Pitch

Fragments de voyages en Bolivie par un apprenti linguiste étudiant la langue des Siriono.

samedi 30 juillet 2011

Les abords du village

Je fais un article différent même si ça commence à faire beaucoup d'articles car je sais qu'il intéressera mes lecteurs, curieux de connaître l'environnement naturel du village. Comme pour le village la première fois, je débuterai par quelques considérations historiques, puis vous dirai deux mots du climat avant de parler vaguement de la végétation.

Une invitation au voyage

La région géographique dans laquelle se trouve le village s'appelle le plateau de Moxos. Il s'agit d'une immense zone allant de la Forêt Amazonienne aux premières pentes de la Cordillère des Andes. Les Sirionos en occupent une partie située à l'est et on pense actuellement qu'ils sont arrivés là par le Sud. Ils ont rencontrés là beaucoup d'autres peuples qui font de la zone un ancien carrefour civilisationnel, qui n'en a cependant gardé que peu de traces, la plupart de ces peuples étant des chasseurs-cueilleurs.

Un panachage de verdure

L'arrivée des colons espagnols a brouillé la situation, et l'arrivée des américains a fini de brouiller les pistes. Je ne sais pas si il faut croire les histoires de stérilisation massive des femmes indigènes mais il est certain que des cultures entières ont disparu. Les américains venaient là en considérant la région comme un nouveau far-west où ils développaient de grands élevages, recrutant plus ou moins de force les locaux.

Une eau polie par le ciel

Mais passons maintenant par le climat avant d'arriver à la végétation. Il se compose de deux saisons principales. La première, qui va de septembre à mars environ est la saison des pluies. C'est la saison la plus chaude mais aussi la plus humide. De nombreuses terres sont immergées et la chasse est plus aisée. Les animaux sont par contre moins gras car il y a moins de fruits sauvages. L'autre est la saison sèche. Il y a davantage de fruits sur les arbres et les animaux sont plus gras. Les surfaces immergées augmentent, en laissant place à des bourbiers ou à des étangs marécageux. A un tel point qu'en siriono il n'y a qu'un mot pour lac et marais. Ils différencient au sein du marais celui où prolifère de la végétation (dyati) et un autre type plus propice à la baignade et à la pêche (erikyaan).

Une eau mousseuse de vie

Les eaux grouillent de poissons, dont les biens connus pirañas, ainsi qu'une vingtaine d'autres espèces étudiées par une chercheuse de l'université de Santa Cruz dans les années 90. Il est possible d'en voir plusieurs dans un musée de Trinidad où je n'ai pas encore pu aller. Les animaux aussi sont légions, aux noms et aux formes exotiques. J'ai commencé à interroger un informateur sur les noms des animaux et j'en ai déjà presque trente avec seulement les mammifères. Les oiseaux et les insectes sont tout aussi nombreux, avec au moins sept variétés de papillons différentes repérées pour l'instant.

Un premier pas dans les bois

Mais venons-en enfin aux milieux naturels qui s'entrelacent dans cette région du monde. On peut dans un premier temps distinguer la pampa de la jungle, ou selva en espagnol. La première est une sorte de plaine immense, à l'herbe rase et aux rares arbres secs. De grandes parts sont immergées pendant la moitié de l'année et les autres forment des collines où vivent divers animaux. La jungle est dispersée en bosquets, sans qu'il n'y ait de végétation intermédiaire entre la plaine et la jungle, étrangement.

Une jungle sablonneuse

Les sirionos distinguent trois types de jungle selon les arbres qui s'y trouvent, ce qu'il m'est bien difficile de rendre ici. Le mieux que je puisse faire est de vous présenter mon parcours depuis le village jusqu'à la plaine qui l'entoure. Je suis d'abord passé par des palmiers bas, d'où sortent de grands arbres au tronc clair. De certains pendent des boules blanches qui sont peut-être des papayes. Le sol est de terre, avec des fleurs sauvages et des buissons touffus. A peine quelques mètres plus loin, j'arrive à un sol sableux d'où sortent des tiges drues, ornées de maigres feuilles. Les arbres sont pleins de branches et des lianes pendent des arbres qui semblent morts. Il suffit de trois pas pour tomber sur une étendue d'eau stagnante d'où sortent des feuilles immenses et des troncs magnifiques d'arbres inconnus. Le sol est de boue et l'air, plus frais, vibre au son des oiseaux.

Une rangée d'oiseaux végétaux

J'arrive finalement à la plaine pour découvrir l'étendue immense et déserte. L'herbe est rase et quelque sillons dans le sol laissent penser qu'un tracteur est passé par là. La première pensée qui me vient alors est que Frodon et Sam ont dû ressentir la même impression à la fin du quatrième livre du Seigneur des Anneaux, découvrant les terres désolées qui entourent le Mordor.

Un vide à perdre la vue

Mes errances aux alentours du village ne me lassent pas de découvrir de nouvelles essences végétales inconnues et des variations végétales et aquatiques tout à fait inconnues à nos contrées. Si je ne suis pas subjugué par l'inconnu comme ont pu l'être les premiers explorateurs qui découvrirent ces terres, je suis complètement sous le charme. J'espère avoir réussi à vous transmettre un peu de ces beautés par ces quelques photos.

Un bouquet final


vendredi 29 juillet 2011

Ibiato, village épars

Un autre article sur le village, avec de nouvelles photos ! De quoi va donc pouvoir parler cet article ? Et bien, de l'organisation du village, tant géographique que sociale et du style architectural local, qui n'est probablement pas propre aux Sirionos.

Centre du village, au fond l'école.

Le village est d'abord bâti autour de la colline, puis est allé en s'agrandissant dans une seule direction. C'est assez particulier car il n'y a pas ici de marché, donc pas de place centrale. Les gens qui vont en ville en reviennent avec de quoi manger pour eux et un peu plus, chaque maison se spécialisant plus ou moins. Les voisins vendent de la glace car ils ont un congélateur, d'autres vendent de l'essence, du lait ou des œufs. Les gens qui reviennent de la chasse font des grosses bouffes en général, en échangeant avec leur voisin de la viande contre d'autres choses. En général, ils ne chassent pas pour revendre en ville, parce qu'ils préfèrent manger beaucoup ou échanger avec un maximum de personnes pour obtenir d'autres avantages en échange.

