Pitch

Fragments de voyages en Bolivie par un apprenti linguiste étudiant la langue des Siriono.

mardi 20 août 2013

Construire une maison

Je ne vous en ai pas parlé avant car j'attendais que ce fut terminé, et maintenant ça y est, j'ai emménagé dans ma propre maison ! Souvenez-vous, j'habitais jusque là dans une chambre de la maison de Fernando Dicarere. La première année j'avais partagé la chambre avec les enfants, les deux dormants dans un lit, moi dans l'autre. Ce n'était pas très agréable ni pratique pour travailler, j'étais obligé d'aller à droite à gauche pour trouver un coin tranquille où bosser. L'année dernière, ils avaient déplacé le lit des enfants à côté du leur et j'avais donc la chambre pour moi tout seul, avec la possibilité d'y faire venir les gens pour travailler. Beaucoup de bruit autour mais néanmoins un espace plus agréable et plus chaleureux. Ça, pour la chaleur, il y en avait pas mal ! Le plafond de cette chambre est très bas, de plaques d'aluminium bouillantes. Les murs étaient de terre à peine tassée entre des tiges de bambous, s'effondrant en de nombreux endroits, rendant la pièce poussiéreuse et les murs inexistants par endroits. Le sol était de ciment pour une partie, de terre pour le reste, là aussi assez sale.
Hey non, ce n'est pas le chantier de ma maison, j'ai préféré quelque chose de plus traditionnel !
Cette année, je me suis installé de nouveau dans cette chambre, avec néanmoins toujours l'idée d'en changer un jour, ce que je n'ai finalement pu faire qu'à mon centième jour en Bolivie. En fait, Fernando, mon hôte, se débrouille avec des prêts bancaires et la vente de vivres et sodas au village. Il apprécie grandement le loyer que je leur paye, qui leur permet de continuer à magouiller sans vraiment travailler. Sa maison est vieille et il voulait en changer depuis longtemps, me parlant déjà de ça la première année où je suis venu. Je ne prévois pas de vivre en Bolivie et je ne voulais donc pas d'une maison à moi, cependant un endroit un peu plus agréable pour passer les mois qu'il me reste à vivre au village me paraissait une bonne idée. J'ai donc négocié avec Fernando pour que nous partagions les frais en deux, la moitié pour moi l'autre pour ses enfants.
Partage des poutres à la tronçonneuse.
La première étape fut de nettoyer un bout du lot de Fernando pour y installer la maison. Je me suis proposé à plusieurs reprises pour donner de la machette mais ils n'ont pas voulu me laisser faire et ont préféré payer un voisin pour qu'il le fasse. Le sol au centre de la zone était inondé, ce qui lui arrive chaque année, parce que tout ce coin est trop bas. On a donc dû attendre que ça sèche pour brûler les broussailles et dégager l'espace. Encore du temps d'attente ensuite avant que Fernando ne se procure les poutres pour débuter la construction. Ce n'est que début juillet qu'a finalement pu commencer le chantier.
La fine équipe, avec la femme du pasteur à droite, le pasteur puis deux voisins et une voisine de passage.
J'ai alors pu découvrir un drôle d'outil qui s'appelle la bouche-de-loup, ou bocalobo en espagnol, ce qui n'a rien à voir avec la queue-de-loup. Il s'agit de deux pelles reliées ensemble juste au dessus des lames, créant une sorte de mini-pelleteuse manuelle qu'il faut plonger dans le sol fortement pour arracher des bouchées de terre. Ils m'ont laissé faire le premier trou mais c'est épuisant alors je leur ai volontiers laissé faire les suivants. Les deux travailleurs étaient un voisin ainsi que le pasteur du village, à qui j'ai offert un t-shirt de l'équipe de foot de Lyon. Fernando s'occupait de les payer mais n'a que très rarement donné un coup de main, se contentant de regarder l'avancée du chantier. Ce qui ne me plaisait pas du tout. J'ai donc poursuivis le désherbage et le nettoyage des nombreux déchets qui envahissaient le terrain. Comme il n'y a pas de système de ramassage des poubelles, les déchets s'envolent et terminent dispersés un peu partout.
Les travailleurs s'activent, sauf Fernando, qui sert à boire et moi qui prend des photos, faute de pouvoir aider à cette étape.
