Pitch

Fragments de voyages en Bolivie par un apprenti linguiste étudiant la langue des Siriono.

mardi 28 mai 2013

La récolte de miel

La semaine dernière je suis allé dans la jungle. Après en avoir discuté avec plusieurs personnes du village, nous avons convenu de n'y aller que pour la journée et non pour deux jours comme ils le font plus souvent. C'est que la fête de Trinidad approchait à grand pas et qu'ils espéraient pouvoir y vendre leur récolte !

Nous nous sommes retrouvé le matin, pour aller en moto jusqu'à l'endroit où ils voulaient se rendre. Nous étions six : Zoilo, propriétaire de quelques ruches et formé à l'apiculture ; Pedro Pepe, un vieux qui m'avait raconté plusieurs fables l'année dernière ; Hugo, mon informateur principal que je vous ai présenté la semaine dernière ; David, le guide que je ne connaissais pas et qui mâchait des feuilles de coca et pour terminer : Mathieu, touriste français en visite pour la semaine. Un mec sympa qui a rencontré Hugo dans le bus pour aller de Santa Cruz à Trinidad. Il a passé la semaine avec moi et c'était vraiment cool du coup ! Et merci à lui pour ses photos, que je vous propose aussi pour agrémenter ce récit !

Une ruche de Zoilo
Nous sommes partis en moto avec Gabriel et Nachin, deux taxis du village. Ils nous ont déposé sur le bord du chemin, à côté d'une maison abandonnée. Pedro Pepe en a profité pour aller chaparder quelques citrons verts, que nous avons mangé et écrasés dans notre bouteille d'eau. Il faisait chaud, mais pas tant que ça, le ciel était couvert et globalement, le temps était meilleur que ce qu'il est en France en ce moment, paraît-il. Nous sommes donc entrés dans la jungle, en marchant en file indienne. L'obligation de passer entre les fils de fer rappelait que nous n'étions pas des explorateurs à la recherche du Grand Paititi légendaire mais dans un espace fermé par un éleveur de bétail.
A la recherche de l'or des Siriono.
Dans la jungle bolivienne
Dès quelques mètres, j'ai compris pourquoi ils regrettaient que nous n'ayons pas de bottes. Des flaques boueuses s'étendaient sur plusieurs mètres et à peine entrés, nos pieds baignaient dans la boue. Heureusement qu'il faisait suffisamment chaud pour que ça sèche rapidement. Nous avons marché une petite demi-heure jusqu'à une clairière. Des centaines d'abeilles s'échappaient de deux arbres effondrés, coupés la veille. Les abeilles sauvages de Bolivie ne ressemble pas tellement à des abeilles, mais plutôt à des grosses mouches. Elles sont plus rondes, noires et avec de petites ailes rigolotes. Nous en avons vu de deux sortes, oro et ovovosi. Les premières sont carrement gentilles, à marcher autour de leur ruche sans rien faire, comme si elles étaient droguées. Les secondes sont un peu plus pénibles car elles s'accrochent aux cheveux, bourdonnent fort mais piquent sans faire trop mal. Les Siriono s'en fichent et ils se mettent au boulot.
Moi aussi, je me mets au travail et je filme plusieurs minutes au milieu des abeilles
Peur de rien, il y a du miel à attraper !
La manière de récolter le miel est la suivante. D'abord, repérer un guayabochi, un type d'arbre spécifique, au tronc orangé. C'est particulièrement dans cet arbre que s'installent les ruches. Ensuite, inspecter le tronc à la recherche de trous d'où sortent des abeilles. Si c'est en hauteur, tomber l'arbre. Ensuite, à coup de hache, ils ouvrent le tronc autour de l'entrée de la ruche et en retirent tout ce qui s'y trouve. Les alvéoles remplies de larves servent de gâteaux pour manger le miel qui ruisselle de la ruche. Certaines parties mêlées de cires sont écrasées pour en retirer le miel, qui rempli un flacon de plastique. L'opération est assez destructrice mais les Siriono pensent que l'essaim survie et se reconstruit plus loin.
Le tronc éventré
La colonie d'abeille traumatisée.
La récolte de miel traditionnelle est donc très destructrice. L'essaim est privé de ses réserves alimentaires, l'arbre est abattu. C'est donc violent pour les abeilles mais aussi pour la forêt puisque le guayabochi jeté au sol à coup de haches devait avoir plus de cinquante ans. L'année prochaine il faudra aller explorer plus loin la forêt pour trouver d'autres abeilles à exploser à coup de hache. L'opération fut un succès cette fois là mais parfois les arbres sont abattus pour rien. Les ruches fabriquées à partir de bois coupé permettent de leur côté la récolte d'une quantité largement supérieur de miel sans destruction de l'habitat des abeilles ni déforestation. Mais c'est moins brave.
Un arbre de plus de trente mètres de haut...