La place principale avec un coin du terrain de basket.
Au fond le centre de santé et un bâtiment plus ou moins communal
Parfois, en échange d'un travail nécessaire pour la communauté, comme cette semaine pour débroussailler les abords de la route, ils reçoivent de l'aide humanitaire sous forme de nourriture (riz, farine, huile, soja et sucre), sinon ils ne le font pas. Le nettoyage a été fait à la machette, avec une sorte de crochet en bois dans l'autre main, pour rassembler les tiges à la base avant de les trancher. Presque tout le monde le fait car tout le monde apprécie cet apport alimentaire facilement gagné.

Des maisons à l'arrière du village

Les abords du chemin pour arriver au village sont très habités, puisque c'est de ce côté que s'est étendu le village. Il y a des maisons tous les quinze mètres, avec des groupements par famille parfois. La coutume est de construire une nouvelle maison pour fonder un nouveau foyer mais beaucoup vivent dans plusieurs maisons et hors du village. Les personnes âgées vivent dans des maisons quasi-délabrées mais vont souvent manger chez les gens de leur famille. Un concept à prendre au sens large, bien que la polygamie soit proscrite depuis trois générations. Le grand-père d'un des plus vieux du village avait quatre femmes, puisqu'il était le meilleur chasseur du village. Enfin, si on leur demande, à chaque récit le nombre de femme augmente.

De bien tranquilles maisons, avec un four entre les deux

Comme nous l'avons vu dans le précédent article sur le village, les centres d'activités sont l'école, l'église et les deux terrains de foot. Sans bars ni commerces, les gens se retrouvent chez les uns ou les autres au hasard de leurs achats et amitiés. Les portes des maisons ne sont jamais fermées, plusieurs maisons n'en possédant même pas. Tous ne disposent pas encore de l'électricité et les maisons disposant de télévision sont des centres d'attractions. Pas d'antenne dans le village mais des films piratés en pagaille, parfois couverts par les fêtes des voisins.

Mais rapprochons-nous d'une maison.

Les maisons sont construites de façon relativement similaires, avec une structure centrale et des appentis moches. La structure intérieure repose sur des piliers et des poutres en bois qui parfois proviennent d'une charpenterie, celle de Casarabe car celle du village est fermée depuis une demi-douzaine d'années. Parfois, c'est simplement débité à la tronçonneuse. L'ensemble vient des alentours du village. Les soutiens du toit sont des bambous, les attaches en lianes, le toit en lui-même est un amoncellement de tiges d'une sorte de palmier bas. Les longues tiges sont d'abord mises à sécher durant plusieurs jours puis plusieurs hommes se tiennent sur des planches tendues entre les poutres et disposent les branches au-dessus des travers. Régulièrement ils prennent la corde végétale qui entoure la traverse pour coudre quelques tiges à la traverse. De l'intérieur on ne voit que les troncs des branches tandis que de l'extérieur les feuilles forment une cascade végétale.

L'intérieur d'une maison quasi-neuve

Détails
Le tout est presque imperméable et forme un abris d'une taille souvent assez grande. Les appentis quant à eux peuvent être de planches ou d'une sorte d'enduit en terre durcie. Bien qu'ils ait appris à fabriquer des briques au début de la mission, ils ont complétement oublié et n'en utilisent pas. Il n'y a pas de pierres et donc pas de maisons en pierres. Les rares maisons en briques sont l’œuvre de gringos, d'étrangers. L'une d'elle sert de centre de santé aujourd'hui, l'autre est l'église. Il y avait un centre d'artisanat mais il n'est plus utilisé aujourd'hui. 
Et je crois bien avoir fait le tour du village.
L'ensemble sera transformé la semaine prochaine pour la fête annuelle du village et je pense que je vous raconterai tout ça avec plein de nouvelles photos du village ! En attendant, demain, les abords du village !

jeudi 28 juillet 2011

Sortie à la Laguna Suarez

Durant mon précédent séjour, j'ai fait une petite sortie dominicale en milieu de semaine et je vous en présente le récit et les photos aujourd'hui !

Le lac et son canoë cliché

L'histoire débute jeudi, je suis à Trinidad et je viens de finir de vous écrire les précédents messages. Je repasse à l'hôtel payer ma nuit puis je vais me balader un peu. A peine le temps de photographier une fleur que je suis rappelé par Fernando. Je les rejoins à l'hôtel et on prend un taxi pour la Laguna. Un petit taxi, taille voiture, dans lequel on est entré à six, ce qui n'a pas été sans poser des problèmes. Légaux ? Non non, aucunement. Comme je vous le disais avant, je ne sais pas si il y a un code la route ici. Le problème était plutôt pour l'essieu en bien mauvais état et pour les pneus à moitiés crevés. Même sur une route en bonne état, le conducteur ne dépassait pas 50km/h.
Observez sur la branche l'oiseau-pyramide
Après une vingtaine de minutes de route, on arrive à la Laguna avec sur la plage un bar qui accueille des foules durant les soirées d'été. Il n'y a pas un chat puisque le ciel est gris et le fond de l'air est frais. Ce qui est plutôt agréable après la tiédeur moite de la ville. On va sur le ponton et observe l'étendue d'eau qui me rappelle immédiatement le lac de Charavines. Pour mes lecteurs qui ne connaîtrait pas, c'est un lac à côté duquel se trouve la maison de ma défunte grand-mère maternelle, à qui je rendais visite deux fois l'an. Et par coïncidence le lieu où ont grandis deux amies que j'ai rencontré à la fac et que je salue au passage !
Ah ouais, c'est grand quand même
Je croyais qu'il s'agissait d'un parc animalier dans lequel il y aurait des crocodiles mais en fait point de crocodiles mais des dizaines d'oiseaux exotiques et des fleurs en pagaille ! La végétation est complètement différente de celle proche d'Ibiato, c'est presque un autre pays. On est pourtant au bord du Rio Mamoré, un des grands fleuves qui traversent la région du Béni. Il s’élargit à cet endroit pour former cette lagune propice à la baignade, pour qui n'est pas gêné par une eau boueuse absolument opaque.