Une fois les colonnes installées, il a été possible d'installer le toit, en ajustant des poutrelles puis en clouant des plaques d'aluminiums de 3m de long. C'est à ce moment là que Fernando a réalisé qu'il n'avait pas donné les bonnes dimensions pour la maison. Elle fait 8m de large par 5,50m alors qu'elle n'aurait dû faire que 5m de profondeur. Les deux chambres font donc 4m x 3m et le corridor extérieur est assez immense. En dépassant d'un demi mètre sur la prévision, ça obligeait à couvrir le toit avec deux plaques et demi au lieu de deux. Un mince désagrément mais des dépenses supplémentaires, d'autant que Fernando n'a pas voulu écouter mon calcul de surface et s'est retrouvé avec cinq plaques de trop. Ce qui lui a permis du coup d'agrandir sa maison d'une nouvelle pièce.
Le pasteur est en jaune cette fois, en train de clouer les plaques d'aluminium.
Tout cela a fait plus de frais que ce que j'avais prévu initialement, mais la plus grande partie pourra être couverte par la bourse qui me finance. Je vais voir comment je vais m'arranger au finale, mais normalement, j'ai atteins le bout de mes finances pour cette année, ayant déjà payé mon loyer pour le dernier mois. Mais je sens que mon hôte va encore me solliciter bien des fois ! La gestion de mes ressources est loin d'être évidente, et même si j'essaye de dépenser le moins possible, je réalise de temps en temps qu'en fait, j'ai une paye maintenant et donc potentiellement pas mal de sous que je peux utiliser pour améliorer mon quotidien.
Dimanche, les voisins se sont installés pour profiter du spectacle.
Le toit a été terminé le 14 juillet, ce qui est le jour de l'anniversaire de Fernando ! On a donc fait une veillée et une messe dans ce nouvelle espace, avec le pasteur qui aidait à construire et pas mal de litres de soda. C'était plutôt rigolo, à vrai dire, même si les chants religieux étaient à la limite du supplice et l'explication d'un passage de la Bible débordant de contradictions. Je préférais néanmoins ça à une soirée alcoolisée car ils ne s'arrêtent de boire qu'une fois qu'ils sont tous en larmes. Même pas de vin de messe, juste du soda, des assiettes de riz au poulet et une protection divine sur ma future maison.
Les gens réunis dans ma maison pour la messe du dimanche soir
L'étape supplémentaire était d'ajouter de la terre pour éviter que la maison ne se retrouve inondée pendant la moitié de l'année. Pour cela, Fernando a négocié avec un camion qui venait faire des travaux pour la commune en leur payant le petit déjeuner, ainsi que quelques billets. Moins que si j'avais négocié seul, évidemment. Il a pu obtenir ainsi deux camions de terre que nous avons déchargé avec le voisin. Fernando a dû décharger environ 10%, moi peut-être 25% et le voisin le reste. Le sol s'est surélevé de trente centimètres environ, et j'ai redécouvert plein de muscles que je n'avais pas utilisés depuis longtemps.
Le rêve de tout jardinier : des tonnes de terre sans une pierre !
J'ai dû partir ensuite à Sucre, laissant le chantier en cours. Fernando m'assura que la maison serait terminée à mon retour afin que j'y aménage pour la fête du village, le 2 août. Je n'y croyais pas trop et effectivement, à mon retour il y avait trois murs de plus, mais il manquait encore la façade et les portes. L'installation électrique avait été faite et des câbles pendaient là où seraient les murs.
Pas de photo de moi en train de travailler mais voici mes collègues en train de terminer.
La fête a retardé la suite des travaux et il manquait des planches. Finalement, une moitié de façade a pu être montée puis la seconde pendant que j'étais à Trinidad pour un congrès national passionnant, dont je vous parlerez peut-être plus tard. De retour au village, j'ai pu voir la maison presque terminée, enfin. Il me manquait plus qu'à fixer une porte et à déménager les meubles, et avanti !
Et une autre, sous un autre angle, montrant l'étang derrière la maison, avec les bananiers.
Cela a été fait enfin le 18 août, presque deux mois après le début des travaux. Ma chambre est encore envahie par le surplus de planches, dont certaines qui serviront à faire une paroi pour l'espace devant la maison, là où donne le soleil l'après midi. Les autres serviront à faire des étagères, des bancs, des tables et j'ai envie d'essayer de faire une chaise africaine. J'ai quand même pu installer mon hamac et passer la journée suivante à travailler, et c'était génial ! Enfin du calme, une température plus fraîche et une odeur de bois frais.
