Pitch

Fragments de voyages en Bolivie par un apprenti linguiste étudiant la langue des Siriono.

jeudi 21 juillet 2011

Bilan d'une semaine à Ibiato

Dyasennetoura [djasentura], Bonjour !

Après un premier message de présentation du village, entrons un peu dans le détail pour parler de vécu, raconter la vie ici et détailler les aspects de la culture siriono contemporaine. J'ai écris l'article sans avoir de photos pour l'illustrer bien, j'en prendrais d'autres plus tard.
Je suis arrivé dans le village il y a maintenant une semaine, en taxi depuis la ville de Trinidad, que je vous ai présentée. Dans le taxi se trouvait Nataniel, le président du Territoire Indigène Communautaire Siriono et Fernando, l'alcade du village. C'est chez ce dernier que je dormirais. Il vit avec sa femme Gladys et leurs deux fils, Aroldo et Uberto, le premier doit avoir huit ans, le second six ou un peu moins. Leur maison est composée d'une grande pièce ouverte sur l'extérieur dans laquelle il y a plusieurs bancs, un hamac et quatre chaises en plastique rouge. Dans le prolongement de cette pièce se trouve une pièce fermée avec deux lits. L'un est le mien l'autre celui des deux enfants. A l'arrière, une autre pièce complète la maison avec une cuisinière à gaz rudimentaire, un bac d'eau et derrière une étagère de vêtements, le lit des parents.

L'eau n'est normalement plus un problème depuis qu'une anthropologue, Wendy Townsend, a offert au village le forage d'un puits. Il est cependant boudé pour la plupart des usages car l'eau est un petit peu salée. Ils préfèrent donc prendre l'eau des bassins boueux. Pas de salle d'eau mais un angle extérieur pas trop exposé pour faire ses ablutions, se rincer à partir d'un saut d'eau douteuse, les pieds dans la poussière qui se transforme vite en boue. Un peu plus loin se trouvent les toilettes, une fausse sur laquelle a été aménagé un trône en bois. Les installations de ce type dans le village ont été impulsées par la même anthropologue.

Un papillon dont Diane se fera un plaisir de nous trouver le nom !
 
Elle a essayé de convaincre les Sirionos de parquer leurs animaux, sans succès. Poules, canards, cochons, ânes, chevaux, vaches et aurochs côtoient les chiens et chats. Pas de poubelles et tout est jeté aux bêtes, reste de viande comme sac en plastique. A un repas, un canard m'a volé une carcasse de poisson, qu'il s'est fait en partie voler par un chien. C'était la première fois que je goûtais et je n'ai pas regretté plus que ça que le canard me la chipe. Habituellement, c'est plutôt du riz et de la viande. Aussi bien de la vache que du cochon ou de la volaille. Parfois aussi des animaux de la jungle, mais la famille qui m'héberge n'est pas très chasseuse. La viande coûte ici 2 euros le kilo, le riz 60 centimes le kilo. La quinoa est la spécialité du pays mais rares sont les gens qui en mangent par ici. Ils font par contre de multiples préparations à base de farine qu'ils font frire.

La cuisine est loin d'être équilibrée. Les légumes ne sont pas du tout courants, parfois un ou deux bouts de tomate, quelques oignons, des morceaux de patates pour ceux qui ont un four en brique. Parfois aussi du manioc, mais bien plus rarement qu'en ville. Le premier repas de la journée est souvent très riche avec du pain, du riz et de la viande. Si pas de viande alors des galettes frites. A midi, rebelotte avec riz et viande ! Le soir, soit c'est la même chose, soit plus simplement un peu de pain et du café.

Un autre papillon, qui se laisse difficilement approcher

Une aparté s'impose pour ceux qui n'auraient que survolé l'article présentant le village. Celui-ci est récent, car auparavant les Sirionos étaient nomades. En s'installant ils ont perdu leur culture et une partie de leurs connaissances sur les richesses de la forêt. L'agriculture n'a jamais fait partie de leurs traditions et les gens n'ont pas de potager, car de toute façon, le sol n'est que boue ou poussière. Pour la même raison, il n'y a pas de musique traditionnelle, les rares chants matinaux étant quasiment oubliés.

L'électricité est arrivée dans le village l'année dernière. Je pense que les rythmes de vie étaient complètement différents et les choses sont en transition en ce moment. La lumière est le premier avantage indéniable de l'électricité. La télévision le premier inconvénient, même si ici il n'y a pas d'antenne et que les gens se contentent de films sur des divx piratés. Il y a quelques ordinateurs et l'école en sera bientôt équipée. Ce qui change le plus, ce sont les énormes système de son que se sont achetés plusieurs habitants, qui les utilisent pour diffuser à tour de rôle ou en cacophonie de la musique rock latino. Pas forcément désagréable mais très fort et tout le temps. Je pense que d'ici quelques temps il y aura une réglementation là-dessus, en attendant, c'est pas l'idéal pour dormir.

Mon voisin de chambré.
Médecine traditionnelle ici : tu te coupes, ouvre un crapeau et mets-le sur la plaie
Dès les premières lueurs de l'aube les coqs se réveillent et s'ébrouent joyeusement. Ce faisant, ils réveillent les oiseaux qui se plaignent aussi fortement que possible, énervant les chiens qui s'aperçoivent que les ânes passent et leurs aboient dans les pattes. Les premières motos prennent ensuite le relais, de gens allant travailler en ville ou pour les propriétaires terriens alentours. Les enfants viennent ensuite ajouter leurs cris à l'ensemble, forçant des yeux fatigués à s'ouvrir, pour contempler la moustiquaire et les lueurs de l'aube à travers les murs de la chambre.