De l'autre côté, la forêt s'étale langoureusement

Sur la rive se tient un fier édifice de bois et de métal duquel part un toboggan qui me paraît bien dangereux ! C'est aussi un point de vue idéal sur la flore environnante et sur la lagune qui ne semble pas se finir ! La construction doit faire environ 25 mètres de haut mais ça suffit pour que les autres aient le vertige et se tiennent à la rambarde avec fermeté. Les autres je ne les aie pas encore présentés ! Il s'agit de mes hôtes Fernando et Gladys (que les autres surnomment Layou, ce que j'ai mis plus d'une semaine à comprendre) ainsi qu'une amie de la maison, Emi. Elle est venue avec sa fille Rocío (le mot pour la rosée en espagnol) et son fils Yuko (qui est proche du mot pour grand en siriono). Ils sont sympathiques, bien que la fille, de neuf ans je dirais, m'appelle "le gringo" tout le temps et que le gamin de 4 ans chouine beaucoup.

Le toboggan diabolique
On ne s'est pas baigné et j'ai cordialement refusé de me balader en canoë sur le lac donc nous en avons fait le tour à pied. Une partie du moins puisqu'il s'est mis à pleuvoir. Et ça m'a encore plus rappelé Charavines. Dans presque tous mes souvenirs d'enfance on quittait la Drôme pour aller dans ce petit village des Terres Froides de l'Isère, dans l'espoir de se baigner, et il pleuvait. J'en souriais béatement et je l'ai donc expliqué aux autres. On était sous la pluie, à se dire que ça commençait à pleuvoir sérieusement (toutchou en siriono, pour beaucoup) quand une voiture est passée. Emi lui a fait signe de s'arrêter et on a pu tous monter dedans. Oui, nous six. Ils étaient que quatre dans la voiture alors il y avait vachement de place !

Intermède coloré pendant le trajet en voiture
Ils nous ont emmené dans un restaurant un peu plus loin, où ils avaient prévus de manger. En demandant les prix, Fernando a fait une grimace. C'est lui qui a commandé pour tous le monde, car malgré certains aspects égalitaires dans les rapports hommes-femmes dans le village, la Bolivie est un pays très macho. Il a commandé trois assiettes de poulet et deux de charqui, du bœuf séché très dur mais avec un goût assez intéressant, bien que souvent trop salé. Avec ça on a eu droit à une assiette de salade de tomate, du manioc frit et des frites pâteuses. Les boissons avaient paru chères à Fernando alors il n'en avait pas commandé. Il a finalement craqué face aux insistances de Yuki et a commandé quatre Fanta que l'on s'est partagé. Il n'a pas du tout le même goût qu'en France, mais pas vraiment pour mieux. C'est toujours moins pire que les sodas locaux de la marque Triny qui sont absolument immondes.
La terrasse du restaurant, très Club Med

Le repas se passe dans le calme et je sens qu'il y a un malaise mais je ne dis rien. La veille au soir j'avais mangé avec eux dans une échoppe où on avait pris deux assiettes énormes pour trois et j'avais payé. Je sentais qu'ils tenaient à ce que je fasse de même. J'ai tenté le coup d'aller aux toilettes après qu'il ait appelé le taxi pour retourner à Trinidad, mais sans succès. A mon retour ils se regardaient tous en chien de faïence. Je me suis assis puis j'ai attendu un peu avant de me lever lentement pour aller payer, guettant si ils allaient m'accompagner pour partager ou non. Ils ne l'ont pas fait et j'ai donc réglé la note seul, ce qui a coûté une fortune : 245 bolivianos ! L'équivalent de 25 euros, pour six personnes. Je n'aurais jamais dépensé autant pour un restau en France, et je ne vais d'ailleurs quasi jamais au restau en France mais bon, je me suis dit que ça irait pour cette fois.
On pourrait presque voir la même chose chez nous, non ?
J'ai pas trop aimé le fait qu'ils m'aient forcé la main et j'aurais préféré que l'on en parle avant, j'aurais accepté, dans la mesure où il a vraiment pas commandé un gueuleton. Mais j'ai apprécié par contre qu'ils se sentent redevable malgré tout et qu'ils payent ensuite pour le taxi de retour à Trinidad et pour celui de retour à Ibiato, qui est relativement cher. Il m'a aussi payé un flan pas terrible et une île flottante plutôt concluante. Elle avait vraiment le même goût qu'en France, avec une sauce réussie et pour un prix dérisoire, comme tout ici, quelque chose comme trente centimes d'euros. Ils ont aussi fait des courses pour la semaine en achetant plein de légumes et diverses choses. Dès que je disais qu'il n'y en avait pas en France ils en prenaient ! Ce qui rattrape le prix pour la nuit, un peu élevé, que j'ai négocié avec eux. Je vais d'ailleurs manger et vous retrouverez dans un prochain article !

mercredi 27 juillet 2011

Trini, une autre facette

Lors de mon dernier séjour à Trinidad, la ville la plus proche du village où je travaille, je n'ai pu résister à la tentation de faire de nouvelles photos de la ville ! Voici donc de nouvelles maisons d'angles et la visite d'un nouveau quartier.
En travaux mais tellement beau
Si j'ai bien compris, les différentes compagnies de taxi sont spécialisées dans leurs directions et une seule va à Ibiato. On est donc arrivé à Trinidad à l'endroit d'où j'en étais parti. Il s'agit d'un quartier de la ville que je ne connaissais pas et que j'ai donc pu découvrir ! Il s'appelle Pompeya mais nul volcan ici. C'est un quartier populaire assez sympa avec plein de petits commerces de tout et n'importe quoi, allant des vêtements aux citernes en passant par les outils de chantier.


Et là-dedans, je ne reconnais pas la moitié des aliments
Outre les magasins il y a un grand marché couvert avec tout et n'importe quoi, des piñatas aux carcasses de cochons, des cahiers aux fruits exotiques. J'en ai fait plusieurs fois le tour, il est ouvert jusqu'à 22h le soir. Dans chaque case les gens regardent vaguement la télé ou discutent avec leurs voisins d'en face. Ils ne cherchent pas vraiment à appâter le client, toute façon ils ont quasi-tous la même chose. J'y ai acheté une serviette de bain car l'hôtel où on est descendu n'en fournissait pas. J'ai pris celle qui faisait le plus touriste possible, avec un crocodile et un perroquet.

