrer les savoir-faire traditionnel dans son cursus, ainsi que la cosmovision des peuples boliviens. C'est que pour l'instant, l'enseignement est très colonial, leur parlant de la découverte des Amériques sans esprit critique (alors que le président fait des déclarations publiques fracassantes). En plus des lacunes terribles en histoire et géographie (pas un ne savait que la capital du Brésil, pays voisin, est Brasília), je sais qu'ils n'apprennent presque rien en biologie, physique, chimie, économie, sociologie. Et ça, je ne vois pas comment les enseignants vont pouvoir le changer avec le poids de l'église évangéliste dans le village (j'en ai parlé en mai). Comment parler de mouvement des plaques tectoniques qui formèrent les continents quand le monde a été fondé en sept jours ? Comment expliquer l'évolution alors que tous les animaux ont été modelés par Dieu ? Comment parler de flux économiques quand Dieu préside à toutes les décisions ? 
Sur le chemin de la vie, un sachet d'eau abandonné.
Ce qui me dérange le plus, ce n'est pas tant leur mauvaise éducation que les conséquences écologiques qu'elles vont avoir. En ne se préoccupant pas des conséquences ils se détruisent physiquement et ils ruinent leur environnement, la nature autour d'eux. Quand ils jettent un morceau de plastique qui mettra des siècles à disparaître en détruisant tout autour de lui, le problème est bien plus large. Ces êtres humains qui vivaient en harmonie avec la nature sont en train de la détruire à cause des nouveaux produits auxquels ils ont accès et qu'ils ne savent pas gérer, à cause aussi de l'agriculture intensive qu'ils laissent entrer sur leurs terres à cause de la corruption politique (je parlerai de ce thème une autre fois). Bien sûr, cet aspect là n'est pas la conséquence d'un manque d'éducation à la base mais c'est seulement par l'apprentissage et la prise de conscience que ça ne résolvera, ce qui passe donc par l'éducation.
Les poubelles poussent au milieu des trèfles
Je me sens complétement impuissant face à tout ça, car il y aurait tout à changer et que je ne peux pas prétendre donner l'exemple sans m'occuper de mioches directement, ce que je n'ai absolument pas envie de faire. J'ai tenté d'enseigner quelques notions de géographie aux enfants, mais je n'ai pas su capter leur attention très longtemps, alors que je trouve Google Earth complétement fascinant. J'ai évoqué plusieurs fois le fait qu'ils contaminent leurs sols et se détruisent la santé en jetant les emballages plastiques au vent, mais sans succès. J'ai déjà parlé dans le dernier message de mon sentiment d'impuissance et d'inutilité, et il est très fort concernant l'éducation, même si je me trouve des excuses plus facilement. Finalement, je m'en tire avec une pirouette et un peu d'humour.
Nature morte ?

4 commentaires:

  1. Décidément ça n'a pas l'air facile, tout semble un peu désespérant. Mais comme toujours tes articles sont très intéressants à lire, c'est déjà ça !

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  2. Merci ! C'est vrai que ça fait trois messages pas très gais, mais je préférais publier celui-ci aujourd'hui et garder le positif pour le prochain message qui portera sur mes réalisations (dont je t'ai déjà parlé mais chut, c'est encore un secret pour les milliers de lecteurs aux aguets).

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  3. super de voir la vie autour de toi (et oui c'est du vivant!) et la nature n'est pas encore morte...
    ces choix leur appartiennent (enfin pas tout à fait, je crois que ce qui te pèse le plus, et je te comprends, c'est le poids de l'église qui les maintient dans cet infantilisme...
    je suppose qu'en France aussi il y a des minorités dont l'avenir semble bien compromis et qui font tomber les cheveux des instits..impuissance, impuissance... accepter c'est tout...

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  4. et les gens (photo 3) ils sont installés avec les cochons?

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