Installation de la façade, et vous pouvez voir la bouche-de-loup en diagonale au milieu !
Les enfants ont emménagé dans l'autre partie, Fernando et Gladys ont repris la chambre qu'ils me louaient pour y installer leur magasin et leur lit. Ils comptent maintenant tomber les murs pour les remplacer par des planches, puis éventuellement changer le toit. Ils ont pas mal d'espace intérieur maintenant et peuvent déménager le lit des enfants dans leur maison sans problème pour louer l'autre moitié de ma maison en cas de touristes de passage (une fois à l'année) ou si d'autres chercheurs venaient (je croise les doigts).
Le voisin s'est acheté une scie électrique, bien plus pratique que la tronçonneuse !
Il reste encore quelques petites choses à faire, comme d'ajouter un peu de terre le long des murs, des planches en haut pour terminer de fermer, mettre un rideau à la fenêtre et trouver un moyen de la fermer, construire un coin où je pourrais me doucher et il me faut récupérer une citerne d'eau. J'ai aussi l'intention de planter un cocotier en face de la maison, mais je dois attendre un peu, au cas où le camion revienne, car on ajouterait bien un autre chargement de terre derrière la maison pour gagner un peu d'espace entre les moustiques et la maison.
Et ça y est, la maison est finie, à moins que je décide de la peindre ou de la lazurer un petit coup.
Ensuite, j'aurai ma maison en Bolivie ! Peut-être la seule maison que je construirai de toute ma vie, vu ce que ça coûte en France. Je peux y écouter de la musique à fond, y inviter des amis (quand j'en aurais au village ou qui viendront jusque là me voir) et surtout être au calme. C'est une petite satisfaction quand même.
Ma chambre est la partie de droite, celle qui est profite de l'ombre de l'autre dans l'après midi.
C'est d'autant plus rassurant que je ne sais pas où je vais habiter à mon retour. Car si ma vie ici trouve petit à petit sa stabilité et si je suis un peu mieux intégré qu'à mes débuts, j'ai l'impression quand même d'avoir mis beaucoup de choses entre parenthèses pendant tout ce temps loin de mes proches. Et notamment avec ma compagne qui s'est lassée de m'attendre. Malgré ça, j'ai quand même réussis à écrire un petit texte avec de l'aventure. Et j'tiens presque régulièrement ce blog, non ? J'ai hâte de rentrer, mais je sais aussi que mon travail n'est pas fini et qu'il me faut profiter ce nouveau lieu de vie et d'étude !
Et une vue de l'intérieur, qui donne l'impression que c'est tout petit alors que c'est pourtant 12m² !
Je vous raconterai une prochaine fois mon intégration dans le village et les fêtes qui sont nombreuses ce mois-ci. Je vous souhaite d'améliorer votre environnement de vie vous aussi et vous transmets une invitation officielle pour venir quand vous voulez dans ma maison de Bolivie !

7 commentaires:

  1. Épatant tout cela. Une résidence en Bolivie, construite en grande partie soi-même c'est tout de même la grande classe !

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  2. Génial! Le jour où je trouve des sous pour me payer un billet, je viens illico!!

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  3. Yeah ça c'est de la maison !!

    Maison de campagne en bolivie, ça claque ;p

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  4. Je trouve ça génial... tu as désormais un pied à terre en Amérique du Sud! :)
    Bon maintenant qu'on sait que tu peux construire une maison, on attend des super performances dans notre jardin hein...

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  5. PAS VRAIMENT SAISIE LA FORME DE LA bocalobo...
    As-tu fait une photo ?

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  6. Lucie > T'es la bienvenue !

    Franck et Mortis > En fait, je voyais pas les choses comme ça, mais vous avez raison, c'est plutôt chouette !

    Kana > Je viendrai voir ton jardin au printemps alors !

    Jipito > Tu peux voir une bocalobo ou bouche-de-loup sur une des photos, je le précise dans la légende. Je n'ai pas fait d'autres photos de la bête.

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  7. Très bien, une maison pour toi en Ibiato, je te veux visiter... un jour, peut-être en 2014...?!

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