Une des sept allées du marché
L'hôtel justement, était pas mal. À l'arrière d'un magasin d'alimentaire, il ne payait pas de mine mais était relativement correct. Une chambre tranquille avec un ventilateur, des toilettes et une literie relativement propres. Pas d'eau chaude dans les douches non plus, faut pas exagérer. Bon, c'est pas super intéressant mais il était quand même sympathiquement coloré donc j'vous en ai fait une photo.  Oui, cette fois j'écris après avoir fait les photos donc je les suis dans mon écriture.


Le couloir et sa perspective étonnante
Je suis monté voir la vue du quartier depuis le toit en construction de l'hôtel et c'est étrange : tout ici paraît en construction. Je ne sais pas si c'est vraiment un quartier en essor financier ou si la législation est un peu la même qu'en Tunisie, où les gens n'achèvent pas leurs maisons pour ne pas payer d'impôt. Me paraît que c'est plutôt que les gens poursuivent les travaux quand ils ont des rentrées d'argents et qu'elles ne sont pas régulières.
Immeuble, toits en brique et toits en paille, manque que les trois petits cochons

En tout cas, il est en pleine transformation et les maisons sont variées dans une même rue. L'ensemble suit un schéma carré sans logique organisationnelle apparente. Les trottoirs sont moins bien entretenus que dans le centre-ville et plusieurs maisons n'en ont pas, ce qui oblige à passer régulièrement par dessus les caniveaux puants. Ces derniers envahissants la moitié de la rue lorsqu'il pleut, renforçant l'impression d'être au milieu d'une guerre bactériologique entre le monde humain et le monde miniature qui se développe dans les égouts.


La maison pédante du quartier, chatoyante malgré la poussière
 
Une maison à l'européenne, qui n'a pas oubliée ses colonnes
Ce quartier est assez proche du centre-ville, et on le rejoins en passant au dessus de la rivière que je vous ai déjà présenté. Je voulais vous faire une autre photo de la rivière pour vous montrer à quel point elle est glauque mais je n'ai pas réussi. J'ai pourtant suivis son cours jusqu'à un autre pont mais je n'ai pu y voir que de nouvelles choses sympathiques. Cette ville dispose de petites touches agréables quand on les cherche bien.


Bon, c'est peut-être dû à la chouette maison de l'autre côté
 
Mais là, ça fait moins glorieux, hein ?
 J'ai retiré de ces deux jours à Trinidad une impression bien plus positive que lors de mon premier séjour. Le fait que je n'y ai pas été malade n'y est pas pour rien. Mais je crois aussi que c'est d'y avoir trouvé les marchés, aussi bien le grand qu'un autre plus près du centre-ville où je pourrais retourner manger les prochaines fois. Il faisait moins chaud, et il a plu, rendant la ville très différente mais finalement pas plus désagréable puisque le soleil a vite percé les nuages, amenant une lumière douce qui rendait tout crémeux.

Un immeuble en caramel
 Une ville pleine de surprise donc, et qui méritera sans aucun doute un autre article dans les semaines à venir, avec d'autres colonnes et d'autres couleurs étrangères !

jeudi 21 juillet 2011

Bilan d'une semaine à Ibiato

Dyasennetoura [djasentura], Bonjour !

Après un premier message de présentation du village, entrons un peu dans le détail pour parler de vécu, raconter la vie ici et détailler les aspects de la culture siriono contemporaine. J'ai écris l'article sans avoir de photos pour l'illustrer bien, j'en prendrais d'autres plus tard.
Je suis arrivé dans le village il y a maintenant une semaine, en taxi depuis la ville de Trinidad, que je vous ai présentée. Dans le taxi se trouvait Nataniel, le président du Territoire Indigène Communautaire Siriono et Fernando, l'alcade du village. C'est chez ce dernier que je dormirais. Il vit avec sa femme Gladys et leurs deux fils, Aroldo et Uberto, le premier doit avoir huit ans, le second six ou un peu moins. Leur maison est composée d'une grande pièce ouverte sur l'extérieur dans laquelle il y a plusieurs bancs, un hamac et quatre chaises en plastique rouge. Dans le prolongement de cette pièce se trouve une pièce fermée avec deux lits. L'un est le mien l'autre celui des deux enfants. A l'arrière, une autre pièce complète la maison avec une cuisinière à gaz rudimentaire, un bac d'eau et derrière une étagère de vêtements, le lit des parents.

L'eau n'est normalement plus un problème depuis qu'une anthropologue, Wendy Townsend, a offert au village le forage d'un puits. Il est cependant boudé pour la plupart des usages car l'eau est un petit peu salée. Ils préfèrent donc prendre l'eau des bassins boueux. Pas de salle d'eau mais un angle extérieur pas trop exposé pour faire ses ablutions, se rincer à partir d'un saut d'eau douteuse, les pieds dans la poussière qui se transforme vite en boue. Un peu plus loin se trouvent les toilettes, une fausse sur laquelle a été aménagé un trône en bois. Les installations de ce type dans le village ont été impulsées par la même anthropologue.

Un papillon dont Diane se fera un plaisir de nous trouver le nom !
 
Elle a essayé de convaincre les Sirionos de parquer leurs animaux, sans succès. Poules, canards, cochons, ânes, chevaux, vaches et aurochs côtoient les chiens et chats. Pas de poubelles et tout est jeté aux bêtes, reste de viande comme sac en plastique. A un repas, un canard m'a volé une carcasse de poisson, qu'il s'est fait en partie voler par un chien. C'était la première fois que je goûtais et je n'ai pas regretté plus que ça que le canard me la chipe. Habituellement, c'est plutôt du riz et de la viande. Aussi bien de la vache que du cochon ou de la volaille. Parfois aussi des animaux de la jungle, mais la famille qui m'héberge n'est pas très chasseuse. La viande coûte ici 2 euros le kilo, le riz 60 centimes le kilo. La quinoa est la spécialité du pays mais rares sont les gens qui en mangent par ici. Ils font par contre de multiples préparations à base de farine qu'ils font frire.