Ma chambre, avec une moustiquaire au dessus du lit
L'économie principale du village est la production de miel, qui est en fait gérée par un homme originaire de La Paz, marié à la petite-fille d'un propriétaire de ranch. On a fait mieux comme culture locale. Le miel est en tout cas revenu relativement cher à Trinidad et Santa Cruz et il est assez bon. Il y en a de deux types, un fait par des abeilles locales et un autre par des abeilles européennes importées par des colons. Une partie de la viande est revendue en ville, mais très peu me semble-t-il. La fabrication traditionnelle de hamac n'est plus connue que par quelques vieilles dames qui n'en font que pour les fêtes traditionnelles. Le centre artisanal du village est fermé, de même que la menuiserie.
Une petite pensée pour le Paléo, qui a lieu en ce moment !
Photo prise par le fils de cinq-six ans.
Le village est assez pauvre donc, malgré d'immenses réserves forestières dont ils essayent de profiter tout en les respectant. La vie ici n'est pas désagréable mais pas follement passionnante non plus. Il n'y a pas vraiment d'activité sociale mis à part les repas, auxquels s'invitent facilement les voisins, les uns allant manger chez les autres très facilement. Les personnes âgées sont d'ailleurs prises en charge ainsi, des repas leurs étant servis où qu'ils passent. Les enfants jouent à une sorte de version incompréhensible du cricket où ils font rouler la balle au sol, les plus âgés jouent au foot, au crépuscule, au moment où les moustiques sont les plus nombreux. Et ça, difficile de leurs échapper, avec tous ces animaux partout et l'eau stagnante au milieu du village. J'ai presque réussi, mis à part mes pieds qui sont des damiers douloureux.

Je vais y retourner pour une semaine supplémentaire et j'espère pouvoir repasser en ville avant que n'ait lieu la fête annuelle le 2 août. Sinon, juste après. D'ici là, je vous laisse avec plein de texte et j'espère que vous profitez aussi de votre côté de l'été ! N'hésitez pas à poser des questions si vous voulez connaître des détails !

Koasokyako !

6 commentaires:

  1. Youpie-woaw c'est vraiment l'aventure.

    Moi j'ai une question : as-tu commencé à travailler véritablement, ou était-ce juste une première semaine en reconnaissance ?

    Et si tu as commencé à travailler, en quoi consiste ta tâche au sein de ce village ?

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  2. Hoho, mais ce sont là deux questions ! Tu as de la chance, j'y réponds justement dans un immense pavé de texte en 2 dimensions, avec plein de petits caractères et des fleurs !

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  3. J'adore ton coloc de chambre ;p

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  4. Excellent !

    J'ai aussi des questions :

    Comment fais-tu pour te faire comprendre parfaitement ?
    Le Siriono est-elle une langue utilisant de multiples termes pour une même signification ?
    Obtiens-tu parfois différentes "traductions" selon les personnes ?
    Tu parles de précédentes études sur le Siriono, as-tu une base pour commencer tes recherches ? TE bases tu par exemple sur des travaux déjà effectués sur le sujet ? Incomplets ou inexacts ?

    Passionnant blog en tous cas, je te lis avec attention.

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  5. Oh oh mais voilà plein de questions ! Je vais tâcher d'y répondre sans trop m'étaler.

    Pour me faire comprendre, et bien c'est toujours possible, en prenant le temps. Puis si je ne suis pas compris parfaitement je prends mon dictionnaire de poche et cherche un synonyme.

    Le siriono est une langue complexe mais il y a rarement deux mots ayant exactement le même sens et la même valeur sémantique. C'est à dire qu'il y a toujours une petite nuance, même si elle est parfois difficile à déterminer. En siriono il y a par exemple deux mots pour "oui" et deux pour "non". Il me semble au premier abord que l'un est davantage utilisé dans un rapport d'autorité et l'autre dans un rapport d'égalité, mais je peux très bien me tromper, donc pour l'instant je note le doute.

    J'obtiens quasi-toujours des différences d'une personne à l'autre. Et pour compliquer les choses, il me semble qu'en siriono il y a des différences entre le parler des hommes et celui des femmes, mais je n'ai pas encore assez d'information pour en être sûr.

    En fait, ma méthodologie est de repartir de la base, pour vérifier qu'il n'y ai pas d'erreur d'analyses dans les études précédentes. Je connais un peu les travaux précédents et ils me servent à questionner sur des points où je sais qu'il y a des problèmes. Ca recoupe la question des synonymes. Parfois deux mots paraissent identiques mais ne le sont pas, à cause d'une intonation différente ou de deux sons pas tout à fait identiques, dont un peu ne pas exister en français...ou avoir évolué avec le temps.

    Il y a pas mal de chose en fait, mais je développerais tout ça dans un article un de ces jours, avec de beaux exemples inédits !

    Merci pour tes questions !

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  6. Merci pour les réponses !

    Ca m'en inspire une autre...
    Le siriono est-elle une langue dérivée ou semblable à l'espagnol ?
    Si oui, le fait que tu ne parles pas l'espagnol très bien ne t’empêche-il pas de saisir certaines nuances ou similitude de construction entre les deux langues ? En somme, te sens tu pénalisé ?

    Réponds uniquement si tu as les temps !
    Vivement tes prochains articles

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