...ou de long.
Après cette belle récolte, nous mangeons le pain que j'ai apporté. Ils protestent un peu que je n'ai pas pris de viande mais moi ça me va très bien, du pain et du miel. Mathieu et moi sommes un peu brassés à cause de l'alimentation carnassière d'Ibiato et cela nous fait le plus grand bien. Nous partons l'après midi à la recherche d'autres arbres et des merveilles de la forêt. Plusieurs magnifiques papillons volent autour de nous mais impossible de les photographier correctement. Nous découvrons plutôt les fruits de la forêt, avec quelques jolies surprises.
Un petit fruit au goût sympathique.C'est peut-être un bacupari (d'après mes recherches).
Un autre fruit qui ne se mange pas. Avec l'aide de Wikipédia je peux vous dire que c'est un brasiliopuntia.
J'apprends quelques noms en siriono, assez peu au final. Ils ne sont pas très coopératifs bien qu'ils discutent la plupart du temps en siriono. Je note dans mon carnet quelques mots que j'espère pouvoir mettre en forme plus tard, en retravaillant la vidéo avec un Siriono qui me la commentera dans sa langue. Au milieu de la forêt nous croisons un groupe de femmes du village qui partent récolter du miel elles aussi. L'une d'elle a attrapé un tatou qui constituera leur repas du soir. Elles n'ont pas encore de miel en revanche. Nous marchons encore un peu puis nos guides décident de partir, je ne sais pas trop pourquoi. Nous retournons donc à la route et j'appelle un taxi pour qu'il vienne nous chercher.
Quelques champignons étranges, qui ne se mangent pas.
Une spirale végétale.
 Nous rentrons au village plutôt vannés. L'expédition dans la forêt fut éprouvante mais instructive. J'étais content de n'être pas le seul étranger dans leur groupe, et le fait que Mathieu se soit à moité foulé la cheville la veille en jouant avec les enfants du village m'interdisait de me plaindre. Ce n'était pas si horrible de toute manière. J'ai découvert un nouvel aspect de la vie des Siriono, de leur façon de faire "traditionnelle" en coupant les arbres à la hache, objet qu'ils n'ont que depuis quelques générations. Mais la récolte en elle-même est bien traditionnelle. Et le miel a un goût absolument fantastique ! J'en ai ramené les dernières fois et j'en ramènerai encore, si vous voulez goûter ! Sinon, je vous donne rendez-vous au prochain message !
Retour au village. Vue panoramique déformée par la Go Pro de Mathieu.
Coucher de soleil dans un bocal.

5 commentaires:

  1. Encore un article passionnant !!
    et de superbes photos !

    Dommage pour la récolte du miel, c'est vrai que c'est du massacre pur et simple.

    Du bon miel et du pain ? y'a que ça de vrai ;p

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  2. Très intéressant à lire comme d'habitude.

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  3. Merci les copains, vos messages me font bien plaisir ! J'espère continuer à vous intéresser encore quelques temps !

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  4. Sympa à lire.
    J'avais oublié ce blog jusqu'à aujourd'hui. Mais j'ai rattrapé mon retard. Tu as parlé du regard 'traditionnel', mais la vision de Zolio, le sieur formé à l'apiculture, c'est quoi ?

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  5. C'est curieux mais lui aussi est dans l'idée qu'il est plus valorisant d'aller extraire le miel de la forêt plutôt que de le tirer des ruches. Du coup, il s'occupe de ses ruches mais n'a pas tout le matériel adéquat. Il n'a pas de centrifugeuse pour extraire le miel des rayons, alors qu'un autre du village, qui fait ça à plus grande échelle, a tout le matériel. Ce dernier n'est pas un Siriono, il a épousé une fille du village mais reste un étranger qui fait ça avec d'autres valeurs. Il est plus capitaliste en un sens, mais du coup, moins destructif envers la nature.

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