La cuisine est loin d'être équilibrée. Les légumes ne sont pas du tout courants, parfois un ou deux bouts de tomate, quelques oignons, des morceaux de patates pour ceux qui ont un four en brique. Parfois aussi du manioc, mais bien plus rarement qu'en ville. Le premier repas de la journée est souvent très riche avec du pain, du riz et de la viande. Si pas de viande alors des galettes frites. A midi, rebelotte avec riz et viande ! Le soir, soit c'est la même chose, soit plus simplement un peu de pain et du café.

Un autre papillon, qui se laisse difficilement approcher

Une aparté s'impose pour ceux qui n'auraient que survolé l'article présentant le village. Celui-ci est récent, car auparavant les Sirionos étaient nomades. En s'installant ils ont perdu leur culture et une partie de leurs connaissances sur les richesses de la forêt. L'agriculture n'a jamais fait partie de leurs traditions et les gens n'ont pas de potager, car de toute façon, le sol n'est que boue ou poussière. Pour la même raison, il n'y a pas de musique traditionnelle, les rares chants matinaux étant quasiment oubliés.

L'électricité est arrivée dans le village l'année dernière. Je pense que les rythmes de vie étaient complètement différents et les choses sont en transition en ce moment. La lumière est le premier avantage indéniable de l'électricité. La télévision le premier inconvénient, même si ici il n'y a pas d'antenne et que les gens se contentent de films sur des divx piratés. Il y a quelques ordinateurs et l'école en sera bientôt équipée. Ce qui change le plus, ce sont les énormes système de son que se sont achetés plusieurs habitants, qui les utilisent pour diffuser à tour de rôle ou en cacophonie de la musique rock latino. Pas forcément désagréable mais très fort et tout le temps. Je pense que d'ici quelques temps il y aura une réglementation là-dessus, en attendant, c'est pas l'idéal pour dormir.

Mon voisin de chambré.
Médecine traditionnelle ici : tu te coupes, ouvre un crapeau et mets-le sur la plaie
Dès les premières lueurs de l'aube les coqs se réveillent et s'ébrouent joyeusement. Ce faisant, ils réveillent les oiseaux qui se plaignent aussi fortement que possible, énervant les chiens qui s'aperçoivent que les ânes passent et leurs aboient dans les pattes. Les premières motos prennent ensuite le relais, de gens allant travailler en ville ou pour les propriétaires terriens alentours. Les enfants viennent ensuite ajouter leurs cris à l'ensemble, forçant des yeux fatigués à s'ouvrir, pour contempler la moustiquaire et les lueurs de l'aube à travers les murs de la chambre.

Ma chambre, avec une moustiquaire au dessus du lit
L'économie principale du village est la production de miel, qui est en fait gérée par un homme originaire de La Paz, marié à la petite-fille d'un propriétaire de ranch. On a fait mieux comme culture locale. Le miel est en tout cas revenu relativement cher à Trinidad et Santa Cruz et il est assez bon. Il y en a de deux types, un fait par des abeilles locales et un autre par des abeilles européennes importées par des colons. Une partie de la viande est revendue en ville, mais très peu me semble-t-il. La fabrication traditionnelle de hamac n'est plus connue que par quelques vieilles dames qui n'en font que pour les fêtes traditionnelles. Le centre artisanal du village est fermé, de même que la menuiserie.
Une petite pensée pour le Paléo, qui a lieu en ce moment !
Photo prise par le fils de cinq-six ans.
Le village est assez pauvre donc, malgré d'immenses réserves forestières dont ils essayent de profiter tout en les respectant. La vie ici n'est pas désagréable mais pas follement passionnante non plus. Il n'y a pas vraiment d'activité sociale mis à part les repas, auxquels s'invitent facilement les voisins, les uns allant manger chez les autres très facilement. Les personnes âgées sont d'ailleurs prises en charge ainsi, des repas leurs étant servis où qu'ils passent. Les enfants jouent à une sorte de version incompréhensible du cricket où ils font rouler la balle au sol, les plus âgés jouent au foot, au crépuscule, au moment où les moustiques sont les plus nombreux. Et ça, difficile de leurs échapper, avec tous ces animaux partout et l'eau stagnante au milieu du village. J'ai presque réussi, mis à part mes pieds qui sont des damiers douloureux.

Je vais y retourner pour une semaine supplémentaire et j'espère pouvoir repasser en ville avant que n'ait lieu la fête annuelle le 2 août. Sinon, juste après. D'ici là, je vous laisse avec plein de texte et j'espère que vous profitez aussi de votre côté de l'été ! N'hésitez pas à poser des questions si vous voulez connaître des détails !

Koasokyako !

Linguistique de terrain

Ce blog n'est pas qu'un carnet de voyage en Bolivie mais le récit d'une enquête sur le terrain pour étudier une langue et avant de partir visiter la Laguna pour voir des croco et des oiseaux exotiques, je me lance dans un petit récit pour raconter ma semaine de travail à Ibiato, maintenant que c'est vraiment parti ! Comme d'habitude avec mes petits récits, celui-ci va être diablement long, vous êtes prévenu !

Il y a de multiples objectifs à cette première rencontre. Il s'agit de savoir si ce type de travail me plaît, ce qui est le cas pour l'instant, de voir si il est possible et d'en réaliser les premières bases. La faisabilité du travail n'est pas une chose facile à évaluer puisqu'elle dépend complètement des rencontres que je peux faire ici. Les premières bases forment un bon tas d'heure de travail aussi, que je vais commencer par détailler avant de vous raconter mes premières rencontres.



En Master 1, j'ai étudié le pluriel et plus largement le nombre dans les langues Tupi-Guarani, dont fait parti le siriono, et dont j'ai déjà parlé ici. Ce ne fut qu'une première étape et le travail de description commence maintenant ! Pour le Master 2, l'objectif est que j'étudie le système phonologique de la langue, c'est à dire les sons qu'elle contient et leurs rapports entre eux. L'inventaire des sons est déjà un premier problème car plusieurs n'existent pas en français et il faut s'assurer que l'on entend bien. Pour le cas du siriono par exemple, il me semble qu'il y a deux sortes de son R, un proche du L et un autre plus marqué, sans qu'il soit roulé.

