Pitch

Fragments de voyages en Bolivie par un apprenti linguiste étudiant la langue des Siriono.

mardi 14 juin 2011

Présentation de mon mémoire

Je vous en ai un peu parlé ici et , j'ai écris un mémoire pendant cette année de Master 1. Je vais le présenter vendredi à mes directrices de recherche ainsi qu'à quelques collègues et je me suis dit qu'il serait peut-être intéressant de vous le présenter également. Oui, je fais d'une pierre deux coups, j'adore. Sauf que ça me simplifie pas tant le travail car je ne vous expose pas du tout les choses de la même façon !

Commençons par préciser dans quel cadre j'ai fais ce travail. Le parcours universitaire commence par trois ans de formations théoriques, la Licence. En Sciences du langage, comme en médecine dans une certaine mesure, on reprend ce qui a été expliqué avant et on montre que c'était hyper-simplifié et qu'en fait, ça fonctionne pas du tout comme ça. On en profite pour voir les différentes spécialités, qui sont nombreuses dans ce domaine. J'ai pour ma part choisis comme spécialité pour la suite "Description et Typologie des Langues". La suite c'est le Master (deux ans) puis le Doctorat (trois ans). L'objectif du doctorat que je vise est de décrire une langue d'un bout à l'autre, en réalisant une grammaire de celle-ci. Le problème c'est que trois ans, c'est trop court pour pouvoir faire ce travail, donc il est plus sage de commencer dès le Master.

Je commence donc un projet au long cours sur la langue sirionó, parlée en Bolivie. J'ai déjà expliqué ici pourquoi je fais ça et pourquoi cette langue là. Le problème, c'est qu'il est difficile de l'étudier depuis la France, et c'est pour ça que j'y vais. Mais j'ai un devoir à rendre avant d'y aller, et je ne peux donc pas le faire sur cette langue. Certains le font, en partant au printemps et en rédigeant une petite présentation sociolinguistique de l'ethnie et de la langue, en discutant de ses usages. Ce que je n'ai pas fait, et tant mieux car je ne suis pas très fan de cette approche très sociologique. Ce que j'ai fais correspond en fait au terme Typologie de ma formation.

Il s'est trouvé l'année dernière qu'un chercheur a proposé à plusieurs personnes d'écrire un recueil d'articles sur les langues d'Amazonie. Ma directrice de recherche a proposé deux sujets, l'un a été selectionné et l'autre m'a été refilé. Je n'ai donc pas foncièrement choisi mon sujet, mais ce n'est jamais complétement le cas à l'université. Elle m'a donc proposé de travailler sur la question du nombre dans les langues tupi-guarani. Précisons que le sirionó que j'étudierais ensuite fait partie de cette famille de langue. C'est donc une première plongée dans les langues proches afin de voir quels phénomènes existent et à quoi ça ressemble en vrai une grammaire. C'est un peu comme lire des choses sur la cuisine asiatique en général avant de s'intéresser à celle d'un tout petit coin reculé de la Chine.

La première chose que j'ai fais, c'est de lire un livre sur le nombre, parce que je voyais pas très très bien ce que ça recouvrait. Pour faire simple, c'est le pluriel, avec toutes les nuances qui sont autour. C'est à dire que nous on a une opposition entre singulier et pluriel, assez simple. Dans certaines langues c'est beaucoup plus compliqué, comme je commençais à expliquer dans un article précédent. Après ça, j'ai pris une dizaine de grammaires pour chercher les pages qui m'intéressaient. C'était pas évident d'abord parce que la plupart étaient en espagnol ou en portugais. Puis parce qu'elles expliquent toutes des choses différentes.

En fait oui, ce qui a motivé cette étude c'est le constat que chaque langue fonctionne différemment pour le pluriel. Il semble difficile de trouver un fonctionnement commun, mais c'est par contre possible de baliser le chemin pour mieux décrire les fonctionnements, c'était ma mission. Très vite je me suis aperçu que le pluriel ne se construisait pas que sur les noms. Les verbes aussi peuvent être au pluriel. C'est un peu bizarre mais il faut considérer que le pluriel sur les noms indique qu'il y a plusieurs agents (personnes qui agissent) tandis que le pluriel sur les verbes indique qu'il y a plusieurs actions ! Et c'est même plus fin que ça dans les langues tupi-guarani que j'ai étudié !

Le procédé pour indiquer une pluralité d'actions est la réduplication. Il s'agit de la reproduction à l'identique d'une ou plusieurs syllabes dans un mot. Des fois au début, des fois à la fin, ça varie d'une langue à l'autre. Ce qui est intéressant en revanche c'est que (souvent) si une syllabe est répété c'est que l'action se répète au moment ou elle se produit. Si c'est deux syllabes par contre, c'est qu'elle se répète à différents moments. Je vous illustre ça par un bel exemple tiré de la thèse de ma directrice de recherche !

K lave les assiettes : l'action se répète puisque K lave plusieurs assiettes.
Dès que l'ogre va faire un tour, L lave les assiettes : l'action se répète mais à des moments distincts.

On peut donc dire que l'action est répétée ou répétitive, ou encore qu'il y a un pluriel interne à l'évènement et un pluriel externe. J'espère que je ne vous ai pas trop perdus.

Quoi qu'il en soit, j'ai trouvé ce fonctionnement là super intéressant, bien plus complexe que les bidouilles avec les noms et assez original ! J'ai donc consacré un bon tiers à cette question, une bonne partie du reste au nom et quelques lignes à la fin sur d'autres possibilités pittoresques.

L'ensemble fait une quarantaine de pages avec les annexes (dont une carte pour repérer les langues dont je parle) et je vous l'ai mis quelque part si ça vous dit d'y jeter un coup d'œil !

J'espère avoir réussi à vous montrer l'intérêt de mon travail, mais je sais que ce n'est pas évident à comprendre lorsqu'on est extérieur à tout ça.

Quoi qu'il en soit, c'est un travail que je compte poursuivre, notamment dans mon étude du sirionó puisque ça existe, et même plus largement puisqu'il serait possible que je présente tout ça lors d'une conférence l'année prochaine à Vienne !

Comme d'habitude, n'hésitez pas à poser des questions, encore plus si vous vous risquez à la lecture ! Je peux expliquer sur demande n'importe quel mot un peu complexe utilisé !
Sur ce, je vais me délecter des devoirs en cours d'écriture de mes camarades en panique et je vous dit à bientôt !

2 commentaires:

  1. C'est certainement le seul blog que je lis avec si peu d'images et autant de texte, mais c'est diablement intéressant. (Et pourtant j'étais déjà au courant d'une grande partie du contenu de cet article).

    Conférencier à Vienne !! La classe !!

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  2. Merci à toi de nous faire partager cette fabuleuse expérience... On n'en veut encore. Bisous !

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