Dans les rapports qu'ils entretiennent entre eux il y a deux aspects. Le premier est de savoir quels sons forment des éléments distinctifs. En français par exemple, rue et lu sont deux mots différents car R et L sont deux sons différents, qui s'opposent. En japonais ce n'est pas le cas pour ces deux là, et en siriono il s'agira de savoir si ça l'est, puisqu'il me semble qu'il y ait plusieurs sons différents. Le deuxième aspect dynamique concerne les transformations qui adviennent lorsqu'il y a un changement, comme l'ajout d'un nouveau mot. En siriono ça s'annonce particulièrement intéressant puisqu'il y a des consonnes qui changent carrément selon les voyelles qui les entourent, sans que je sache encore lesquelles entraînent les autres.

Voilà ce que je compte étudier en premier. Pour ce faire, il me faut enregistrer des mots de cette langue, d'abord seuls, pour être sûr qu'il n'y a pas de modification dû au contexte, puis après dans des courts textes, pour pouvoir étudier ces modifications. Je travaille donc avec une liste de mots, d'environ 500 entrées de mots communs, que se partagent la plupart des langues. A quoi j'ajouterais des listes spécifiques d'animaux et de plantes du coin, dans l'objectif d'arriver à un millier de mots. Après quoi, ou en simultané si possible, j'enregistre de courts textes puis je demande aux gens de m'aider à les traduire pour en détailler le fonctionnement. Sachant que je les réutiliserais plus tard et qu'ils serviront dans un premier temps seulement à étudier les sons.

J'espère que vous voyez un peu ma démarche expérimentale, qui n'est pas très compliquée mais qu'il est difficile de faire entendre une fois face à des personnes d'un certain âge.


Mais revenons sur mon arrivée à Ibiato. Je suis accompagné par le président du Territoire Siriono et par l'Alcade du village, l'équivalent du maire si l'on veut. C'est ce dernier qui va m'héberger, pour un moment au moins. Je lui explique ma démarche et ils lisent avec attention les lettres de recommandation de mes professeures. Le jour de mon arrivé ils me font visiter le village pour me présenter notamment au cacique siégeant au conseil du village, Bixente. Les caciques sont traditionnellement les vieux sages du village, ayant autorité sur leur large famille constituée de plusieurs femmes. Avec les efforts insistants de l'Eglise, la polygamie n'est plus d'actualité et leur rôle a bien diminué dans des conseils où siègent des élus aujourd'hui.

Ce vieil homme édenté me propose de revenir le lendemain matin à l'aube car il a fort à faire. J'accepte et reviens donc le lendemain, à l'heure dite, plus ou moins. Ici quant on dit 9h à quelqu'un, c'est en fait à comprendre entre 9h et 10h. Il est cependant déjà partis travailler dans son champ, m'expliquent ses enfants et petits enfants qui habitent la maison d'à côté. Ils rigolent bien parce que je comprends pas grand chose à ce qu'ils m'expliquent. Je tente de leur dire que je serais chez mon hôte si on me cherche et je reprends ma déambulation dans le village.

Je suis rapidement interrompu par un homme qui me hèle depuis sa maison. Je vais le voir en me disant qu'il est bon qu'un maximum de gens connaissent mon projet. Il s'agit du petit-fils du fondateur du village, un métisse pas réellement siriono d'un cinquantaine d'année. Je lui explique mon projet ici et lui dit que je cherche des gens pour travailler avec moi. Sans doute appâté par l'idée de gagner un peu d'argent en faisant une activité qui le changerait du quotidien, il accepte de me suivre pour travailler un peu. J'ai tout le matériel sur moi et on va donc dans la cour de l'école, accompagné par le petit-fils du monsieur. Heureusement qu'il nous a suivis pour prendre un petit cours de siriono car il a pu répéter correctement les mots que je tentais de dire en espagnol, avec ma prononciation catastrophique. Il a pu aussi compatir avec moi sur le fait que son grand-père commence à être gâteux et qu'il ne connaît pas aussi bien la langue qu'il le prétend. Pour plusieurs mots, ce qu'il m'a dit était juste, pour d'autres il sortait les mêmes mots que précédemment en ajoutant kwasou, qui signifie grand ou gnété, petit. Pour plusieurs il m'a dit qu'ils n'existaient pas en siriono et parfois il m'a sortis de longue expressions dans lesquelles je décelais des morceaux d'espagnol. Mais le plus grave problème est que je reprenais la liste tous les dix mots pour les enregistrer et qu'il m'en donnait d'autres. Je suis resté néanmoins deux heures avec lui et ça m'a permis un premier entraînement à cet exercice.



Je suis rentré à la maison, dont je vous présenterais une photo la prochaine fois, je n'en ai pas fait de l'extérieur. La maîtresse de maison, Gladys, m'a proposé de retourner voir le cacique pour travailler, j'ai un peu protesté sans réussir à dire que c'était l'heure de la sieste. On l'a en effet trouvé assoupis dans son hamac. Gladys l'a quasiment réveillé à coup de pied et l'a traîné jusqu'à la maison des voisins pour travailler. Je lui ai expliqué mon projet, qui n'a pas eut l'air de le convaincre et je suis repartis sur la même liste. Dès le départ ce fut laborieux, puisque je n'accentuais pas le mot pour mot (palabra) il entendait le nom d'un oiseau et me reprenait. Une démarche qu'il suivra durant tout l'entretien, me faisant répéter les mots jusqu'à ce que je les prononce correctement, ce qui n'est pas mon but. En effet, je ne cherche pas à parler au mieux la langue et il est possible qu'à la fin je ne la parle que médiocrement, ce qui sera déjà mieux que la plupart des gens du village cela dit. J'ai quand même insisté, avec l'aide des petits-enfants là aussi, qui riaient de ma façon de parler mais m'aidaient un peu. Au quatrième mot il a bloqué comme le précédent informateur, ce demandant comment on disait métal en siriono. Je crois qu'il n'y a réellement pas de mot pour dire ça, de même pour le nom des différents métaux. J'ai décidé de passer à autre chose et de voir avec lui les noms des membres de la famille, me disant que ça l'intéresserait mieux. Ce fut d'un compliqué ! Pour les enfants il me demandait sans cesse les paliers d'âge alors que moi je ne les connais pas en espagnol et que je les voulais en siriono de toute façon, donc que c'était à lui de me les donner ! Au bout de dix mots, je lui demande de les reprendre pour les enregistrer. Il me semble qu'il ne comprend pas la démarche aussi je teste l'appareil devant lui pour lui montrer. On se lance dans l'enregistrement et pour chaque mot il part dans des explications, me reprenant à nouveau et se distrayant au milieu. Le bruit des cochons et des enfants à côté n'arrange pas les choses. Je le paye comme convenu, bien qu'il réclame davantage et rentre sans fixer de nouveau rendez-vous avec lui. Il me dit qu'il est très occupé et je me vois mal travailler de nouveau des listes de mots avec lui. Je pense retourner le voir pour enregistrer des textes, car malgré sa dentition bien abîmée, j'pourrais sûrement en tirer quelque chose. 

Je rentre à la maison un peu découragé mais Gladys m'indique que le professeur de l'école qui donne les cours de siriono est passé durant mon absence et qu'il va repassé bientôt. Je retrouve confiance, puisqu'il a participé aux ateliers sur la réforme de l'alphabet en 1990 (une des raisons de ma venue ici) et fut informateur pour plusieurs linguistes. Il est plus jeune que les deux autres et comprends complètement l'intérêt de mon travail. A un point même ou il me donne de lui-même les paradigmes de conjugaison (je, tu, il, nous, vous, ils) et les paires minimales (comme rue et lu dont je parlais tout à l'heure). Je travail avec lui sur le début de la liste, et il me confirme pour le coup de métal. On va un peu plus loin et il me donne les mots pour levant et ponant, m'indiquant qu'il n'en existe pas pour est et ouest. Pour le nord il n'y a pas de mot mais il y en a un pour le sud, ce qui me paraît très louche sur le coup. J'aurais un début d'explication plus tard.

Je travaille donc avec lui le premier jour, puis le lendemain matin, et le soir également. Il n'y avait pas école pendant cette semaine là et il était donc très disponible. Le vendredi avait lieu une fête pour l'anniversaire de mon hôte, ses 29 ans (jeune pour un chef de village, hein). J'ai vite craqué de toute l'agitation et suis allé à l'école pour travailler tranquille. En revenant à la maison j'ai croisé le fils du professeur, qui s'appelle Nataniel au passage, comme le président du territoire, mais c'est un autre homme. Il m'a dit que ce dernier venait de rentrer et serait à l'école dans une demi-heure. J'y vais et travaille avec lui efficacement une fois de plus. Même plus qu'efficacement puisqu'on s'installe à l'intérieur du salle de classe, protégés des moustiques et avec une prise pour brancher l'enregistreur. Il me propose de continuer le lendemain en début d'après midi, ce qui ne pu pas se faire à cause d'un repas chez des amis de la famille qui m'héberge. Je suis revenu au village juste pour qu'il me dise qu'il va partir chasser. Il me propose de bosser dès l'aube le lendemain, à 7h. Je mets donc mon réveil pour le trouver complètement défroqué, ivre et mâchouillant de la coca. Il me bredouille qu'il a fêté la bonne chasse et qu'il ne pourra pas travailler ce matin, ce dont je me rends bien compte. Je le laisse donc et retourne me coucher. Je ne l'ai pas revu depuis.


Ce dernier épisode était le dimanche et j'ai passé deux jours ensuite à tenter de le voir sans succès. J'en ai profité pour retravailler mes données, ayant un ordinateur et l'électricité, et préparer la suite. A force de discussion, j'ai réussi à emprunter un vélo, ainsi qu'un des fils de mes hôtes pour aller voir à la tombée du jour Don Chiro. Il a l'âge d'être un cacique lui aussi, et c'est possible qu'il le soit, je n'ai pas très bien compris. Il a participé avec un missionnaire à la traduction du Nouveau Testament en siriono, labeur qui lui pris huit ans mais dont il est assez fier. Il a également collaboré à plusieurs études sur la langue, se plaignant qu'il n'y en ai pas davantage. Il m'a d'ailleurs fait plein de commentaires et posé beaucoup de question, dont celle de savoir pourquoi c'était un européen et non un bolivien qui s'intéressait à ce travail. Fort d'une semaine d'usage intensif de l'espagnol, j'ai compris quasiment tout ce qu'il me disait, et j'ai réussi à répondre assez bien à ses questions, me semble-t-il.

On a travaillé durant une heure sur les animaux de la jungle puis fait un enregistrement correct de l'ensemble. Il est absent pour le reste de la semaine mais j'espère pouvoir de nouveau travailler avec lui car il connaît vraiment bien la langue et, encore plus précieux, connaît des légendes et mythes des Sirionos datant d'avant leur christianisation ! Il m'a du coup raconté une histoire avec le nord et le sud, donc je vous ferais profiter quand je l'aurais enregistré convenablement !



Après cette excellente séance de travail, je suis rentré tout guilleret, sous les étoiles inconnues de l'hémisphère sud ! Plongé dans des pensées linguistiques, je me suis dit que ça pourrait être intéressant d'enregistrer des recettes de cuisine, pour avoir le vocabulaire des aliments et de courts textes. Une idée que mes professeures ont déjà eu mais qui m'a semblé adéquate à ce stade de mon travail. J'en ai parlé avec Gladys, Fernando étant à une réunion pour préparer une marche indigène à la fin du mois. Elle m'a proposé de m'accompagner voir une dame qui connaissait bien ça, mais elle n'était pas là.

Le bilan après une semaine est donc la rencontre avec quatre personnes dont deux qui pourront être de bons informateurs, l'un pour la langue, l'autre pour les histoires ! J'espère pouvoir retravailler avec eux à l'avenir et en rencontrer d'autres, dont un que je vois bientôt et qui fut le chef de la marche indigène de 1990 ! J'espère collecter avec lui des bribes de cette histoire collective dont je vous ai parlé dans la présentation du village !

Sur ce, je vous laisse avec toute ces lectures et me lasse de ne point vous voir !

mercredi 20 juillet 2011

Ibiato, village siriono

Ce petit village de Bolivie a été fondé dans les années 20 par un missionnaire de l'Eglise Quadrangulaire et a si bien réussi à drainer les Sirionos qu'à une époque il n'en existaient plus qui ne soient pas dans ce village. Un village très pauvre, dans lequel plus de la moitié d'entre eux moururent, les autres étant intégrés progressivement par le biais d'une école située hors de la ville et proscrivant la langue indigène.
La vue en arrivant au village
A force de magouille de par les propriétaires terrains alentours, le territoire alloué par l'état pour la mission religieuse se réduisit. La route principale reliant Santa Cruz à Trinidad traversa le village ou se trouvait l'école, Casarabe. Dans ce village, à environ 12 kilomètres d'Ibiato et cinquante-cinq de Trinidad s'installa une base militaire américaine afin de soutenir les propriétaires de ranch qui voyaient dans ces grandes étendues quasi-désertiques un lieu parfait pour l'élevage bovin. L'aide américain se manifesta par l'utilisation d'indigènes dans un statut très proche de celui des esclaves noirs aux États-Unis.


Une maison typique, avec des bâches de l'US Aid, soutien cathartique

Les Sirionos n'étaient pas les seuls à subir ce traitement et par des rencontres et des organisations entre tribus indigènes, ils réussirent en 1990 à organiser une grande marche pour la Dignité et le Territoire. Celle-ci dura plus d'un mois et partit de Trinidad pour rejoindre La Paz, à plus de 650km de là ! Durant tout le trajet, il y eu un soutien populaire magnifique, de par les autres peuples indigènes, nombreux dans cette région fertile, mais aussi par les indigènes des montagnes, les Quetchuas et Aymaras ! Avant chaque étape le groupe se réunissait et décidait de l'ordre de marche, soignaient les blessés et remerciaient leurs hôtes de la nuit. A chaque étape ils trouvèrent des portes grandes ouvertes et ils finirent par être reçus quatre jours par le président.

Une maison encore plus typique, au toit en une sorte de palmier, aux murs de tronc de bambou et de torchis

De ces négociations sortirent quatre décrets suprêmes accordant à quatre peuples indigènes la liberté d'utiliser ses terres ancestrales. Parmi ces peuples figuraient les Sirionos qui sortirent grandis de cette lutte. Vous imaginez bien, une telle révolution, pour un peuple sans terre, méprisé par le pays entier et qui, en à peine quelques mois obtient sans une goutte de sang la possession de ses terres ! Une fierté pour les Sirionos et un exemple étonnant de révolution moderne dont on ne parle pas souvent.

Une autre maison avec son petit étang et du linge coloré comme en portent tous les gens ici.

La victoire n'est cependant pas totale immédiatement et le territoire alloué est d'abord fort petit. Même aujourd'hui, il ne correspond pas à celui dans lequel chassaient les Sirionos alors qu'ils étaient nomades ! Pour autant, la Bolivie est devenu un pays plurinational, reconnaissant l'existence d'instance politique autonome en son sein, ce qui est fort juste me semble-t-il. En ce sens, le pays est largement plus démocratique que nos états européens !

Vers le centre du village
 Mais trêve d'histoire, venons-en au village proprement dit ! Il est composé d'une bonne trentaines de maisons, chacune accueillant une famille avec en moyenne deux enfants. Il y a peu de personnes âgées et peu de jeunes entre 18 et 25. Des enfants, il y en a donc des tas, pour la plupart très jeunes. Ils vont à l'école communale tous les matins, de 8h30 à 12h30, plus ou moins...ici personne n'a de montre, les enfants semblent donc aller à l'école pendant la moitié de la matinée. Il y a une dizaine de professeurs, dont un qui donne des cours de siriono, à tous les niveaux, de sorte que les enfants en sortent en comprenant un peu la langue.


La cour de l'école, il y a encore une aile à gauche
 Le village est resté très croyant et l'église construite il y a presque un siècle est encore le centre du village (note 2013 : en fait, elle a été reconstruite à plusieurs reprises sur le même emplacement, elle était d'abord en briques de terre). Il y a bien une autre église, de l'Assemblée de Dieu, pour ceux qui n'apprécient pas les messes du pasteur de l'Eglise Quadrangulaire. Depuis six ans, le pasteur est complètement extérieur à la communauté et la messe est en espagnol (note 2013 : en fait non, il est marié à la fille illégitime de Juan Anderson). Par le passé, il y eu à Ibiato des missionnaires du Summer Institute of Linguistic, qui vinrent traduire le nouveau testament en siriono. Il existe donc mais le pasteur actuel ne l'utilise pas. A quoi bon dans un village ou personne ne parle plus la langue. Beaucoup la connaissent, tous d'après le chef du village qui m'héberge, mais pourtant aucun ne la parle (note 2013 : évidemment, c'était un peu exagéré).

L'église, au sommet de la colline
Le climat est clément pendant la moitié de l'année qui correspond à l'hiver, en ce moment, et pluvieux pendant la saison la plus chaude, ou l'air est saturé d'humidité et la terre gorgée d'eau. Il fait donc ici un temps similaire à celui de la France en ce moment. Les rares pluies sont des orages qui ne durent pas et forment des flaques immenses (note 2013 : même saison et pourtant cette année c'est tout pourri avec pluie tout le temps, mais ça ne me déplait pas !). La piste pour venir au village est de terre mais presque sans nid de poule ou irrégularité, tant le sol est tassé (note 2013 : parce que neuve, maintenant c'est moins glorieux). C'est aussi qu'ici il n'y a pas de pierre, et mis à part l'église et le centre de santé, aucune maison n'est faite de pierre. La ville est de poussière, de terre tassée et de végétation.

Vue du terrain de foot, ancienne piste d'atterrissage du village
Et pour finir cette petite présentation partiale du village, expliquons-en le nom ! Il est en siriono, comme vous pouvez vous en douter. La première partie, que l'on écrirait maintenant ɨbɨ en alphabet siriono, est le mot pour la terre. La seconde, ato, est le mot pour monticule. Le village est donc celui de la colline, du mont, comme il y en a tant partout. D'après certains historiens, il daterait d'une civilisation dont descendent les Sirionos et qui auraient aménagés tertres et canaux d'irrigation dans cette grande région où tant d'hommes ont cherchés les mystérieuses cités d'or ! D'après d'autres historiens, ce seraient de toutes autres personnes, mais quoi qu'il en soit, on a aucune informations sur eux !